Le 13 août 61 : construction du mur, la ligne 6et les stations fantômes
Le 13 août 61, les autoritésréagirent pour assainir la situation. Depuis 1945, 3,5 millions de personnesavaient quitté la zone occupée par les Soviétiques. Ils avaient « votéavec les pieds » en quittant « l’état socialiste des ouvriers et despaysans ». En outre, 50.000Berlinois de l’Est travaillaient à l’Ouest, où ils étaient bien mieux payés,alors qu’ils continuaient à vivre à l’Est, beaucoup moins cher. Le gouvernementde l’Est décida de les obliger à se déclarer et à payer leur loyer en DM, avecla parité de 1 à 4.
La police s’était mise àsurveiller de près les rues menant d’Est en Ouest, à la recherche de gens« fuyant la République » ou de contrebandiers faisant passer lesdenrées moins chères à l’Ouest.
Pour mettre fin à la fuite deses ressortissants qui passaient par Berlin pour rejoindre la RFA, où ilsn’étaient évidemment pas considérés comme des étrangers, mais comme des gens ducru, avec tous les droits et devoirs dévolus aux Allemands, et pour rétablirl’équilibre économique mis à mal du fait des disparités entre l’Est et l’Ouest,les autorités de Berlin-Est décidèrent la construction d’un mur.
Dans la nuit du 12 au 13 août1961, 5.000 membres de la police aux frontières, 5000 membres de la policepopulaire et des groupes de combat des entreprises barricadèrent les rues etles voies ferrées, et commencèrent à ériger, sous la protection des troupessoviétiques, des clôtures, puis, dans les jours qui suivirent un mur de béton.
Voyant ce qui se passait, 85membres des troupes de l’Est s’enfuirent, auxquels il faut ajouter 400 civils,dont certains se jetèrent, couchés sur leur matelas, par la fenêtre d’immeublesqui donnaient sur le secteur libre.
La RDA fit également arrêterle trafic des lignes de métro (U-Bahn)et des trains rapides urbains (S-Bahn)qui assuraient des liaisons entre l’Est et l’Ouest.
La ligne de métro U6, quitraverse Berlin du Sud (Alt-Mariendorf)au Nord (Tegel) et qui passe dans lesous-sol de Berlin entre les stations Kochstraßeet Reinickendorfer-Straße, toutesdes deux sises à l’Ouest, continuaà fonctionner en traversant les anciennes stations, appelées désormais« Stations fantômes », du fait qu’elles étaient désaffectées, doncvides de toute présence humaine, et plongées dans une quasi-obscurité. Les trains ralentissaient avantd’entrer en gare, et accéléraient à la sortie.
Il y avait une exception, lastation Friedrichstraße, où le métros’arrêtait comme avant, et où la S-Bahnavait son terminus. Mais les voyageurs qui s’arrêtaient là ne pouvaient serendre à l’Est qu’en traversant une zone de contrôle sous la surveillance de laPolice populaire. Les papiers étaient contrôlés, les sacs fouillés. Quant auxressortissants de l’Est, ils étaient refoulés par leur propre police. Nepassaient que ceux qui avaient un visa spécial (diplomates, espions ou même,plus tard, terroristes), et les retraités, dont on ne craignait pas qu’ilsrestent à l’Ouest, puisqu’ils n’étaient plus productifs. Et d’ailleurs,ç’aurait été autant d’économisé sur leurs retraites.
Les diplomates, militaires,fonctionnaires américains, britanniques ou français ne passaient pas par cescontrôles, car leurs États géraient Berlin Ouest et Est. Ils étaient contrôléspar les troupes soviétiques, lesquelles étaient supervisées par les Alliés dansl’autre sens. L’Allemagne de l’Est n’avait pas le pouvoir de contrôler lesAlliés, qui continuèrent à envoyer chaque jour une patrouille en voiture àBerlin-Est, tout comme les Soviétiques envoyaient la leur à l’Ouest.
C’est après cet événement quele Président Kennedy, après avoir déclaré que « ce n’était pas unebelle solution, mais que cela valait mille fois mieux qu’une guerre », estvenu montrer aux Berlinois, en proclamant, dans leur langue, « Ich bin ein Berliner (Je suis unBerlinois) », que, comme au temps du blocus, les USA se portaient garantsde la sécurité de la ville désormais emmurée.
Ce mur, qualifié « de lahonte » par l’Ouest, était présenté par les autorités de Berlin-Est commele « rempart contre le capitalisme ». Mais on notera que l’une descaractéristiques majeures de ce mur était qu’il n’enfermait pas son contenu,puisque les habitants de Berlin-Ouest pouvaient en sortir par les corridors oupar la voie aérienne, mais son contenant, qui ne pouvait pas franchir ce murpour aller vers l’Ouest.
Les seuls Occidentaux qui nepouvaient pas se rendre à Berlin-Ouest parce qu’ils étaient refoulés à l’entréedes corridors côté RFA étaient les députés qui devaient se rendre à l’anciennecapitale pour siéger dans le Reichstag, dans lequel se réunissait souvent le Bundestag (l’Assemblée nationale) pourbien montrer que Berlin était la véritable capitale, et Bonn simplement unesolution provisoire. Ils durent donc désormais prendre l’avion, l’une des 3compagnies autorisées, l’américaine PANAM, la britannique BEA ou la françaiseAir France.
Des magazines pour mes amis de l’Est
Mon collègue et néanmoins amiPeter était enseignant, comme moi, à la FreieUniversität (FU), fondée en 1948 par des transfuges de l’universitéHumboldt, située à l’Est et soumise au diktat des autorités de l’Est, avecl’aide des Américains, et surtout avec une aide financière d’Henry Ford, lemagnat de l’automobile. Il avait de bons amis qui habitaient à Berlin-Est, àqui il rendait fréquemment visite, l’inverse étant impossible. Il en profitaitpour leur apporter des journaux de l’Ouest, et en particulier le magazine« der Spiegel », ouvrageinterdit en Allemagne de l’Est.
Il prenait pour cela le métrode la ligne U6 et descendait à Friedrichstraße.Pour franchir les contrôles sans encombre, il cachait le Siegel dans sonpantalon, coincé par la ceinture, et mettait dans son sac un magazine fémininsans arrière-pensée politique, qui détournait l’attention des policiers qui,selon que leur digestion les travaillait ou non, le lui confisquaient –peut-être pour leur propre épouse – ou le laissaient passer.
Mais ce jour-là, allez savoirpourquoi, le policier lui demanda, en désignant son abdomen, ce qu’il avait là.Bien entendu, il n’avait rien, mais le policier insista, et il maintint sesdéclarations. Il fut sorti manu militaride la file, amené dans une pièce plus digne d’un placard que d’une salle deréunion, et on l’obligea à se déshabiller. Évidemment, on trouva le Spiegel. Lespoliciers auraient pu se contenter de leur triomphe, et le renvoyer l’oreillebasse chez lui, mais certains policiers avaient la fibre pédagogique. Ils voulurentlui donner une bonne leçon. Ils lui firent remettre son slip, confisquèrent sesaffaires, lui dirent d’attendre, assis sur une chaise et l’abandonnèrent à sontriste sort. Le pauvre Peter n’en menait pas large. Presque nu, il ne pouvaitpas faire grand-chose sinon trembler de froid, car il ne faisait pas chaud. Iltremblait bien aussi un peu de peur, car il ne savait pas trop à quelle sauceil serait mangé. Personne ne savait qu’il était là, à part peut-être ses amisauxquels il voulait rendre visite, qui devaient commencer à s’inquiéter de nepas le voir venir.
Au bout d’une bonne heureentra un officier, qui procéda à son interrogatoire. Il voulut tout savoir delui, de ses origines, de sa profession, de ses opinions politiques. Puis, ils’enquit de savoir chez qui il se rendait, question qu’il essaya d’éluder. Maisl’officier était un pro du renseignement et des interrogatoires. Il réussit àl’inquiéter assez sur son avenir immédiat pour obtenir le nom et l’adresse dudestinataire du Spiegel.
L’officier lui fit alors laleçon, et finit par lui faire rendre ses vêtements et le laisser partir en lefaisant remonter dans le métro, direction la maison.
Pendant plusieurs mois, iln’osa plus reprendre le chemin de Berlin Est, et quand il le fit, il évitad’aller voir ses anciens amis. Il ne sait toujours pas ce qu’ils sont devenus.Quant à lui, il n’arrive pas à se débarrasser d’un sentiment de culpabilité vis-à-visde ceux qu’il a dénoncés. Mais était-ce vraiment si grave ? Le malheur,c’est que jamais il ne le saura.
Le temps de la réconciliation et le début de ladétente
En 1969, Willy Brandt, alors ministre desAffaires étrangères d’une grande coalition et chef du parti social-démocrate leSPD a remporté les électionslégislatives avec le slogan « oser plus de démocratie ». L’ancienrésistant s’est prononcé pour plus de crédibilité dans la politique, pour uneréconciliation avec les anciens adversaires et pour une rupture totale etdéfinitive avec le national-socialisme.
C’est ainsi qu’il serapprocha de la Pologne, s’agenouilla en public dans l’ancien Ghetto deVarsovie pour se recueillir en hommage aux victimes de l’holocauste, et n’eutpas peur d’établir des contacts diplomatiques avec la RDA afin de provoquer« un changement par le rapprochement ».
Le prix Nobel de la Paix luifut remis en 1971 pour sa politique de détente et de réconciliation.
Il réussit ainsi à rassurerses voisins de l’Est, tout en établissant un dialogue avec l’autre Allemagnepour permettre un échange plus facile entre les deux populations.
Malheureusement, il dutdémissionner en 1974 justement à cause des dirigeants de la RDA qui avaient réussià infiltrer un espion, Günter Guillaume, dans l’entourage direct de WillyBrandt.
Le transit, ou comment franchir sans risque la lignede démarcation et le mur
Nous revenons de vacances en Franceen minibus Volkswagen, et nous sommes passés par la Bavière. Il est 19 heures,la nuit est tombée. A Hof, nous arrivons dans une zone violemment éclairée pardes pylônes de 20 m de haut.
Nous nous mettons dans unedes files qui s’avancent parallèlement en suivant le marquage au sol. Notrefile ralentit, puis s’arrête. Nous faisons de même. Attention, ce n’est pas lemoment de heurter une autre voiture. Grâce à la hauteur relative de notre siège,nous voyons bien, au-delà de la tête de la file, une cabine un peu semblable àcelles d’un péage d’autoroute, mais nettement moins bariolée. Elle est grissouris. Assise à l’intérieur, une personne fait signe à la première voiture,qui s’était arrêtée à une dizaine de mètres de la cabine. Le premier véhicules’avance donc, et la file suit.
Les contrôles à la ligne de démarcationou au pied du mur sont un bon baromètre pour les relations Est-Ouest. Quandelles sont sereines, le contrôle se déroule sans trop de heurts. Lorsqu’il y ades tensions, il faut s’armer de patience. De toute façon, on n’a pas lechoix : il faut en passer par là.
Ensuite, il peut y avoir desproblèmes occasionnels, lorsque le contact entre le policier et le conducteurest conflictuel. Justement, nous voilà en tête de colonne. Surtout, il fautbien attendre à l’endroit marqué par une ligne sur le sol, située à une dizainede mètres de la cabine où se trouve le représentant de « l’État desOuvriers et des Paysans » que celui-ci vous fasse signe d’avancer. Sinon,il vous fera reculer, et comme il attendra pour cela que la colonne derrièrevous ait avancé, il faudra faire reculer cette colonne entière, ce qui vaprendre du temps, et vous valoir les foudres de vos compagnons d’infortune.
Lorsqu’il vous fera signe, ilfaudra s’avancer tout de suite, sans lui faire perdre son temps précieux. Celaest difficile lorsqu’il y a un reflet dans la vitre, qui vous empêche de bienvoir si l’on vous fait signe ou non. Quelquefois, un bras sort par la fenêtre,ce qui éclaircit la situation.
Ensuite, il faut bien avoirpréparé ses papiers, c’est-à-dire avoir récolté les papiers de tous lesoccupants de la voiture en âge d’en avoir. Ce n’est pas le moment des’apercevoir que l’un des papiers manque, ou qu’il est périmé. Et si vous avezpris un autostoppeur, il faut espérer que ses papiers sont en règle.
Justement, le policier nousfait signe d’avancer. Nous faisons donc les 10 mètres pas trop vite, mais pastrop lentement non plus, pour ne pas trop nous faire remarquer. Je lui disbonjour, sans en rajouter, et il grommelle quelque chose d’incompréhensible.Avec quelqu’un de l’Ouest, nous aurions échangé quelques remarques sur letemps, mais avec un membre de la police populaire, il faut se limiter àl’essentiel. Je lui remets le paquet de papiers. Il jette un coup d’œil dessus,puis regarde dans le véhicule avec insistance.
« Vous êtes 4 ?
- Oui, 2 enfants et 2 adultes.
- Avancez. » Notez queceux qui ne sont pas Allemands, ou au moins résidents de la RFA ou de Berlinavec des papiers en règle doivent payer une taxe de 5 DM (2,50€). Si lesAllemands et résidents en règle ne paient pas, c’est tout simplement parcequ’une somme forfaitaire est payée chaque année par le gouvernement de RFA afind’améliorer les conditions de circulation.
Si vous êtes là pour lapremière fois, vous allez vous demander comment continue le scénario. Ce n’estpas si compliqué. Un autre policier fait quelques recherches sur son ordinateur,ou par téléphone, et comme il n’a rien à vous reprocher, il prépare un visa,c’est-à-dire qu’il prend un formulaire tout prêt avec le symbole de l’état allemandde l’Est, un cercle comportant un gros marteau chapeauté par un compas. Ilécrit le numéro de votre véhicule, le jour et l’heure, ainsi que le nombre devoyageurs. Ensuite, il l’ajoute aux papiers, met le tout dans une pochette etdépose celle-ci sur un tapis roulant, qui achemine les documents vers une autrecabine. Comme le tapis roulant est couvert, on ne voit rien, mais on entend lebruit du moteur qui fait avancer le tapis sans jamais s’arrêter.
Nous avançons donc jusqu’à laligne placée avant la deuxième cabine. Un policier nous fait signe de nousapprocher, ce que nous faisons. Il regarde nos papiers un par un, et, pour chacun, compare notre visage àla photo. Je suis depuis quelques années sur cette terre, et j’ai connu bonnombre de contrôleurs, mais aucun ne m’a jamais transpercé avec ses regards decette manière ni aussi longtemps. Sans doute comparait-il le visage partie parpartie avec la photo : les sourcils, les yeux, le nez, la bouche, lementon, les oreilles…
Au bout d’un moment, il meremet les papiers, et me dit au revoir. Après un au revoir poli, je passe une vitesse et nous voilà partis surl’autoroute. A 100 à l’heure, et en comptant les arrêts pipi, il va nousfalloir 3 heures et demie.
Il est interdit de dépasserles 100km/h, d’abord, parce que l’autoroute, constituée de plaques de béton,est pleine de trous plus ou moins profonds. Quand on prenait le corridorpassant par Magdeburg, l’autoroute franchissait l’Elbe sur un pont et, quand onroulait lentement, par exemple dans un ralentissement, on arrivait à voir l’eaudu fleuve à travers le revêtement de béton.
Mais il y avait une autreraison, parce que l’Etat allemand de l’Est avait besoin de devises étrangèresconvertibles, comme le Mark Ouest. L’un des moyens les plus simples, c’étaitd’installer un radar et son manipulateur bien cachés sur le bord del’autoroute, à un endroit stratégique, et d’installer plus loin une voiture àl’entrée d’un parking pour arrêter les fautifs et encaisser l’argent.
Les radars étaient vraimentbien cachés, soit derrière un panneau, soit sous un filet de camouflage imitantla couleur des feuilles alentour. Mais lorsque les policiers arrêtaient lefautif, ils étaient bien visibles, eux. Selon l’ADAC, le plus grand automobileclub d’Allemagne de l’Est qui a enquêté sur le problème, il n’existait pas decatalogue disant quelle somme il fallait percevoir en fonction de la vitesseexcessive. En fait, les policiers avaient toute latitude pour fixer la sommedans une fourchette donnée, en fonction, on le suppose du moins, de la capacitéà payer du fautif. Pour être simple, disons que la contravention se faisait àla tête du client, et à la valeur présumée de sa voiture.
Il y avait quelques règles simplesà respecter, outre le respect absolu des limitations de vitesse :
· Ne pas trainer en route, sous peine de faire croireque l’on a profité du voyage pour faire des choses inavouables telles que lespoints suivants.
· Prendre quelqu’un en route.
· Parler aux habitants de la RDA, ou se réunir avec euxpour faire du trafic.
· Ne pas quitter l’autoroute.
· Et conduire à jeun, car la limite d’alcool est de 0 gd’alcool pour mille.
Sur l’autoroute, les voituresroulent ensemble : les grosses voitures de l’Ouest côtoient les petitesTrabant de l’Est.
Sur certains parkings, ondécouvre un magasin plus ou moins grand appelé Intershop. Celui-ci est absolument réservé aux possesseurs desfameuses devises convertibles. On y vend, comme dans les aéroports, del’alcool, des cigarettes en grande quantité et quelques produits de luxe, maisaussi de quoi se remplir le ventre, comme des paquets de chips . Les prixsont très intéressants, mais il faut payer en devises convertibles. De plus, ilfaut présenter ses papiers, ce qui exclut les Allemands de l’Est, même s’ilspossèdent des D-Marks ou des dollars.
Ainsi, les Allemands del’Est, qui n’ont pas droit à grand-chose, sont réduits à l’état de figurants etvoient, dans leur propre pays, lesvilains capitalistes profiter d’avantages auxquels ils n’ont pas droit.
Il n’est pas douteux que lapossibilité, pour les habitants de l’Est, de comparer en permanence leursituation à celle de leurs cousins de l’Ouest a dû contribuer à la chute durégime communiste.
Au bout de 3 heures et demie,nous voilà arrivés au contrôle au sud de Berlin. Nous avons pris la sortieprévue pour ceux de l’Ouest. Les automobilistes de l’Est, qui n’ont pas ledroit de quitter leur pays, ont dû prendre l’autre sortie. Nous faisons laqueue devant la fameuse cabine. Nous rendons les visas, et on nous laisse sortir. Nous revoilà dans le monde libre,mais entouré d’un mur.
Eh oui, la logique en prendun coup !
Le terrorisme : La Belle, le restaurantisraélien, la maison de France,
Le chancelier Schmidtcontinue la politique de Brandt.
Il se rapproche des Françaisde fait de son amitié d’homme politique avec le Président Giscard d’Estaing.
C’est malheureusement unepériode de crise, suite au premier choc pétrolier, qui s’accompagne del’inflation et d’un marasme économique.
Son caractère bien trempé luipermet de résister au terrorisme qui s’abat sur plusieurs pays, dont la France,l’Italie et l’Allemagne. Il a en particulier à combattre la Fraction ArméeRouge (RAF : Rote Armee Fraktion), la fameuse Bande àBaader, et les terroristes internationaux comme Carlos. D’ailleurs, on finirapar se rendre compte que les deux groupes travaillaient souvent ensemble,Carlos ayant épousé une des femmes de la RAF.
A Berlin, il n’est pas sifacile de s’échapper après un attentat puisqu’il faut fuir par avion, ou parl’un des corridors. On est donc sûr d’être soumis à un contrôle.
Mais en réalité, lesterroristes actifs à Berlin sont soutenus par la RDA, bien contente de pouvoirdamer le pion à la RFA, qui les laisse entrer et sortir, selon leurs besoins,sans contrôle.
Les deux plus importantsattentats sont celui perpétré contre la discothèque La Belle, fréquentée par denombreux soldats américains, et celui commis contre la Maison de France, qui asoufflé le dernier étage et le toit du Consulat de France. D’autres attentats,dont celui contre un restaurant israélien, ont fait plusieurs victimes,.
A cette époque commence unepériode de renforcement de l’Etat et des services de police en général. Enparticulier, les communistes et sympathisants, qui se déclarent ouvertementcontre la constitution allemande, la Loi Fondamentale (Grundgesetz) sontéliminés de la fonction publique. Ainsi, un conducteur de locomotive, donc unemployé de la fonction publique, a été révoqué parce qu’il était communiste,tout simplement parce que son parti était adversaire de la Constitution.
C’est en 1975 que je suisentré à l’université. J’avais été choisi par la commission idoine dès avril 75,mais l’administration m’a bien précisé que la décision finale dépendait del’enquête sur ma personne diligentée par le sénateur de l’Intérieur de Berlin.Cette enquête, qui s’est pour moi déroulée de façon parfaitement opaque, s’estterminée en octobre. J’avais donné ma démission trois mois avant la finseptembre pour le 30.9. Cette date est arrivée sans que j’aie la moindre idéede l’issue de cette enquête. Je n’étais pas communiste, mais j’avais eu deuxoncles membres du PCF, et l’un de mes frères avait flirté avec les jeunessescommunistes.
Le 8 octobre, un coup de film’a appris que j’étais engagé depuis le 1er. Les préférencespolitiques de mes oncles et de mon frère ne m’avaient donc pas défavorisé.
Allons voir Tante Marianne
Quand on habite Berlin-Ouestet que l’on veut rendre visite à quelqu’un habitant en RDA, il faut avant toutfaire une demande de visa. Le bureau de l’Est chargé des visas se trouve à Steglitz, un quartier du sud deBerlin-Ouest, dans une galerie marchande du nom de Forum Steglitz, au 1er étage, au bout d’un couloir.
Nous allons donc chercher leformulaire et prendre rendez-vous pour faire la demande.
Le jour prévu, nous nousrendons au bureau avec nos papiers et nos formulaires remplis. L’entrevue sepasse sans problème, mais on nous précise qu’il existe un change obligatoire de20 DM. Cela signifie que l’on donne un billet de 20 DM, donc Ouest, en échangede 20 marks de l’Est, alors que le taux est de 1 pour 4 en faveur du DM. Onnous explique aussi qu’il faudra dépenser les 20 marks de l’Est sur place,étant donné qu’il est interdit d’exporter cette monnaie. Généreux commetoujours, nous nous disons que nous laisserons l’argent à Tante Marianne, quisera bien heureuse de les encaisser.
C’est le jour J. Nous revoiciau poste de contrôle bien connu. Mais cette fois-ci, il nous faut choisir uneautre file : « Einreise in dieDDR » (entrée en RDA). Les policiers sont semblables à ceux dutransit, mais il y a quand même une différence de taille : ils ont le droitde fouiller le véhicule et nous sommes obligés d’en sortir. Pendant ce temps,je vais changer les fameux deux fois 20 DM. On me donne des billets portant lelogo de la RDA : marteau et compas. J’aurais le droit d’en changer plus,mais vu qu’il n’y a rien à acheter, à part quelques denrées telles que laviande et les petits pains, que nous n’aurons de toute façon pas le droitd’exporter, je me limite à la somme plancher obligatoire.
La voiture ayant été fouilléeet la police n’y ayant rien trouvé d’intéressant, nous voilà libérés :nous pouvons pénétrer en RDA.
Les routes y sont encore plusdéfoncées que les autoroutes. Je suis obligé de ralentir pour ne pas tropabimer la suspension. Nous sommes en pleine cambrouse : Stahnsdorf est une toute petite villesituée entre Berlin et Potsdam. Il y a bien une église et une place devant,mais rien de bien original. Les quelques magasins que nous longeons, uneboulangerie, une épicerie, me rappellent une photo prise devant le caféépicerie de mon arrière-grand-père paternel, bien avant la guerre de 14, àEcrosnes, près de Chartres. Même rue pavée, même genre de constructions, mêmeciel mélancolique, même couleur, car si la réalité est ici théoriquementbariolée, les objets et les gens sont habillés de gris.
Dans une rue désolée, noustrouvons une petite maison en plus ou moins bon état. Si l’on y refaisait latoiture, donnait un coup de peinture à la façade, et refaisait les voletsdélabrés, elle ne serait pas si mal que cela.
Mais voici la tante Mariannequi apparaît sur le seuil, une de ces fausses tantes qui fourmillent danscertaines familles. Il s’agit en fait d’une ancienne voisine de ma belle-mère,qui a fini par faire partie des meubles et qui s’est trouvée investie du rôlede marraine lors du baptême de ma femme. Elle est chétive, vêtue de gris, et setient voûtée. Son mari apparaît à son tour, un petit homme rondouillard à l’airjovial.
Malheureusement pour moi,l’oncle Paul, car c’est ainsi qu’il se nomme, est un ancien prisonnier deguerre qui a passé deux bonnes années en France. C’est fou le nombre d’anciensprisonniers de guerre qui vivent en Allemagne. À croire qu’ils ont été faitsprisonniers sans combattre. Dès que vous vous révélez comme Français, vous avezdroit à l’histoire du prisonnier de guerre, et à la fameuse phrase que chaquesoldat allemand semblait avoir apprise par cœur : « Voulez-vousMademoiselle promenade bicyclette ? », forme militaire de« C’est à vous, ces beaux yeux ? » ou de sa variante « Voushabitez chez vos parents ? », qui font partie de la panoplie dudragueur de base dénué d’imagination.
L’oncle m’explique qu’il aété prisonnier de guerre en Bourgogne, et qu’il y avait appris à faire duvin. D’ailleurs, tel le grandFrédéric II, qui avait essayé d’introduire la culture de la vigne à Potsdam,mais sans grand succès, il avait lui-même planté sa vigne, assez pour remplirdeux bouteilles. Avec la fierté des vignerons, il m’amène dans sa cave et memet sous le nez une bouteille emplie d’un liquide jaunâtre : son vin. Il débouchela bouteille, sort deux verres d’un petit placard, me verse une rasade de sonnectar dans l’un des verres et remplit le second. Puis il me tend le premierrempli, m’invitant à déguster.
Je m’exécute. Dans tous lessens du mot, car ce breuvage se situe à égale distance du jus de pomme et duvinaigre de vin. Le concept de pisse d’âne, mais au sens propre, m’effleure même.Mais, bien élevé, je réprime une grimace et déclare : « Il estvraiment bon. », ce qui a pour effet de le pousser à m’offrir une deuxièmerasade, alors que je n’en ai bu qu’une maigre gorgée. J’argue du fait que jeconduis et que je dois rester sobre pour échapper à une double punition.
C’est d’ailleurs uneconstante, à l’Est : le goût est faussé. Il existe toutes sortes deproduits qui imitent ceux de l’Ouest avec peu de succès : les chips augoût de carton, le maïs soufflé pour apéritif à la graisse rance, les bonbonsau caramel venus de Pologne qui s’effritent sous la dent, le camembertplâtreux, le mousseux Rotkäpchen(Chaperon rouge) rappelant le jus de pomme.
Le repas de midi estd’ailleurs dans la même note : une variation autour du chou (blanc, vert,rouge, mais pas fleur), une viande filandreuse arrosée d’une triste sauce stylegoulasch, et comme dessert, un étouffe-chrétien ramolli par une crème tournée.
Comme tout cela est fait avecamour, on en prend, on s’extasie, et on se retrouve dans l’obligation d’enreprendre.
Une imitation de simili cafévient couronner le tout. En tant que conducteur, j’échappe à la Vodka russe. Jesuis d’autant plus méfiant que nuln’ignore ici que lorsqu’ils n’ont plus de vodka, les soldats russes serabattent sur l’antigel de camion sans état d’âme. Si l’antigel peutconcurrencer la vodka, c’est qu’il n’en est pas si loin que cela par le goût. Alors,prudence.
L’après-midi, nous faisonsune promenade qui nous mène au cimetière local. Comme tous ses homologuesallemands, il est très vert, planté d’arbres et d’arbustes. Les cimetièresfrançais sont pleins de marbre, leurs correspondants allemands plantés et boisés.On y retrouve les grands-parents maternels de ma femme, quelques voisins ouvoisines de ma belle-mère. Ce n’est pas la première fois que je rends visite àdes morts étrangers à tous égards, car rien ne me rapproche d’eux. J’ai mêmevisité un jour un cimetière allemand dans la Somme avec une de mesbelles-sœurs, née pendant la guerre, et dont le père gisait là, mort enterré enFrance. C’est à cette occasion que j’ai appris qu’il existait un tourismefunéraire qui amenait en cars confortables les veuves et orphelins sur lescimetières allemands de Normandie et de Picardie, ce pèlerinage étant couplé àune visite de Paris, soirée au Moulin rouge incluse.
Vers 17 heures, les deuxfilles de la maison, âgées de 19 et 18 ans, rentrent du travail. Catholiquespratiquantes, elles n’avaient pas eu droit au baccalauréat. L’une estlaborantine, l’autre suit une formation de secrétaire. Elles sont vêtues d’unjean de fabrication locale en toile molle, ersatz de jean à l’occidentale.
Le soir finit par arriver.Avant de prendre congé, nous voulons offrir les 40 marks Est à la tante, quitord le nez et ne semble pas du tout enthousiasmée. Nous apprendrons après lachute du mur que les citoyens de l’État des Ouvriers et des Paysans,travailleurs et moins mal payés que dans les autres pays du bloc soviétique,avaient d’autant plus d’économies qu’il n’y avait rien à acheter, une fois lesdenrées de base acquises, et que, vertueux par nécessité, ils avaient denombreuses économies à la banque. Inspiré, je remballe les billets de l’Est etje leur offre la même somme en marks de l’Ouest, ce qui a pour effet dedétendre immédiatement l’atmosphère. J’apprendrai plus tard que les monnaies convertibles permettaientd’avoir toutes sortes de produits, et même sans attente. Si vous aviez besoind’une poignée de porte, ou d’un robinet, il fallait faire une demande par écritet attendre un certain temps, voire une quasi-éternité. Mais avec des marks del’Ouest, vous pouviez avoir l’objet en question sans attendre. Plus tard, il amême existé un catalogue grâce auquel des gens habitant à l’Ouest pouvaientcommander, et payer, des produits qui étaient livrés à leur proche de l’Est.
Nous arrivons au contrôlepour sortir de RDA. Ce que nous ne savions pas, mais nous aurions dû nous endouter, c’est qu’il était plus facile d’entrer que de sortir.
Nous devons tous sortir duvéhicule, tandis que les policiers s’y affairent. L’un d’eux fait passer unmiroir monté sur roulettes et muni d’un manche pour regarder sous le véhicule,sans doute pour voir si personne ne se cramponne au châssis. Un autre sort la banquette arrière. Untroisième visite le coffre, tandis qu’un quatrième inspecte le moteur. Au boutd’un quart d’heure, on nous rend notre véhicule complètement remonté. Puis, onnous demande combien d’argent de l’Est nous avons sur nous. Nous n’osons pasleur dire que nous avons jeté nos 40 marks-Est dans une poubelle, pour ne pasavoir d’ennui.
Enfin, on nous libère et nousquittons le paradis communiste.
Comment les Berlinois de l’Ouest passent le temps àl’abri du mur
A Berlin « intra-muros »,on peut pratiquer bon nombre de sports, même si c’est parfois au prix de légères rectifications.
Il y a un nombreimpressionnant de stades, gymnases, une salle omnisports, la Deutschlandhalle, des patinoires etmême, en hiver, un anneau de glace de vitesse.
Les skieurs vont pratiquerleur sport en Bavière, en Autriche ou en Suisse, voire en Italie, mais horsvacances, et à condition qu’il neige, ils se rendent sur les deux« montagnes » de Berlin, construites avec les gravats provenant desmaisons bombardées pendant la guerre. L’une d’elles, le Teufelsberg, situé à l’Ouest de la ville, est équipée pourl’occasion d’un tire-fesses. L’autre, située dans le sud de la ville, l’Insulaner, convient mieux à la luge qu’au ski alpin. Avec undénivelé d’une centaine ne mètres, on se doute que l’on est vite en bas. Maisle Berlinois de base pense pouvoir rivaliser avec les Alpes. C’est peut-êtrepour cet enthousiasme doublé d’un complexe de supériorité mal placé que l’onnomme Berlin « la ville qui a du cœur et une grande gueule » (Berlin, die Stadt mit Herz und Schnauze).
Les amateurs de voile sontmieux placés. Il existe des lacs au nord, à Tegel, sur lesquels aussi bien desvoiliers que des bateaux à moteur peuvent circuler. Au Sud-Ouest se trouve legrand lac du Wannsee, avec denombreux petits ports, relié aux lacs du nord par un canal, et à un système decanaux traversant le sud de la ville. Les voiliers que l’on y trouve vont de lacoquille de noix au 20m. Des navires de tourisme amènent les gens d’un point àl’autre. L’un deux, le Havel-Queen, ala forme d’un navire du Mississippi avec de fausses roues à aubes, un autre, leMoby-Dick, est une imitation debaleine. Les Berlinois aiment bien ce qui sort de l’ordinaire. Ainsi, lesspécialistes de la voile pensent se déplacer dans une espèce de Côte d’Azur, letemps et l’espace en moins.
Les amoureux de la plongéeont eux aussi leurs plaisirs. Soit ils s’entraînent dans des piscines, soit ilsplongent dans une tour destinée à l’entrainement des pompiers, et qui simuledes plongées en augmentant, dans un caisson, la pression atmosphérique. Pourles plages de sable blanc, les poissons et les algues, on repassera.Heureusement, il y a un endroit paradisiaque à l’Ouest de la ville : le lacde Glienicke. Ce lac en pleine naturepermet, dès le mois de mai, de faire des plongées en plein air. Il estparticulièrement intéressant parce qu’il atteint la profondeur rare à Berlin de11m. Mais vous y chercherez en vain des bancs de poissons. D’ailleurs, comme pourtous les lacs berlinois, l’eau se trouble avec le temps. Fin mai, vous voyezencore vos palmes, deux semaines après, vous distinguez encore bien l’heure survotre montre. Ce ne sera hélas plus le cas fin juin, où vous n’aurez que lebonheur de respirer de l’air en bouteille et d’entendre les bulles sortir devotre détendeur. D’ailleurs, il ya encore un autre problème, presque rien… Le lac est orienté Nord / Sud, ettandis que la rive Est appartient à Berlin-Ouest, la rive Ouest est à la RDA.Elle est d’ailleurs « protégée » par un mur, le fameux mur, surveillépar des miradors, et si vous vous approchez trop de cette rive, il se peutqu’un zodiac de l’Armée Populaire vienne vous cueillir car on vous soupçonned’espionnage, à moins que vous ne prépariez une invasion de la RDA.
Cela est arrivé à certainespersonnes qui, sous l’eau, ne s’étaient pas rendu compte qu’elles prenaient lamauvaise direction, et dont la présence a été trahie par des bulles. Aprèsplusieurs heures d’interrogatoire, elles ont été relâchées… mais au nord de laville, pour qu’elles s’en souviennent bien.
Sinon, en été, les hommes et femmes-grenouillesvont en Méditerranée, ou en hiver sur la Mer Rouge.
Mais il y a, en plein air,d’autres plaisirs : les baignadesdans les lacs, ou en pleine forêt. Le lac Grunewald-See pourles nudistes ou ceux qui veulent laisser courir leur chien, la forêt Grunewald pour ceux qui aiment lesrandonnées équestres, les visites au Zoo de Berlin. À ce propos, Berlin estsans doute la seule ville qui connaisse le nom des animaux les plusreprésentatifs de son zoo, tels que « Bulette » l’hippopotame nain, ouencore Knut l’ours blanc. Leurs maladies, leurs amours, les naissances sontsouvent à la une des journaux.
Il y a encore la cueillettedes champignons, les longues promenades, le jogging, les courses populairestelles que les 25 km de Berlin, avec arrivée au Stade olympique (oui, celuid’Adolphe !) le célèbre Marathon fin septembre.
Les familles turquespréfèrent se griller des saucisses sur des barbecues portatifs en face de larésidence des Présidents de la République, le château Bellevue, ce qui,évidemment, ne plait pas à tous. Il y a donc de quoi s’amuser.
Pour ce qui est de la culture,Berlin-Ouest ne craint pas la concurrence, avec plus de 100 musées, des cinémaset un festival annuel, des salles de concert comme s’il en pleuvait, avec l’undes meilleurs orchestres du monde, les « Berliner Philharmoniker », à voir et à entendre dans leurssalles de la grande et de la petite Philharmonie. Il y a encore son opéra, ses salles dédiées aux comédies musicales,ses théâtres, officiels et off, bref, il y a toujours quelque chose à faire àBerlin… et il y a même un mur unique à voir.
Il y a aussi ses universités,ses cours du soir nommés « université populaire » où des gens de toutâge et de toutes provenances se rencontrent pour apprendre, et pour pas cher,les langues étrangères, l’art du bouquet japonais, l’écriture de livres, lacomptabilité ou le jiujitsu.
Enfin, il y a les temples del’hédonisme, de la cabane à frites au restaurant en passant par le Kebab, lesglaciers, les cafés vendeurs de gâteaux, le plus long comptoir du monde si l’onmet les comptoirs de bars bout à bout, les restaurants de cuisine allemande,chinoise, indienne, mexicaine, française, italienne ou les restaurants àpoisson, ou pour végétariens.
Bref, les Berlinois ontrecréé, à l’abri du mur qu’ils n’ont pas choisi d’avoir, un monde divers oùrègnent la joie de vivre ensemble, l’imagination et l’envie d’expérimenter.