J'ai fait quelques pas avec le lecteur dans les dédales de l'idéologie diffuse qui meuble nos têtes sans que nous y prenions garde. Aujourd'hui, je vais essayer de montrer comment une formule qui semble innocente trahit des idées fausses sur l'éducation, avec des conséquences plus importantes qu'il n'y paraît. Le point de départ, c'est cette expression :"transmission des connaissances", que l 'on retrouve partout dans les textes et discours sur l'éducation. Elle me gêne depuis longtemps : pourquoi donc?
Sur le plan purement linguistique, ce qui peut être transmis, ce sont des informations, ou un message. Toute connaissance est obligatoirement élaborée par la personne qui la possède . Le même savoir ne peut avoir, chez deux humains différents, exactement la même structure, les mêmes liens dans les réseaux mémoriels, les mêmes mobiles capables de l'appeler, ou d'être éveillés par lui. L'information est captée ou non, en totalité ou en partie. Si elle est enregistrée, c'est en se localisant dans un réseau mémoriel complexe, propre à l'individu concerné : comme appatenant à une ou des "catégories" de souvenirs, comme liée à d'autres "compartiments" mémoriels par des chemins plus ou moins longs, plus ou moins fréquemment empruntés par les processus de pensée. On sait, par exemple, que les psychologues distinguent une mémoire "anecdotique". Mon épouse se souvient de la boutiques où elle a acheté telle de ses robes, du prix qu'elle l'a payée, du temps qu'il faisait ce jour-là. Moi, qui connais aussi cette robe, je me souviens de tel jour où elle la portait, de ce que nous avons fait à ce moment.. Mais l'idée même de "robe", si elle a un lien avec celle-là, est toute différente : c'est un vêtement, plutôt féminin (encore que, des prêtres, des juristes...), qui couvre le tronc et une part plus ou moins grande des jambes ; qui comporte un "corps" et une "jupe" (ou est "tube", "fourreau"), etc.,etc. Et le mot "robe" évoque aussi l'héritage antique de la "tunique" ou du "peplum", du vêtement unique qui protège tout en laissant grande liberté de mouvement. Robe, c'est aussi un nom commun, grammaticalement ; un héritage germain, évoquant le dépouillement d'une victime (dérober), étymologiquement.C'est un mot-clef d'une chanson d'Edith Piaf (Qu'elle est belle...). Dans un prochain article, je proposerai un auto-test là-dessus aux éventuels lecteurs curieux.
Comme l'information, mais avec l'intention en plus, le message est capté ou non, en totalité ou en partie, et il subit le même genre de traitement mémoriel que l'information. "Prenez votre livre à la page vingt-sept!" conjugue information et prescription. Ici, donc, les interrelations humaines prennent le devant de la scène : tel se hâtera de sortir le livre, tel autre retardera ostensiblement sa recherche, ou feindra d'avoir mal entendu.C'est l'action, non la connaissance, qui est l'élément signifiant.
Toujours est-il que l'information, enregistrée et "mise en réseau", devient disponible. Et c'est la situation dans laquelle cette information sera "rappelée", "convoquée" par celui qui en dispose , et la pertinence à cette situation de l'appel qui en sera fait qui importent. Cette pertinence peut être de deux sortes : celle de l'appartenance à une ou des catégories mentales (voir plus haut), celle d'être située à un "noeud" d'un processus de pensée (par exemple, anecdotique, ou logique ). Une connaissance, c'est à la fois "programmatique" et "logiciel", pour emprunter un vocabulaire à la mode. Plus le "réseau" de liens de la personne concernée est riche, plus les "noeuds" sont nombreux et interconnectés, plus une "connaissance" peut se voir utilisée diversement et pertinemment. Cette richesse, on peut la nommer "compréhension" : le savoir est "compris", enserré dans un tissu dense et étendu.
Si nous nous préoccupons, maintenant, de découvrir comment l'élaboration et l'emploi de "connaissances" se relient aux "apprentissages" et aux"compétences", nous allons encore avoir des surprises...Mais cela sera pour un autre article.