Vous souvenez-vous de "rien que..." ? Eh bien, "rien à voir" en est le pendant obligé.
Pour un chimiste, je suis "rien que" des atomes, qu'on peut décrire, lister, dénombrer. Pour un démographe, je suis "rien que" une unité, un individu, descriptible à partir de : né le, à, habitant (lieu, mode), CSP, niveau de diplômes, profession, revenu annuel, etc...Pour mon médecin, je suis "un patient", et un dossier d'antécédents, d'examens divers, de traitement en cours, de symptômes, etc...Pour un criminologiste, je suis un "dossier judiciaire vierge". Pour un, pour un, jusqu'à l'infini. Pour quelqu'un qui ne m'a jamais rencontré, je ne suis "rien qu'" un passant dans la rue"...
Mais, chose étrange, l'addition de tous ces "rien que" est bien loin de me reconstituer entièrement. Et même mes proches peuvent parfois me voir comme "rien que", à un moment donné ; quittes à changer de "rien que" la minute d'après. M'enfin, les atomes, "ça n'a rien à voir" avec le dossier judiciaire, me fera-t-on observer...C'est que nous ne savons nommer que d'un mot, décrire que "d'un certain point de vue" (on sait bien, pourtant, que d'un autre point de vue, le paysage semble complètement "autre"). Notre élaboration de connaissances (et de "reconnaissances") est réductrice. Nous découpons...
Et , découpeurs, nous ne savons pas "reconstituer". Les physiciens le savent bien, qui courent en vain après la "Grande Théorie" qui reconstituerait l'unité de leurs deux univers étrangers, "relativiste", et "quantique". Nous sommes incapables de "penser deux choses en même temps". Ce qui est un exercice techniquement facile, pour des spécialistes de l'image, faire de "points de vue" multiples un seul "hologramme" qui les intègre tous, est, non seulement impossible pour nous dans le domaine des idées, mais encore "déstabilisant", générateur de malaise. Chacun refuse de "sortir de sa pertinence".
Et pourtant... tout a à voir avec tout...nos échecs nous le démontrent chaque jour. Et ce qu'on ne voit pas est aussi réel que ce qu'on voit, un "changement d'angle" ou de distance suffit à nous en imposer la certitude...Et nous avons commencé à inventer des outils de "recollage des morceaux".Par exemple, les "groupes Balint" en médecine, qui postulent que le malade est membre de l'équipe engagée dans la tâche de rétablissement de la santé . Et aussi l'infirmière, et même la "fille de salle" qui ramasse les déchets et balaie, et nettoie les vitres ; et les amis ou parents qui visitent le patient. A des titres divers de compétences qui n'ont "rien à voir" entre elles...que le souci de réussir la tâche entreprise. Et qu'il faut bien inventer des moyens de conjoindre...de mettre en hologramme...
Pourquoi avons-nous tant de mal à affronter ces problèmes, à notre époque si "culturellement avancée"? parce que, pour les prendre à bras-le-corps, il nous faudrait devenir "relativistes", horreur! Et penser "dialectiquement ": encore une odeur de soufre! Nos a priori "découpeurs", monteurs de murs et traceurs de frontières, nous en empêchent. Essayons, à chaque instant, de nous souvenir qu'une membrane cellulaire, ou organique, ou une "peau", c' est à la fois une "protection" contre des éléments potentiellement nocifs de l'environnement, et "un lien,un passage" qui permet les échanges vitaux avec ce même environnement. Qui "ferme" et qui "ouvre", à la fois. Qu'un médicament n'est "actif" que parce qu'il modifie le fonctionnement de notre organisme ; et, donc, qu'il est potentiellement "bon", et "mauvais" à la fois.
"Je" est plusieurs, une infinité de "rien que" jamais épuisée, et dont chacune a à voir avec toutes les autres.