Derrière ce positionnement, alors qu'il peut s'agir d'une simple sous traitance, l'artiste générateur de contenu peut sans doute se rapprocher de la figure du manager. C'est une possibilité dont certains se sont fait une spécialité a exploiter. Par diverses stratégies, il convient alors de suivre un modèle de personal branding, qui consiste à se produire en tant que marque. Cette forme de réappropriation individuelle de savoirs collectif tombe désormais en désuétude. Si l'on s'écarte de cela, il est assez probable que d'autres figures d'artistes générateurs de contenus soient capables de dépasser cette conception de la “nécessaire“ exposition personnelle.
Si la posture qui s'adresse à un public délibérément restreint reste l'exact contraire de la façon de faire précédente, elle ne suffit pas pour constituer une alternative crédible à ce système. Il importe plus de s'adresser aux bonnes personnes plutôt qu'a peu ou beaucoup. Sorte de modérateur qui produit du dialogue et réunit diverses communautés, cette façon de générer du contenu est alors plus commune qu'individuelle.
Le côté déceptif de l'oeuvre peut intervenir alors pour signifier que dans notre position actuelle de spectateur nous ne sommes pas le type de public adéquat pour pouvoir en jouir. S'il y a modération, a ne pas confondre avec médiation, le sens de l'oeuvre peut s'exprimer dans une impossibilité de faire dialoguer différents genres. En tant que générateur de contenu qui fait dialoguer différents destinataires, l'artiste opère un choix, sélectionne ceux et celles qui vont échanger ensemble.
Mais, dans un autre cas de figure, et c'est ce que Ernesto Ballesteros privilégie, l'oeuvre peut aussi intervenir pour nous placer dans un espace temps différent sans que l'on soit déçu par ce que l'on regarde. L’émerveillement enfantin qu'il suscite grâce à ses avions, la diversité des publics auxquels il s'adresse, la pause qu'il nous permet de prendre entre les autres oeuvres présentées, font que ces avions sont de véritables supports sociaux. Ce qui reste intéressant dans son travail, c'est l'utopie que ses œuvres véhiculent.
Alors que Julien Discrit considère que le lien qui peut exister entre ces avions et son véhicule réside dans leurs utopies respectives, il nous montre, dans sa vidéo, un autre support mobile. Son véhicule d'hyper représentation, qui se fond dans son environnement, existe uniquement par ce qu'il reflète. Ce support, contrairement à ceux proposés par Ernesto Ballesteros, n'est pas doté d'une existence sociale, il explicite et anticipe peut être une production de biens trop bien insérés dans leur contexte de réception qui ne permettent plus de différenciation.
D'une certaine manière, nous pouvons considérer Ernesto Ballesteros comme une sorte de manager, puisque son travail durant sa résidence est de générer, motiver des pratiques et des relations sociales. En tant que maître ignorant, il agit auprès de sa jeune assistance pour la valoriser au regard des destinataires de la biennale d'art contemporain. Il peut illustrer la figure de l'artiste générateur de contenu détaché du personal branding mais reste à l'intérieur du cadre d’exposition institutionnel et pourrait agir de façon à contaminer le réél sans être obligé de s'exposer avec son propre nom.
Certains se font passer pour des amateurs, jouant les ingénus, usurpant des identités multiples, quelconques. D'autres s'approprient tellement bien le travail des autres qu'ils parviennent à revendiquer une singularité spécifique. Et puis, voici d'autres individus, sortes de modérateurs qui sont caractérisés par leur force moyenne. Loin des hyper caractères, encore moins dans un pathos romantique, leur attitude défie toute posture en tant que moyen pour parvenir à une finalité.
Auteurs de montages constitués à partir de pratiques amateurs, ou, à l'inverse, ultra spécialisées, les créateurs de “documents poétiques, comme l'analyse Franck Leibovici, jouent entre différents registres, différents genres. En usurpant des identités, sans revendiquer leurs actes, à l'aide de preuves, d'indices, ils permettent de créer des fictions à partir de faits ainsi établis comme véridiques. Ces manipulations, agencements, montages, dépassent un cadre administratif ou les destinataires initiaux de ces documents limitent leur pouvoir esthétique et poétique. Il s'agit également de supports sociaux, ou les relations sociales sont fictives.
Par différents anachronismes, les auteurs de ces documents suscitent chez leurs destinataires des doutes sur la véracité de ce à quoi ils sont confrontés. Une remise en question de ce qui est donné pour cohérent et producteur d'historicité peut intervenir. Le résultat peut être une distance critique plus importante vis à vis de ce qui fait preuve, vis à vis de l'argument qui légitime une action collective, mais également notre propre subjectivation.
Dans le cas présent, la force de l'artiste est sa capacité à nous faire changer de posture, de position mentale, pour rentrer dans un dialogue qui ne s'adressait pas à nous. Sans rester dans la précarité de devoir s'exposer individuellement, ces artistes contaminent ce que l'on appelle de réel pour maintenir le spectateur vigilant vis a vis de ce qu'il regarde et favorisent l'empathie de ce dernier vis à vis de quelque chose qui ne le concerne pas à première vue.
Je tiens à remercier Ernesto Ballesteros et Julien Discrit pour leur disponibilité.
Cet article fut publié sur le blog de la biennale de lyon.