J'aime assez cette entrée par effraction dans une édition vide. D'en avoir parlé ailleurs a donné envie à d'autres de s'y installer. Et c'est très bien comme ça ! D'ordinaire, la philosophie n'est pas aussi bonne fille ; elle tient à ce qu'on n'entre chez elle qu'après avoir franchi des étapes dûment répertoriées, elle a souvent une manière bêcheuse de regarder de haut ces gens qui prétendent faire de la philo dans des espaces non homologués, elle a des réflexes d'aristo persuadé que les meilleurs sont nécessairement en nombre limité. Que n'a-t-elle pas dit sur les cafés philo ? elle semblait avoir pour elle, une fois n'est pas coutume, l'opinion commune qui n'a que mépris pour les discussions de Café du commerce. De quels titres les animateurs des cafés philo pouvaient-ils se targuer ? Je me souviens de cette jeune prof qui était venue en observatrice dans un café dont je m'occupais et qui s'étranglait d'indignation que le sujet proposé à la réflexion fut celui qui préoccupait un jeune couple : à l'époque qui est la nôtre, a-t-on le droit de faire un enfant ? mais ce n'est pas un sujet philosophique - elle avait raison, on n'aurait jamais posé cette question au bac ! mais cette question n'était-elle pas susceptible, comme toute autre question, d'un traitement philosophique, la suite lui aurait prouvé le contraire, si elle avait seulement pu l'entendre.
Mais là il n'y a personne pour garder la barraque. Le propriétaire doit travailler ailleurs et à des choses sûrement très intéressantes. J'espère qu'il ne sera pas désappointé de voir sa maison squattée quand il y reviendra.
On ose, donc, franchir le seuil, s'étonner de ce que sa voix résonne de façon curieuse dans ce vide, mais en espérant qu'elle éveillera des échos, tout en craignant que quelques fantômes nous aient déjà précédés. Et qu'est-ce qu'on va faire ? tâcher de raisonner ! pour l'instant, un simple clin d'oeil : l'audace nous est conseillée par Kant lui-même, dans un petit texte (Réponse à la question : Qu'est-ce que les Lumières ?), "aude sapere", "ose savoir", "ose te servir de ton intelligence". Ose faire un pas en avant : qu'est-ce que tu risques ? de te casser la gueule ? et alors ? ça ne t'ai jamais arrivé quand tu as commencé à marcher ? tu t'es relevé et tu as fini par marcher, comme tout le monde. Pourquoi ne serait-ce pas la même chose pour l'intelligence ?
Ce thème du pas en avant se retrouve dans le livre de Badiou, "Manifeste pour la philosophie".
Voilà, nous sommes maintenant deux dans cette édition. Et ce serait bien que nous soyons plus nombreux. Car il manque, me semble-t-il, à Mediapart une philosophie de sa pratique - d'où des débats un peu désordonnés sur l'anonymat, par exemple, ou sur la nécessité ou non de respecter des règles dans la discussion ou sur la nécessité de la règle du respect, ou sur le narcissisme du bloggeur - ou sur le temps de la réflexion qui n'est pas celui, forcément, de la réplique immédiate à l'idée qu'on a cru déceler dans le billet de tel ou tel .... Ca ressemble furieusement à un programme, mais ce n'est peut-être pas tout à fait inutile.