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Billet de blog 2 juil. 2008

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Vote irlandais : le peuple à nouveau victime émissaire de l’ « effondrement » du Politique en Europe.

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Après le vote irlandais, faudrait-il se résoudre comme dans le poème "la solution" de Bertolt Brecht à dissoudre les peuples qui ne veulent pas du menu que les grands cuisiniers de l’Europe veulent leur servir pour leur bien.<!--break-->Contre toute attente, le piège de la démocratie référendaire se referme sur ceux qui avaient mauvaise conscience de cheminer tous seuls sur la voie européenne sans que les citoyens soient consultés de temps en temps.

Rebelote, après la France et la Hollande, l’Irlande a rejeté un traité soit disant simplifié et n’ayant plus prétention constitutionnelle.

Jean Pierre Jouyet, Secrétaire d’Etat aux affaires européennes, s’est dit « effondré » par cette nouvelle sanction du projet européen.

Les sempiternels commentaires soulignent le manque d’explication, de communication, l’incompréhension des peuples quand, nouvelle trouvaille, ce n’est pas leur égoïsme pur et simple selon l’eurodéputé vert Cohn Bendit.

Vraiment ces peuples récalcitrants sont intraitables, ils ne se rendent pas compte du mal qu’ils font à la fragile construction européenne !

Si l’on prenait le problème un peu autrement, on ouvrirait les yeux de nos chers hommes politiques nationaux et européens.

Illustrons simplement notre propos : vous êtes un citoyen de l’Union européenne dans un pays qui a décidé que la ratification du traité européen se ferait par voie référendaire.

Ce choix est minoritaire en Europe car la plupart des pays ratifieront le traité par voie parlementaire.

Pour de raisons politiques ou constitutionnelles (comme en Irlande) certains gouvernements souhaitent associer leurs concitoyens aux grandes orientations qu’ils doivent prendre notamment sur le projet européen et la consultation référendaire leur semble plus démocratique.

C’est là que le cauchemar commence !

Petit travelling arrière : Valery Giscard d’Estaing préside avec ses deux Vice présidents, le belge Jean Luc Dehaene et l’italien Giuliano Amato la Convention sur le traité constitutionnel.

Siègent à cette Convention les plus brillants esprits européens sous la houlette de VGE.

Cela ne les préserve pas d’erreurs inimaginables dans la méthode et la stratégie.

Car on connait la suite avec le vote français, puis hollandais, enfin irlandais et les bourdes grossières et multiples que les « conventionnels » ont pu commettre dans la mise au point de ce qui sera proposé, soit au référendum populaire, soit au vote parlementaire dans les Etats membres de l’UE.

Quelques indices : le contenu de la proposition proprement illisible (quantitativement) et incompréhensible (amendements à des textes antérieurs). Le traité « simplifié » n’y remédie pas.

On peut être certain d’une chose : il n’y a pas que le simple citoyen qui est perdu par le caractère abscons et ardu du texte : les parlementaires ont heureusement des consignes de vote car rares sont ceux qui ont pu avaler un tel pavé peu sexy.

Les antis ou alter européens s’en donnent à cœur joie, ils décortiquent le texte, le saucissonnent à loisir pour en garder les morceaux choisis répulsifs venant nourrir leur cause.

Les pro-européens se retrouvent sur la stricte défensive en étant mis en demeure de s’expliquer même sur l’intérêt de la construction européenne.

Si l’on s’étonne beaucoup des résultats lorsqu’ils sont négatifs, peu de voix analysent ceux-ci comme le résultat de l’indigence politique et méthodologique du projet soumis au vote.

En réalité, le projet est à la hauteur de l’inconsistance politique de l’UE : il est strictement composé d’amendements aux textes fondateurs que, bien entendu, le citoyen est censé connaitre pour juger des modifications apportées. A défaut de Politique, l’Europe se contente de n’être qu’un nain « soft power » juridique dont les règles sont consolidées dans des traités signés dans des capitales ou villes européennes.

Autre erreur magistrale des « conventionnels » : celle de ne pas faire voter l’ensemble des pays européens le même jour que ce soit sous forme de référendum ou non. Ceci aurait donné une cartographie immédiate du vote en Europe bien plus favorable à la poursuite d’une dynamique européenne.

Contre toute attente pour des européens avertis, ceux-ci préconisent une ratification nationale du nouveau Traité, Etat après Etat, procédure d’escargot qui donne lieu, comme on le verra dans les pays choisissant le référendum, à la résurgence de débats nationaux sans rapport direct avec la question (peu compréhensible) posée.

Au delà de ces aspects non négligeables, qui obstruent la lisibilité du projet, la raison fondamentale de l’indifférence ou de la méfiance dans la perception qu’ont les citoyens de l’Europe réside dans la question de la souveraineté nationale versus européenne.

Les peuples sont prêts à suivre leurs gouvernants lorsque ceux-ci, renonçant à des prérogatives nationales pour les déléguer au niveau européen ont la conviction que l’Europe est en meilleure position pour défendre et promouvoir leurs intérêts dans la mondialisation.

Or tout se passe comme si cette délégation était ressentie comme un abandon pur et simple de souveraineté, unilatéral et sans contrepartie, dans la mesure où l’Europe ne se donne pas les moyens d’agir à travers des politiques communes internes et externes sur l’échiquier régional et mondial.

Pour quelles raisons, dans les divers pays, les citoyens verraient d’un bon œil une Union européenne qui, à force de s’aligner sur le plus petit commun dénominateur (c'est-à-dire sur ceux qui, comme les anglais, ne veulent pas de politiques ou de stratégies communes mais se contentent d’une Union européenne espace commercial mondial de libre échange, sans véritable instruments de maîtrise et de régulation de la mondialisation), ne leur donne pas le moindre de signe des avantages qu’il y aurait, pour eux, à se dessaisir d’actions économiques et politiques au plan national au profit du niveau européen.

Ils ne voient en aucune manière les bienfaits une telle carte européenne et se replient sur leur espace national dont ils aspirent à la protection.

Les experts en questions européennes, au lieu se livrer à des analyses psychologisantes sur l’égoïsme irlandais, devraient méditer cette question de l’envergure politique de l’UE afin d’en tirer quelques enseignements sur la frilosité et les rejets populaires de textes bureaucratiques incompréhensibles qui ne font qu’aviver la défiance politique à l’égard de tout projet européen.

Aujourd’hui on est surtout effondré par cette incapacité des Politiques européens à présenter à leurs peuples les principes, valeurs et orientations qui seraient ceux d’une Union européenne voulant jouer pleinement son rôle au niveau mondial tout en mettant en avant son modèle d’économie sociale de marché ou encore le modèle nordique.

Incapables de traduire dans des termes simples et forts la signification et la volonté de l’Europe, les peuples rejettent les greffes technocratiques qu’on leur soumet et se réfugient dans la douce illusion de l’espace national protecteur.

Les Politiques nationaux et européens des diverses instances de l’Union (Conseil, Commission, Parlement) portent une très lourde et grave responsabilité dans la paralysie de la construction européenne.

Suite au référendum irlandais, les pleureuses européennes cherchent à nouveau à faire porter le chapeau de leur inconsistance politique et stratégique aux citoyens récalcitrants et sceptiques, au lieu de reconnaitre, une bonne fois pour toutes, leur indigence en termes de vision et de méthode pour penser l’Europe, partager son projet et emporter l’adhésion consciente des peuples.

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