Huit ans plus tard, les beurs remontent sur scène. Depuis le temps, l’ambiance, le ton et l’énergie ne sont pas partis. Au théâtre Antique, on a même retombé la chemise.
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Dès le début du concert, le ton et les valeurs sont donnés. Ludovic Thomas, communiste de l’étape scande « l’antifascisme et l’antiracisme ». Le « Second Tour » est lancé et Zebda entame les chansons de leur nouvel album. Le temps et leur cheveux grisonnants (sauf pour les Hakim et Mustapha, chauves) n’ont pas gommé la présence et le jeu du groupe. Le public se trémousse, participe. Un début de complicité apparaît.
Tout bascule sur un classique de 92. « Tous les enfants de mon quartier même d’ailleurs... » et tout le théâtre tombe la chemise. Mouss et Hakim descendent dans la fosse et traversent le théâtre pour faire se lever le public frileux des gradins. « Le patrimoine, c’est pas que les vieilles pierres, c’est nous ! » scande Hakim.
Trop beau pour durer ? Les musiciens nous font croire que c’est la dernière. Mais c’est trop tard, le public est chaud et l’intensité des rappels ne laissent pas le choix. Ca revient ! Du bonheur révolutionnaire. Les paroles engagées font se lever les poings. La groupe dit au revoir, mais le public en redemande et entonne : « Motivé-e-s, motivé-e-s ». Ca tombe bien le groupe connait les paroles... et c’est reparti.
On finit le poing levé, le cœur rempli. « On va pas changer le monde, mais demain on se réveillera... » Il nous reste encore les rêves et cette bonne dose d’énergie.
L'(en)chanteur désenchanté
Magyd Cherfi, un des trois chanteurs de Zebda revient sur le fil rouge de sa carrière : son engagement citoyen.
L'album Second tour, c'est l'album où vous réaffirmez vos valeurs et vos idéaux.
Pour nous, c'est toujours le même message. Ce sont des chansons comme des combats, contre le racisme, les antisémitismes, tous les fascismes... C'est tout le temps des thèmes de la société comme ça pour dénoncer l'intolérance et beaucoup du racisme anti-maghrébin, anti-africain, parce que nous sommes nous-même des fils d'Algériens et Français.
Et ça fait pas ''chier'' que vous ayez commencé à la fin des années 90 et que la situation ne se soit pas améliorée ?
C'est vrai, oui. C'est-à-dire qu'au début quand on est jeune, on a vingt ans, on se dit qu'avec des chansons on va changer les choses. Et finalement, c'est vrai qu'on continue à chanter et que c'est pas ce qui arrange les problèmes dans la vie. Nous, après, on le fait parce que c'est notre façon de vivre que d'être dans le combat politique. Mais je reconnais que ça change pas grand chose.
Et à quel âge vous l'avez eu cette désillusion-là ? Parce qu'au début, oui, vous y croyiez ?
On va dire que c'est pas quelque chose qui vient d'un coup. On s'en rend compte petit à petit et on se dit tiens, les choses ne changent pas. Ou bien on se décourage et on arrête, ou bien on se dit : de toute façon c'est la seule chose que je sais faire, donc je continue.
Vos valeurs ne changent pas, mais les textes prennent-ils en maturité ?
Oui, avec le temps il y a beaucoup plus l'utilisation de l'ironie, du second degré, une forme de cynisme un peu. Une forme plus décalée, moins frontale.
Toujours le combat, mais un peu moins virulent ? Le temps où vous croyez changer les choses est révolu, mais vous avez des restes ?
Oui, on lâchera pas l'affaire parce qu'en tant que citoyens, on est quand même habités par des convictions politiques. On est des gens de gauche et on croit aux valeurs de gauche. Même si elles ne font plus rêver, on a grandit avec ces valeurs et elles sont comme soudées à notre corps.
Vous avez dit qu'on arrivait pas à faire changer les choses avec de la musique, mais vous avez aussi essayé de le faire avec de la politique. Quelle a été votre expérience ? Est-ce qu'elle est terminée ?
Disons que oui, on s'est engagés, notamment aux municipales de Toulouse de 2001. On a eu beaucoup de succès parce qu'on est passés au second tour. Voilà, on était à deux doigts d'obtenir des postes d'élus. Et on s'est rendu compte qu'on était allé trop loin. Que dans la vie il faut choisir : on est artiste, ou on est élu. Les deux ne vont pas ensemble. On a presque eu de la chance de ne pas avoir été élu par le peuple.
Les valeurs ne suffisent pas, c'est aussi un métier d'être élu...
Oui, l'artiste il est libre. Avec l'imaginaire, il peut décrire le monde et promettre le meilleur en chanson. Alors que dans un discours politique on ne peut pas. On est obligé de promettre des choses qu'on ne tiendra pas, alors que l'artiste peut tenir ses promesses, il ne s'agit que d'une chanson.
Qu'est-ce-qui a changé dans l'état de la société depuis les années 90 ?
Je crois que ce qui a le plus changé en fait c'est que la jeunesse croit de moins en moins aux hommes politiques et aux idéologies politiques. Parce que justement depuis plus d'un siècle, chaque idéologie promet un monde meilleur, promet le partage des richesses, promet l'égalité, la liberté, la fraternité... Et au bout de tant de temps, les jeunes disent que tout ça c'est que du vent et donc c'est difficile des les accrocher. Il y a une désillusion de la jeunesse, je crois.
Comment on fait aujourd'hui pour intéresser les jeunes s'ils ne croient plus en un changement radical, s'ils ne croient plus aux idéaux politiques ?
Moi, personnellement, j'ai pas la solution. Sinon, je la vendrais à prix d'or ! Non, je sais pas. Finalement, un artiste, il est là, il constate, mais il se rend compte qu'il n'a pas vraiment de solution.
Quelque chose à rajouter ?
Je dirai qu'il faut mieux être engagé même si on ne change pas les choses. Que ne pas être engagé du tout et être un mollusque au milieu des humains.
Eric Besatti, Pauline Pidoux, Julien Mazars / le gai savoir