Après les habituels petit déj oriental, apéro découverte et sieste musicale, les mélodies venues d’Argentine (Mandy Lerouge), de Catalogne (Tarta Relena) et d’ailleurs fendront la chaleur arlésienne par leurs sonorités plurielles, nées des cultures dont elles sont empreintes, qu’elles soient locales ou lointaines, ethniques, linguistiques ou territoriales. Des musiques qui transformeront, le temps d’une semaine, la ville en véritable rose des vents à la croisée des Caraïbes, du Sénégal, de la Corée du Sud ou encore des Pays-Bas. Des musiques avec un s comme ce Sud global dont la latitude plastique trahit la réalité d’un monde coupé en deux parts inégales, et dont les puissances du Nord montrent plus que jamais les muscles. Un monde effrayé par sa propre finitude qui se frappe bien souvent en dessous de la ceinture, celle qui sépare Nord et Sud évidemment.
Ce sont ces Suds-là aussi que défend la programmation du festival depuis 30 éditions. 30 semaines de concerts, de conférences, de projections et de ces fameux stages qui font l’âme de l’évènement. Des stages pour transmettre savoirs-faire et savoirs-être de la manière la plus organique : celle d’être ensemble et d’échanger pour lutter contre l'uniformisation du monde (à minima celui de la musique). Des stages pour faire perdurer les traditions du bout des doigts (guitare argentine, calligraphie persane) à la pointe des pieds (afro-krump, flamenco), des papilles (cuisine japonaise) aux cordes vocales (chants tziganes, polyphonies de Géorgie).

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C’est parce que ces pratiques incarnent de multiples façons de vivre et donnent corps à cet autre qu’on nous incite de toutes parts à mépriser, à jalouser, à craindre mais jamais à comprendre, qu’il nous incombe de vivre cette joie collective et de faire corps face au danger d’une extrême-droite sortie du bois. Rassemblons-nous donc, ici et ailleurs, dans la riposte festive face aux idées brunes florissantes en France, et soyons critiques d’un Occident qui réclame notre adhésion inconditionnelle tandis qu’il perd la face et son honneur, aux mains de petits caïds fanatiques et paranoïaques.
Célébrons l’ouverture d’une semaine festive pour s’écouter, se voir et se toucher, pour ne jamais ôter à l’autre son humanité, autorisant dès lors les crimes les plus sordides dans l’indifférence la plus crasse. Réaffirmons que personne n’est illégal, ni les exilés en Méditerranée, ni ceux que l’on pourchasse dans les gares de campagne, ni ceux dans la Manche que l’on gaze jusque dans leurs pneumatiques. Car au-delà des formules creuses des populations déplacées aux vagues migratoires, derrière l’arithmétique abjecte de ces autres qui “perdent la vie” comme on perdrait son chemin, (sur)vivent des hommes, des femmes et des enfants, fait·es de joies, de peines, de rêves et de convictions. Ces autres qui tombent par la faute des bombes mais jamais de ceux qui les ont lancées ni commercialisées ni fabriquées. Ce sont ces autres et leurs cultures venues du Sahel, d’Arménie, d’Ukraine, de Palestine et de bien d’autres Suds symboliques que le festival invite à résonner depuis toutes ces années dans son théâtre d'opérations maison.

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Pour fêter ces trois décennies de rencontres, de rires et de larmes, l’équipe du festival propose une carte postale signée de leurs ami·es d’hier et d’aujourd’hui, témoin de la richesse de ses influences. Entre primauté (Yerai Cortes) et exclusivité (Stick in the Wheel), création (Raül Refree & Walid Ben Selim), découverte (Tales & Ahlam) et nostalgie (Trio Joubran), le festival affirme son rôle de porte-voix autant qu’il compte insuffler l’énergie à ses festivalier·es de faire bloc contre l’attaque réactionnaire et la panique identitaire du vieux monde et de ses nouveaux-nés, face au vacillement de leur hégémonie, enfermés à l’étage d’une maison qui brûle.
La Culture – force politique par excellence –- répondra cet été en France, comme elle l’a fait à Glastonbury (Kneecap, Bob Vylan) ou au INmusic festival de Zagreb (Massive Attack, Fontaines D.C.) en dénonçant la cécité complaisante de nos dirigeants face au génocide palestinien et au mépris du droit international. Mais c’est sûrement les mots de l’artiste nigérian Seun Kuti, fils cadet de Fela Kuti, lors de son concert au festival croate qu’il faut retenir : “Free Europe. Free Europe from right-wing extremism. Free Europe from fascism. Free Europe from racism. Free Europe from imperialism. When you do this job – as soon as you do this job – Gaza will be free, Congo will be free, Sudan will be free...”

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Quoi de mieux alors que ce 14 juillet pour ouvrir un bal véritablement populaire et célébrer la fraternité, applaudir le défilé des artistes du monde entier pour une semaine bien plus que tricolore, sans artifice, et qui promet – paraît-il – de finir en fanfare.