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Billet de blog 15 juil. 2012

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Algérie(s) 2/4 : Pierre Daum pour libérer l’Histoire

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Dans son livre « Ni valise, ni cercueil » Pierre Daum révèle que 200 000 pieds noirs sont restés en Algérie après la fin de la guerre, soit 1 sur 5. Un aspect de la guerre d’Algérie jusqu’alors jamais porté à la connaissance du public. Dans un contexte où la guerre des mémoires fait encore rage, la démarche est couillue.

Selon vous, pourquoi cette réalité historique a été si longtemps occultée ?
Il y a un faisceau de raisons. La première, c'est que dès l'été 1962, l'Algérie disparaît complètement des médias français de façon nette.  Avant l'été 1962, l'Algérie est à la une de tous les journaux. Mais une fois que la guerre est finie et que l’Algérie devient indépendante, les médias français se désintéressent totalement de l’Algérie. C'est un phénomène plus large. La société française en avait marre depuis plusieurs années du boulet algérien, du boulet de la colonisation. Elle vit la fin de la guerre d'Algérie et la fin de la colonisation comme un soulagement. Il n'y a donc plus personne pour interviewer les Français qui sont restés.

« on n’a pas assez conscience des liens extrêmement profonds qui lient une immense partie du peuple français à une immense partie du peuple algérien »


Deuxième raison, en France le discours est immédiatement dominé par une minorité de pieds-noirs issus du militantisme ‘’Algérie Française’’  rudement bien organisés qui créent tout de suite des associations de rapatriés. Ils construisent un discours dans la continuité de celui qu'ils tenaient en Algérie, à savoir qu'ils sont des victimes innocentes, obligées de quitter leur pays à cause de méchants arabes assoiffés de sang. Et donc qui les auraient forcés à partir sous peine de mort. Les médias français se contentent donc  de ce discours. Celui-ci aura une durée de vie exceptionnelle, jusqu'à aujourd'hui.
Vous n'avez quand même pas peur de mettre les pieds dans le plat. Vous êtes un habitué des enquêtes historiques qui remettent en cause l'histoire coloniale de la France.
Toutes mes enquêtes touchent un sujet pouvant être délicat parce que la France et les Français n'ont toujours pas réglé leurs histoires et leurs mémoires avec le passé colonial. Et en plus, je révèle des aspects particulièrement enfouis. Et quand un peuple enfouit certains aspects de sa mémoire, c'est qu'ils sont gênants. Donc par définition, révéler des pages enfouies de l'histoire coloniale française, c'est forcément révéler des choses qui  sont pas très agréables. C'est pas que je cherche à provoquer, je cherche à révéler comme les journalistes aiment le faire. C'est pas de la provocation pour de la provocation.

« une reconnaissance des crimes de la colonisation française en Algérie afin de dépasser enfin ces tensions »


Y a-t-il un travail à faire sur le passé colonial pour que la société française vive plus apaisée ?
On n'a pas assez conscience des liens extrêmement profonds qui lient une immense partie du peuple français à une immense partie du peuple algérien. Les Algériens, pour les Français, c'est vraiment un peuple tout à fait particulier parce que l'Algérie était une colonie de peuplement. Des liens particuliers avec les pieds-noirs évidemment, et il y a eu ces années de guerre avec l'envoi de presque un million et demi de jeunes appelés et ensuite il y a eu toute l'immigration ouvrière algérienne en France. Donc tous ces hommes et ces femmes et leurs familles, ça fait presque un quart de la société française directement liée avec l'Algérie.
Or, l'histoire de l'oppression coloniale française en Algérie n'a pas été suffisamment clarifiée en France. C'est là où je renvoie à l'historien Gilles Manceron qui appelle à une reconnaissance par un discours du président de la République. Une reconnaissance des crimes de la colonisation française en Algérie afin de dépasser ces tensions coloniales et établir à la fois des relations sereines avec l'Algérie mais aussi en France. Pour être plus concret, mettons nous un instant à la place de Français issus de parents ou grands-parents algériens. Ils sont français, nés en France, citoyens français et ils savent très bien comment les villages de leurs aïeux ont été bombardés par l'armée française, comment les soldats ont torturé les Algériens. Et lui, il est en France, il est Français et donc y a des souffrances. Y a des non dits qui ont absolument besoin d'être dits officiellement pour qu'ensuite, tout le monde puisse tranquillement tourner la page.
Pour revenir à cette minorité de pieds-noirs qui sont dans ces associations de rapatriés, ils font un lobby très actif depuis des années, pour empêcher tout discours de reconnaissance. Au contraire, ils ont réussi notamment à faire voter une loi en 2005 imposant aux enseignants dans le secondaire d'expliquer aux élèves des collèges les bienfaits de la colonisation. Là, on marche sur la tête.

« y a des non dits qui ont absolument besoin d’être dits officiellement pour qu’ensuite tout le monde puisse tranquillement tourner la page »


Pourquoi  800 000 pieds-noirs ont quitté l’Algérie en 1962 ?
Maintenant que j'ai détruit un discours simpliste et monolithique du genre ''c'était clair que si tu restais, tu te faisais zigouiller'', ça ouvre le champ à de vraies recherches et j’espère que des chercheurs vont s'y atteler.

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