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Billet de blog 18 juillet 2025

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Piers Faccini et Ballaké Sissoko : « Tout ce qu’on fait, c’est pour ne pas parler »

L’association des douces ballades folk-blues de Piers Faccini et des mélodies scintillantes du griot Ballaké Sissoko, héritier de la tradition mandingue, et maître de la Kora, n’allait pas forcément de soi. C’était sans compter sur la curiosité de ces deux-là, et leur vision commune de la musique et de la rencontre.

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Un chemin qui passe par la France, par Vincent Ségal (génie ET violoncelliste), par le Label Bleu, quelques collaborations et – enfin – par l’album Our calling, sorti en début d’année. On va pas dire qu’on l’a pas vu venir. Lorsque deux étoiles de la musique gravitent ainsi l’une autour de l’autre pendant tant d’années, que leurs traits d’unions frétillent, qu’on les croisent ici et , selon le millésime des Suds à Arles, c’est que “something is cooking”. A fortiori quand les disquaires – damné·e·es de l’étiquetage – s’obstinent à les ranger dans des bacs aux antipodes l’un de l’autre.

Deux étoiles qui se tournent autour puis s’épousent, et dont la beauté de la collision n’a d’égal que l'écho feutré de son fracas. C’est cette onde gravitationnelle qui a fait vibrer le public du festival au théâtre antique l’autre soir, de la fosse au sommet des gradins. Un moment suspendu, porté par une écoute silencieuse dont le public des Suds a le secret. Une communion, entre les protagonistes et la foule, conquise par ce tête à tête à tête à tête…. autant de têtes qu’il y avait d’âmes, chacune persuadée qu’elle était lovée dans l'alcôve d’un showcase privé. Expression chimiquement pure du festival, le duo, programmé en début de soirée avant le très attendu Salif Keïta, n’a laissé personne indifférent. Vingt ans d’amitié pour nous mener ici, ce soir-là, parmi des pierres qui en ont cent fois plus.

Illustration 1
© Sandy Korzekwa

Piers Faccini : À l’époque, j’aimais bien me projeter et me dire : “un jour, si je travaille, que j’étudie, et que j’essaie de vraiment comprendre le langage musical mandingue, les modes, les rythmes, là on aura une vraie conversation et un dialogue”. C’est la promesse que je me suis faite. Le temps a permis cette conversation. Ballaké et moi aimons bien prendre le temps de faire les choses, et si on a une relation et une amitié musicale, ce n'est pas juste pour deux ou trois concerts, c’est du temps long.

Ballaké Sissoko : Moi je suis fan de musique, donc je suis vraiment curieux de connaître toutes ses réalités. Je ne me base pas que sur ce que je connais. Il ne faut pas laisser son instrument dans une caverne, il faut sortir de son domaine et savoir apporter à l’autre. C’est donc la même chose pour moi : pour bien faire quelque chose, j’aime prendre le temps de la comprendre. J’ai appris la musique selon l’amour du cœur et l’écoute. Donc c’est ça qui nous a donné cette belle folie.

Pour nos deux oiseaux, inspirés par le chant du rossignol et la richesse de sa migration entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe, Our Calling est un appel, un langage, que les deux musiciens partagent sur scène avec une attention permanente l’un pour l’autre, et un plaisir réciproque d’écouter son partenaire comme depuis le premier rang, debout, avec nous.

Illustration 2
© Sandy Korzekwa

Piers Faccini : Le mot “calling” a cette connotation de vocation. Ça ne veut pas dire qu’on est à l’aise et qu’on veut parler musicalement avec tout le monde, même un musicien incroyable. C’est un truc de synchronicité, de complicité et ça se joue dans le silence. C’est une compréhension qui ne passe pas par les mots. C’est un feeling, on sent la cadence, la danse, les flots d'improvisation. Et s’il n’y a pas ça, c’est pas possible.

Ce silence, c’est celui d’être seul à deux, celui de se comprendre du regard, de savoir quand et comment marcher de concert dans les mêmes traces de pas, le temps d’un programme, assurément trop court. Ne leur demandez donc pas de se décrire l’un l’autre : vous passeriez à côté de l’essentiel.

Piers Faccini : Pour moi, chercher à définir, c’est être en dehors de la musique. C’est paradoxal de dire ça dans une interview, mais tout ce qu’on fait, c’est pour ne pas parler. Quand on parle on limite, on met les choses dans des cases, dans des boîtes, et la musique c’est tout le contraire. C’est laisser les choses libres. Laisser la possibilité d’être surpris concert après concert et de ne pas faire deux fois la même chose.

L’album, enregistré en seulement cinq jours au Studio de la Frette, et restitué mercredi soir sur la scène arlésienne, porte en lui ces chaleureuses lignes de chant anglophone ajustées au phrasé mandingue, garnit des volutes lyriques de Kora et d’une guitare à la limite d’un blue au grain contenu et maîtrisé. Du devant, on pouvait de temps à autre entendre les approbations du grand Sissoko, assis derrière son instrument, et visiblement ravi de leur discussion. Caressé par le souffle chaud de l’été arlésien, ce dialogue intimiste se ponctue par le single If Nothing is Real

Piers Faccini : J'imagine ce morceau comme une chanson d’amour. Celle d’un couple qui se parle et qui se dit : “l’amour, ça ne marche que si on est dans le moment présent”. Si on est dans le passé, on est dans les regrets. Si on est dans l’espoir, alors on est dans quelque chose qui n’est jamais arrivé, donc c’est abstrait. 

Le cadre ici, avec ces pierres vieilles de plus de 2000 ans, c’est hyper inspirant. On n’est que deux mais on joue avec la confiance que ce qu’on raconte prenne l’espace et l’attention du public. Le disque est aussi un disque qui est ancré dans le temps, on y parle toujours un peu de tradition et des anciens, même si on veut aussi raconter quelque chose de nouveau. C’est un peu l'histoire de ce décor.

On ne sera jamais assez reconnaissant·e envers les Cévennes, qui ont capturé Piers dans leur filet en 2007, alors qu’il migrait avec sa femme vers l’Espagne. Un cadre et une nature qui l’ont adopté et grâce auxquels, peut-être, sa musique pleine de gratitude et de spiritualité, a pu si bien se fondre dans celle de son ami Ballaké. Une chance pour nous aussi, d’apprécier les impressions de l’artiste, au fil du concert, en français dans le texte.

Illustration 3
© Sandy Korzekwa

En guise de rappel, ils reprennent Kadidja. La chanson par laquelle tout a commencé. Celle que Piers découvre il y a bien longtemps, en ramenant un disque de l’Ensemble Instrumental National du Mali chiné du marché aux puces. Celle par laquelle il tombe amoureux de la Kora. Celle dont il apprendra plus tard, de la bouche même de Ballaké, qu’elle est interprétée par le père de celui-ci, nul autre que l’illustre Djelimady Sissoko.


Le duo se produira, entre autres, le 18 Septembre à Londres et le 9 Mars 2026 à l’Olympia.

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