La fête. Les souvenirs acidulés d’une enfance des années 80 et 90, où tout semblait plus simple. L’amour adolescent né d’une rencontre en discothèque. C’est le vent frais qu’est venu souffler vendredi soir Tales & Ahlam pour une nuit des Suds toujours aussi pertinente dans sa mission : libérer les énergies positives, sauter dans tous les sens et crier sa joie. Youpi youpi, l’école est finie, direction la cour de l'archevêché, cette bonne vieille cour de récré. Dès leur entrée sur scène, le ton est donné. Leurs costumes à carreaux pastels et anguleux m'évoquent les sacs Tati, Barbès, les jeux en plastoc de mon enfance, les pub Kodak et même la Citroën Visa jaune de mes parents : comment ont-ils su ?
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Célinatique : Je suis artiste et styliste de formation et j’adore les couleurs, la folie et le côté un peu kitsch et sarcastique, donc oui, pour nos visuels on aime bien un peu faire les fous et s’inspirer des pubs qu’on regardait quand on était petits.
Bab : Tout se rapporte à l’enfance, regarde je suis habillé comme quand j’avais 16 ans (il porte un jersey bleu, type baseball, et elle une jupe en jean), donc c'est vraiment une espèce de guilty pleasure.
Ça, c’est pour les yeux. Pour les oreilles, attendez-vous à retrouver avec nostalgie le son des synthés et des boîtes à rythmes de la compil Megamix de votre autoradio, nappé des lignes de chant arabe de Célinatique. Pas de doute, c’est bien les Suds. Le duo pioche ses sonorités dans le raï des Chebs, mais aussi l’évocation vocale des grandes divas de la musique arabe que sont Sabah, Oum Kalthoum, ou Fairouz. En voilà une belle rencontre.
Célinatique : On s’est rencontrés à Paris, lui habite à Villejuif, et moi à Aubervilliers. Je fréquente beaucoup les artistes qui m'inspirent et les lieux où il y a de la musique “électro orientale” (comme on l’appelle). On s’est rencontrés au concert de Wael Alkak, c’est un musicien que j’adore et dont je ne ratais aucun concert.
Bab : J'ai appris que Céline chantait. Je faisais de la prod dans mon studio et à un moment j’ai eu besoin d’une chanteuse, et la magie du studio s’en est suivie. Aujourd'hui on a de la chance, on a monté un groupe dans lequel on s'épanouit vachement, on puise dans nos influences d’enfance respectives, et moi je m’amuse à fond dans ce projet.
Célinatique : Notre musique, c’est un mix de nos deux univers. Lui fait la base avec ses influences, et moi je viens rajouter ma couche de pop libanaise.
Bab : C’est vrai que la musique électronique est une musique qui se prête vraiment à mélanger tous les genres les uns avec les autres, on l’a vu au cours de son histoire. Dans notre cas, ce sont des chansons libanaises aux mélodies qui vont piocher dans le raï algérien. Déjà dans les années 90, il y avait des remix et des musiques qui m’ont beaucoup influencé. Donc ça c’est fait assez naturellement. C’est le reflet de mon parcours musical. Le jour où on a eu envie de faire de la musique, on s’est assis tous les deux et on s’est dit…
Célinatique : “On se fait plaisir !”.
Bab : Oui voilà, et on se fait kiffer.
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Depuis quelques années, il y a un gros retour de l’Italo disco (comme avec Ritmo Fatale). Cette musique qui va chercher des anciennes sonorités parfois presque kitsch, les modernise, en tire le meilleur, et profite à nouveau à un public plus jeune qui n’a pas forcément connu ce matériau de base. Est-ce que c’est aussi ce que vous cherchez à faire ?
Bab : Avant toute chose, l’eurodance, la house, c’est vraiment un coup de cœur. Et c’est vrai qu'à un moment, elles ont perdu leurs lettres de noblesse. 30 ans plus tard, remettre cette musique au goût du jour, la faire apprécier, et ressortir tous ses beaux côtés, c’est une démarche super intéressante.
Célinatique : Pour moi, c’était les artistes qui nous inspiraient pendant la période de guerre au Liban et qu’on a toujours un peu trop idéalisés, jusqu’à maintenant, et c’est toujours une source d’inspiration. Le fait de pouvoir les ré-interpréter à notre façon, c'est super. On a une reprise d’un morceau des années 90 qui était beaucoup écouté au Liban pendant les fêtes et ça me fait très rire à chaque fois de le mélanger sur scène avec un autre morceau.
Bachar Mar-Khalifé, Taxi Kebab, Sami Galbi, Acid Arab, Glitter 55, Sama' Abdulhadi, Deena Abdelwahed, Zaatar, ou même DJ Snake... la liste est longue et loin d’être exhaustive. Avez-vous l’impression que le Maghreb et la musique arabophone se taillent petit à petit une place dans la musique actuelle ?
Célinatique : Grâce aux réseaux sociaux, tout le monde a accès à cette musique et ça me fait vraiment plaisir de voir que les gens kiffent en l’écoutant, surtout ceux qui explosent comme Saint Levant. Ils amènent les musiques traditionnelles qu’on écoutait en cachette dans les petits villages et ça me fait vraiment chaud au cœur que maintenant tout le monde puisse danser dessus.
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En parlant de danser, votre premier EP est sorti en version extended, agrémentée de cinq remix. Qu’est ce que ça fait de voir d'autres artistes s’approprier vos morceaux ?
Bab : Merci à notre label Nowadays de nous avoir permis de choisir nos remixeurs qui sont avant tout des artistes qui nous font danser, c’était hyper important : Moving Still, Sara Dziri, Hayk Karoyi. C’était vraiment un kiff de les avoir parce qu'avant toute chose, on allait nous-même danser devant leur DJ set. Pour Dimitri from Paris, le truc assez incroyable dans cette histoire c’est que le titre Dakhilo est, à la base, déjà un hommage à son remix de Khaled. On a bouclé une boucle et son remix était exactement ce que j'espérais, donc merci encore. Nous on aime bien faire danser les gens, donc c’est sûr que ce soir, il faut s’attendre à ça.
Promesse tenue quelques heures plus tard aux Suds avec ce roman d’amour aux accents de Faithless ou 2 Unlimited sauce labneh. Le duo assure le show avec un sourire bright digne d’une pub des années 90, justement. Ils laisseront les manettes à l’artiste palestinien Isam Elias et son live électro-chaâbis survolté. Le premier EP de Tales & Ahlam s'appelle Boussa (bisou), un second baptisé Ghamra (câlin) est déjà dans les tuyaux pour la rentrée. Vous pourrez les voir d’ici-là à Berlin le 1er août au club Gretchen avec Acid Arab, le 22 août à l’Été marseillais ou à Paris, à la rentrée, au Festival Fluctuation.