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On connaît Corinne Lepage comme avocate, docteur en droit, et spécialiste des questions juridiques liées à l'écologie. Mais on sait moins que l'ancienne ministre de l'environnement du gouvernement d'Alain Juppé, qui poursuit son activité politique avec CAP 21, dirige désormais le Comité de recherche et d'informations indépendantes sur le génie génétique, et s'implique particulièrement dans la lutte contre la corruption politique et financière.
La situation économique actuelle de la France est-elle selon vous, explicable uniquement par la crise financière mondiale ? Existe-t-il des facteurs spécifiques au pays ?
Corinne Lepage : "La situation économique de la France ne s'explique pas seulement par la crise financière mondiale. Elle est liée au déficit chronique des finances publiques qui réduit les marges de manœuvres pour permettre un véritable plan de relance, une inadéquation de la politique d'éducation et de formation professionnelle, à l'insuffisance de l'aide à l'innovation notamment au regard des petites et moyennes entreprises. En effet, en France seules les très grandes entreprises sont aidées sérieusement par les pouvoirs publics, les petites et moyennes entreprises qui devraient être l'objet de toutes les attentions sont constamment ignorées, malgré les effets d'annonce, par les pouvoirs publics".
Le chef de l'Etat propose-t-il les bonnes réponses pour la situation économique dans laquelle se trouve le pays aujourd'hui ? Quelles seraient vos priorités en matière d'emploi, de finance, et de revenu, si vous étiez aux affaires ?
Corinne Lepage : "Mes priorités en matière d'emploi, de finance, de revenu, si j'étais aux affaires, seraient double. D'une part, mettre en place un plan de relance ambitieux basé sur l'économie verte et la formation, l'éducation et la recherche. Par économie verte, j'entends non seulement valoriser les industries qui se trouvent sur le marché de l'efficacité énergétique des énergies renouvelables, de la chimie verte et d'une agriculture durable, mais également de permettre la reconversion des secteurs plus traditionnels vers les secteurs du XXIème Siècle en intégrant la formation professionnelle. D'autre part, relancer une politique des revenus, la réduction drastique des crédits impose de renforcer le pouvoir d'achat des salariés y compris ceux de la classe moyenne. La politique fiscale doit être refondue. S'agissant enfin des finances, je trouve inadmissible d'avoir aidé les banques sans aucune conditionnalité ; une gouvernance financière renforcée et la participation de l'Etat aux conseils d'administration des banques qui ont été aidées m'apparaitrait comme indispensable".
En matière d'écologie et d'environnement, les résolutions du Grenelle de l'environnement ont-elles été suivies des faits ? Quel est votre bilan de ce Grenelle ?
Corinne Lepage : "Le Grenelle a été une formidable initiative. Malheureusement, à ce jour la loi Grenelle 1 n'est pas encore adoptée définitivement, elle devrait l'être pour la fin du mois de juin, quant à la loi Grenelle 2 elle n'a pas encore été discutée en première lecture et ne sera donc probablement pas adoptée au cours de l'année 2009. Par ailleurs, la fiscalité et les aides au développement sont extrêmement modestes : il faut, par exemple, comparer 300 millions pour le solaire aux 5 milliards que va coûter l'EPR de Flamanville."
Malgré la prise de conscience globale de l'importance d'agir pour le devenir de la Planète et notamment de promouvoir un développement durable et respectueux du vivant, la crise économique actuelle ne risque-t-elle pas de faire passer la question de l'environnement au second plan ? Comment concilier l'urgence écologique avec la crise économique ?
Corinne Lepage : "Si la crise actuelle a pour effet de réduire les efforts en faveur d'une transformation de notre économie, alors nous aurons perdu deux fois : la première parce que nous n'aurons pas apporté des réponses adaptées à la crise économique, la seconde parce que nous aurons encore renforcé la crise écologique. La seule solution est celle d'une évolution soutenable pour permettre une transformation de notre économie vers une société post pétrolière."
L'insuffisante prise en compte du facteur humain par l'actuel gouvernement est un reproche souvent entendu, qui a débuté notamment avec la mise en place des tests ADN dans le cadre du regroupement familial. Quelle est votre opinion sur ce sujet ? Une autre politique est-elle possible ?
Corinne Lepage : "La question n'est pas seulement la prise en compte du facteur humain mais de manière encore plus large celle du droit des individus dans une société dans laquelle les libertés publiques se réduisent comme peau de chagrin.
Si notre monde est effectivement un monde d'insécurité et de risques multiples, le respect des libertés publiques et des droits de la personne humaine reste un élément fondamental dans nos sociétés. Il est donc tout à fait possible, dès lors que l'on se donne cette priorité de la respecter."
S'il y avait une note d'optimisme dans la crise économique actuelle, où se situerait-elle selon vous ?
Corinne Lepage : "L'optimiste consiste à comprendre que les solutions pour sortir des crises multiples auxquelles nous sommes confrontées, qui sont celles de notre modèle de développement, existent au niveau micro-économique, macro-économique et à celui des systèmes de prise de décision.
Mon dernier ouvrage, « Vivre autrement », tente précisément d'en présenter le contenu : compter différemment la richesse produite, gouverner la finance en favorisant le long terme, utiliser toutes les technologies qui existent déjà pour habiter, se déplacer, produire, se soigner autrement et surtout changer la gouvernance au niveau local, au niveau international."