Gérard Desportes

Journaliste à Mediapart

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Billet de blog 22 octobre 2009

Gérard Desportes

Journaliste à Mediapart

De la coproduction législative à la cocu-production sarkozyenne

C'est moche un homme qui tombe, pas beau à voir. C'est moche aussi un homme qui lève la main. Il est assis sur son banc à l'Assemblée nationale, dans l'axe du président, au cinquième rang, au milieu de ses collègues et de loin, on croit percevoir qu'il est rougisssant.

Gérard Desportes

Journaliste à Mediapart

C'est moche un homme qui tombe, pas beau à voir. C'est moche aussi un homme qui lève la main. Il est assis sur son banc à l'Assemblée nationale, dans l'axe du président, au cinquième rang, au milieu de ses collègues et de loin, on croit percevoir qu'il est rougisssant.

Nous sommes jeudi 22 octobre. L'après-midi est entamée. L'homme s'appelle Marc Laffineur, il est député UMP, vice-président de ladite assemblée, un homme important, pas un gamin, et il baisse la tête. On le sent gêné derrière ses petites lunettes cerclées.

Le président de séance vient de demander qui vote contre et il vote contre. C'est-à-dire qu'il vote contre lui-même puisque le sous-amendement sur l'article concernant la taxe professionnelle qui est soumis au vote à cet instant du débat budgétaire était initialement le sien.

Misère de la Ve République. Par 35 voix contre 43, l'amendement qui a été repris in extenso par le PS est rejeté, le gouvernement fait plier le groupe majoritaire pourtant déterminé à faire prévaloir son point de vue et le député apprend à connaître le goût de l'humiliation.

Un peu au-dessus, encore plus sur sa droite, Jean-François Copé, le patron du groupe UMP, est tout blanc, lui, le poil de barbe dru. Il essaye de faire bonne figure. Encore plus à droite, presque en haut de l'hémicycle, David Douillet est en grande discussion avec un autre sportif, Jean-François Lamour, et ne s'interrompt que pour lever la main, comme un arbitre de judo enfile les koka, quand ses nouveaux camarades s'exécutent. Douillet apprend le rude métier de godillot. Pour ses premiers jours dans l'hémicycle, l'ancien champion olympique démontre qu'il a des dispositions.

L'affaire pourtant était bien enclenchée, le matin même tout paraissait rouler comme sur du velours. Après 15 mois d'un travail en commun avec les élus de gauche en commission des Finances, les députés UMP, jeudi, ne voulaient pas en démordre. Ils souhaitent assurer un financement aux collectivités locales en abaissant le seuil de la cotisation complémentaire pour l'appliquer aux entreprises réalisant plus de 152.000 euros de chiffre d'affaires, contre 500.000 euros minimum dans le projet de loi gouvernemental. La taxe professionnelle doit être remplacée par une contribution économique territoriale (CET), composée d'une cotisation locale d'activité (assise sur des bases foncières) et d'une cotisation complémentaire (sur une fraction de la valeur ajoutée des entreprises).

Certes, depuis mardi, le Medef était parti en guerre contre cet amendement défendu par Marc Laffineur et exigeait que les entreprises soient exonérées dès lors qu'elles avaient un chiffre d'affaires inférieur aux 500 000 euros mais le matin encore ils faisaient front. Le bon sens était de leur côté : si les entreprises devaient rester les grandes gagnantes de la suppression de la TP (11,6 milliards d'euros en 2010), ils tenaient à rééquilibrer le texte en permettant aux territoires de conserver une certaine autonomie et une source de revenus. Raffarin, Juppé, Arthuis étaient de leur côté.

Oui, c'était décidé, la majorité allait faire entendre sa petite musique vis-à-vis de l'exécutif et qu'importent les fureurs du maître de l'Elysée. Question de standing. Ce que Jean-François Copé a théorisé par la «coproduction» législative. Et patatras! A la suite d'une interruption de séance, d'une rencontre entre Christine Lagarde et Jean-François Copé, l'ordre tombait, Marc Laffineur devait retirer son sous-amendement. Le groupe UMP pliait; les entreprises en dessous de 500.000 euros seraient exonérées. Jean-François Copé tentait une sortie digne: «A partir du moment où nous avons des PME qui sont créatrices d'emplois, nous allons veiller à ce qu'elles soient totalement exonérées de taxe professionnelle. C'est ce que le gouvernement souhaitait, nous nous sommes rendus à son avis.» Victoire du gouvernement et faillite de la coproduction.

Tous ceux qui avaient travaillé au texte, le rapporteur, Gilles Carrez, le président de la commission, le socialiste Didier Migaud, sont abattus. Le vote, c'est aussi leur défaite. Il y a de la tristesse. «Ce matin, tout le monde tenait le même discours, constate amer le seul président de commission de l'opposition, nous étions parvenus tous ensemble à un compromis. Et vous avez voté contre vos convictions.»

La complicité entre hommes de droite et de gauche qui ont travaillé pour une cause qu'ils ont cru au-dessus des clivages traditionnels est palpable. Alors il faut que la colère s'exprime et c'est la gauche qui se déchaîne. Jean-Claude Brard, un quasi PC, enfonce le clou, parle de l'Inquisition, de «méthode stalinienne» et se croit autorisé à enfoncer encore un peu plus ce pauvre Marc Laffineur: «Nous avons assisté à un moment d'abaissement du Parlement. On a vu en direct l'extraction de la colonne vertébrale de Marc Laffineur qui rampe devant le gouvernement parce qu'il y est contraint.»

Jean-Pierre Balligand n'a pas envie d'accabler un peu plus son collègue de l'UMP, il s'adresse à Christine Lagarde: «Vous asséchez les finances de collectivités locales, mais prenez garde. Tout ça finira mal. Quand les élus apprendront ce que vous venez de faire, vous les aurez tous contre vous, y compris vos propres amis.» Les noms d'oiseaux pleuvent, les substantifs qui témoignent du dépit aussi, «capitulation», «retrait», «fiasco», «vendu».

Il n'y a que David Douillet qui ne s'en aperçoit pas. Henri Emmanuelli prend alors la parole: «Madame la Ministre.» Christine Lagarde est le nez dans ses notes. «Madame la ministre, s'énerve le député des Landes, elle ne m'écoute pas. Madame la ministre je ne peux pas vous laissez dire qu'avec ce sous-amendement que nous défendions des entreprises allaient être perdantes. Simplement, certaines allaient moins gagner.» Il s'arrête, désespérant d'attirer l'attention de la ministre. Alors il se lâche: «Je vais dire tout haut ce que l'on pense de ce côté-ci de l'hémicycle. Ce n'est pas la coproduction législative chère à Jean-François Copé, c'est la cocu-production.» Et il s'assoit.

L'incident remet chaque camp dans une logique droite/gauche et lave un peu l'affront. «On vient de voir s'effondrer le mythe de l'hyperparlement entretenu par la réforme constitutionnelle, tonne le socialiste Jérôme Cahuzac, C'est aujourd'hui la mort de la coproduction rêvée par Jean-François Copé.» Une suspension de séance à la demande du groupe socialiste finit de calmer les esprits.