stephane lavignotte (avatar)

stephane lavignotte

Abonné·e de Mediapart

Billet publié dans

Édition

Police & Co.

Suivi par 110 abonnés

Billet de blog 29 mars 2009

stephane lavignotte (avatar)

stephane lavignotte

Ancien journaliste, militant écologiste, éthicien, pasteur de la Mission populaire à Montreuil (93), habite à L'Ile-Saint-Denis

Abonné·e de Mediapart

Au pays des Gabiens

stephane lavignotte (avatar)

stephane lavignotte

Ancien journaliste, militant écologiste, éthicien, pasteur de la Mission populaire à Montreuil (93), habite à L'Ile-Saint-Denis

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La Grange aux Belles - la "Gab" - est une cité piétonne, dans le 10e arrondissement de Paris, entre la place du Colonel Fabien et le canal St Martin. Tous les appartements y seraient devenus aussi chers que dans notre copro, si justement, ce n'était pas la seule de la cité. Les autres immeubles soit appartiennent au Ministère de la Défense et accueillent des personnels civils, soit sont des logements sociaux. La "Gab" - d'où le substantif de "Gabiens" inventé par une de mes filles - malgré son emplacement est donc resté une cité populaire, y compris avec son face à face bien connu entre jeunes à casquettes et baskets et policiers. En son centre, la place Robert Desnos, l'entrée de mon immeuble y donne.

Lundi soir, je fais la vaisselle. Nous sommes au rez-de-chaussée. Un jeune frappe à la fenêtre. Il nous connait de vu, ma femme et moi. Il habite la cité, il voudrait savoir ce que je pense des jeunes de la cité, s'ils m'embêtent. Je lui dit que non, même si parfois ils font du bruit sur la place, et ça gêne ceux dont les appartements ont des fenêtres qui y donnent. Il a fait des conneries ici plus jeune, maintenant il a un boulot, il aimerait aider les "petits", il ne sait pas comment. On discute.

Mercredi soir. Ma grande fille de 18 ans rentre. Elle m'avertie qu'il se passe quelque chose sur la place. Je ressors. Une vingtaine de policiers, trois ou quatre voitures. Une quinzaine de jeunes les mains contre le mur de mon immeuble. Les policiers contrôlent les d'identité et trifouillent les téléphones portables des jeunes. Je vais voir un groupe à l'écart, surtout des filles, certaines connaissent mon autre fille de 11 ans qui est au collège du quartier. Un vol de téléphone portable aurait eu lieu dans la cité, d'où le trifouillage sur les téléphones dans les poches des jeunes. Elles me disent qu'un jeune aurait été embarqué : il aurait essayé d'éviter le contrôle, certains disent qu'il marchait, d'autres qu'il courait, plusieurs disent qu'ils l'ont fait tomber par terre et l'auraient tapé au sol. Je vois le contrôle de loin : je n'entend pas comment ils leur parlent, je ne vois pas de gestes particuliers. Ce sont surtout des petits, des collégiens. Tout le monde va être relâché.

Ma fille m'a raconté que le lundi précédent, en après-midi, deux filles se sont battues sur la place. Heure de sortie du collège, dont ma fille, un attroupement s'est fait pour assister au spectacle, téléphone en guise de caméra pour ne rien rater. Le gardien de mon immeuble est intervenu pour les séparer. Puis elles ont recommencé. Les policiers - avec la brigade canine - seraient intervenus. Quand tout était fini disent certains, diversers versions circulent dans la cité.

Vendredi vers 19h30. Je suis chez des amis à l'étage du dessus. J'entends des cris dehors. Des policiers contrôlent deux gamins - 14 ans ? - en vélo. Les mioches ont l'air apeuré. Un des policiers plonge les mains dans les poches intérieurs d'un des gosses, n'en ressortent rien. Cherchent dans les bacs à fleur, ne trouvent rien. Ils repartent avec les jeunes, l'un des policiers ferme le cortège, marche en arrière, regarde vers les étages pour vérifier qu'on ne leur lance rien. Il ne croise que ma visage étonné. Et je dois lui faire une remarque sur le ridicule de sa posture. "Ces jeunes ils ont des armes ! J'ai fait la banlieue !" me répond-il. "Faire la banlieue" comme on a "fait l'Algérie" ou comme on "s'est fait" la banlieue ?

Vendredi vers 20h30, je fais l'écolo que je suis. A 20h30 pétante, j'éteins mes lumières pour une heure, histoire de voter pour la planète. On en rigole d'avance : manger la tarte aux poireaux et le risoto aux petits pois à la bougie, le rève de tout opposant au nucléaire. Payer la peau du cul un abonnement sans nucléaire à Enercoop (en remplacement d'EDF), ce n'était pas assez roots même si c'est plus durable... Je vais dans le jardin de l'immeuble pour voir si je repère d'autres fanas de la chandelle. Je vois un groupe de gamins passer, l'air décidé. Ils vont vers la place. ça discute : "ça fait une semaine que ça dure". Je vais voir sur la place si d'autres appartements ont préféré la bougie au nucléaire... et la suite des épisodes.

Je sors avec mes pantoufles rouges. Les gamins de tout à l'heure, les mêmes filles que l'autre jour. On se salut, elles reconnaissent ma jeune fille qui est sortie avec moi. Un groupe de policier passe à l'autre bout de la place. Ils ont l'air de chercher. Deux trois autres arrivent, vers les gamines. Je ne vois pas trop ce qu'ils pourraient leur reprocher. Et si ! Elles ont les pieds sur le banc et sont assises sur le "dossier". "Normal, le banc est mouillé !" râle l'une d'elle. Elles se voient l'intimer l'ordre d'en descendre et un policier leur dit quelque chose sur le bruit, les gens qui travaillent la journée - "pas comme vous'" dit-il à ces collégiennes - et ont droit à la tranquilité le soir. Il est 20h40 à tout casser.

Les deux seuls garçons du groupe en sont extraits, contrôle d'identité, les mains dans le dos, ils font enlever les chaussures. Je demande à ma fille de rentrer et de me ramener ma pièce d'identité. Je reste à regarder, de près le contrôle. Avec mes pantoufles rouges de "zabitant". On me demande ce que je fais, je dis que j'habite là - la preuve, mes pantoufles rouges ! -et que j'assiste au contrôle et que je connais les jeunes, ma pièce d'identité est à leur disposition. Régulièrement, un policier se met devant moi pour m'empêcher de voir, je me déplace, il se déplace. Bienvenu à la maternelle. Une fois les jeunes relachés, je dis mon étonnement, je trouve inutilement vexatoire la remarque aux filles sur le banc - ne va vouloir se mouiller les fesses n'a rien d'illégale - je me demande ce qui vaut à ces deux-là d'être contrôlé. La réponse c'est qu'en gros la remarque aux filles sur les bancs avait un but éducatif - "mais visiblement, nous n'avons pas la même vision de l'éducation" me dit celui qui a l'air d'être chef et qui était à l'origine de l'opération "assistance à dossier de banc en danger" - et qu'il regrette que je soit pas sorti pas de chez moi quand un de leur collègue a été agressé en début de semaine. Voià donc ce qui vaut à tout ce qui a l'air jeune de se faire contrôler depuis une semaine, qu'ils soient ou non pour quelque chose là-dedans. Les policiers partent, j'ai droit à quelques moqueries de leur part et à quelques compliments un peu trop bruyants des jeunes, je me passerai bien des deux. Discussion avec les jeunes. Ils disent ne pas avoir entendu parler de l'agression. En revanche, ils y a des bagarres entre eux - les "petits" de la GAB - et les "petits" des Buttes-Chaumont. Mais les "grands" de chaque côté s'entendent bien, et les "petits" ont été invités "fermement" à se tenir à carreau.

Dimanche, 16h. J'ai célébré le culte le matin, retrouvé de la famille pour un brunch sur le canal, on rentre à la GAB. Bonheur de bobo-gaucho. Il fait beau, c'est la douce ambiance d'un après-midi ensolleillé. Les "grands" jouent au foot sur le terrain. Une poignée de policiers verbalisent une voiture garée place Robert Desnos sous le panneau stationnement interdit. Cette fois, je les trouve utile. Pas longtemps. Le conducteur arrive du terrain de sport, en survèt'. Un des "grands", des très "grands" justement, d'une génération qui s'est rangée : en fait les "grands" des "grands" des "petits", si vous suivez. Ce "grand" s'enerve, il rentre dans sa voiture, dit qu'il va la garer ailleurs. Les policiers lui demande de sortir, de présenter ses papiers. Le ton monte. Il ne veut pas, il a démarré le moteur. Un des policiers met sa main au côté sur quelque chose que j'ai du mal à voir - son arme ? la lacrymo ? - je frémis. Le jeune conducteur sort. ça discute fort, puis moins fort. ça a l'air de s'arranger. Et puis non. Une voiture de patrouille arrive. Le jeune comprend que ne s'arrange pas. Que la discussion "plus cool", c'était juste pour le faire attendre. Il n'a pas l'air d'y croire. Il est menotté, il se plaint qu'elles sont trop serrées. Il ne veut pas monter dans la voiture. Un policier lui empoigne les cheveux. Le policier n'a pas besoin de les lui tirer, le jeune rentre dans la voiture et s'en va. Début de discussion entre les policiers, des "grands" et moi. Je leur demande s'ils comptent embarquer tous les conducteurs qui garent leur voiture sur la place (je ne leur dit pas que comme anti-bagnole sans nuance, cela ne me déplaierait pas...), ils me répondent que ce n'est pas pour cela qu'ils l'ont embarqué. Défaut d'assurance dit l'un. Outrage dit l'autre. Vous savez ce qu'on dit : quand il y a trop de raison, c'est qu'il n'y en a pas de bonne... ( A suivre)

Petit guide de grammaire policière (1) :

Le badaud étonné : "Pourquoi vous les contrôlez, ils n'ont rien fait ?"

Le policier sûr de lui : "Vous ne savez même pas pourquoi on les contrôle !"

Le badaud prêt à reconnaître son erreur : "Qu'ont-il fait ?"

Le policier refermant le piège : "Ah, mais nous n'avons pas à vous le dire".

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.