Billet de blog 15 avril 2013

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Laïques ? Laïcistes ?

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Charles Péguy disait « les crises de la laïcité sont des crises de la civilisation ».

Illustration 1

(Cette rue est à Poitiers, en bordure du square de la République et a été appelée ainsi en 2012 après un vote unanime en conseil municipal).

Il n'est pas dans la nature d'une société d'être civile, donc encore moins laïque. (Hegel : la société, c'est la sphère des intérêts, des réseaux et des idéologies.) « Notre laïcité », face aux débats récurrents sur les signes ostentatoires religieux dans les établissements d'enseignement publics, est-elle en train de se crisper et rogner sur le principe de la liberté cultuelle ou est-elle en train de se redessiner face à de nouveaux défis dans le tohu-bohu de notre démocratie ?

Etat des lieux :

Au début du 20e siècle, les tensions entre la république française et la papauté étaient arrivées à un paroxysme. La promulgation de la loi de 1905 est une affirmation de la laïcité anticléricale sur le catholicisme. Cette loi s'oppose à l'intervention du clergé (les Églises) dans la vie publique. Les composantes de la laïcité contemporaine sont celles établies par le droit de la République Romaine, distinguant la chose publique de la chose privée :

Le respect de la conscience individuelle (et la garantie du libre exercice des cultes, celui-ci ayant été menacé avant 1905)

la recherche de l'intérêt général confiée à l'État(Santé publique, Instruction publique, Sécurité publique, Monuments publics, Environnement,..)

La primauté de la loi sur les dogmes (dogmes en tant que doctrines idéologiques d'ordre politique, économique, religieux, philosophique ou scientifique).

La recherche de l'intérêt général vient automatiquement mettre des limites à la conscience individuelle et l'exercice des cultes qui vont se trouver confronter à devoir cohabiter avec des valeurs et pratiques (ou non-pratiques) différentes voire contradictoires. Et des ajustements auront lieu pour permettre à la mosaïque publique-civique-vie privée de s'ajuster le plus harmonieusement possible. Si ces ajustements sont impossibles au point de créer des conflits, il sera nécessaire d'en passer par une loi expressive (non répressive puisque prise dans l'intérêt général).

La primauté de la loi sur les dogmes est un fait en démocratie sociale. Une nouvelle loi dans ce domaine provoque toujours des levers de boucliers et de poings des organisations traditionnelles doctrinaires qui cherchent la moindre brèche pour reprendre du terrain ou pour ne pas en perdre, et faire poids sur le fonctionnement démocratique, afin de s'arroger des privilèges au détriment des autres différents (voir les pressions exercées par les catholiques sur le vote de la loi du mariage pour tous). Il semble donc évident que la loi soit le soutien nécessaire de la laïcité.

Il est important également de connaître les réglementations qui se placent au dessus de nos lois nationales. Les Européens ont des conceptions différentes de la laïcité ou sécularisation, compte tenu de leur histoire, de leurs traditions et de leur situation (mixité des communautés) présente.

Le traité (qui fut rejeté) établissant une constitution pour l'Europe reprenait la formulation du traité d'Amsterdam de 1997 pour tenter de gommer les divergences entre les pays membres dans le domaine de la laïcité. Le Traité de Lisbonne (fonctionnement) a repris ces dispositions et déclare respecter et reconnaître les Églises et organisations non confessionnelles, les Églises et les associations ou communautés religieuses, les organisations philosophiques et non confessionnelles sans préjuger de leur statut accordé par chaque nation. L'UE se déclare neutre dans ce domaine et (jurisprudence de la cour européenne des Droits de l'Homme) laisse dans une large mesure au décideur national la tâche de fixer le seuil de protection des convictions religieuses, au risque, comme cela est déjà arrivé, de se prononcer contre la liberté d'expression !

Le Conseil de l'Europe de son côté,  exhorte quant à lui ses États membres à refuser le relativisme culturel et rappelle la primauté de la séparation des Églises et de l’État et des droits de l’Homme. Il les exhorte notamment à veiller à ce que la liberté de religion ne soit pas acceptée comme un prétexte à la justification des violations des droits des femmes et condamne toute coutume ou politique fondée sur ou attribuée à la religion qui irait à son encontre, citant les mariages forcés, les mutilations génitales, les oppositions au divorce ou à l’avortement, l’imposition de code vestimentaire aux mineures. Résolution 1464 (2005). 

La France est par ailleurs signataire du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP) de l'ONU. Un avis a été émis par le Comité des Droits de l'Homme le 1er Novembre 2012 concernant  un lycéen sikh exclu de son établissement scolaire français en 2004 pour avoir refusé d’ôter son turban sikh. Cet avis estime que le  renvoi de lycéen de son établissement constitue « une violation » du PIDCP, et que la France, signataire de ce Pacte, est, à ce titre, dans la double obligation de réparer l’injustice faite au lycéen (« y compris par une compensation appropriée »), et «d’empêcher que de semblables violations ne se reproduisent dans le futur».

La loi du 15 mars 2004 et son application :

La loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadre, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics  et la circulaire interprétative du 18 mai 2004, qui interdit de porter les signes manifestant ostensiblement son appartenance à une religion. Les articles interdits par cette loi sont « le voile islamique, quel que soit le nom qu'on lui donne, la  kippa, ou une croix de taille manifestement excessive ». La loi ne remet pas en cause le droit des élèves de porter des signes religieux discrets. Par la suite, le Conseil d'État a statué le 5 décembre 2007 que l'interdiction s'appliquerait également aux signes et tenues démontrant une affiliation religieuse par le simple comportement de l'élève et a ainsi confirmé l'interdiction du port du sous-turban sikh et d'un bandana. À cette occasion, le Conseil d'État a reconfirmé l'autorisation de porter des signes religieux discrets.

Il est important de se rappeler les faits à l'origine de cette loi. (voir le rapport Hanifa Chérifi http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/064000177/0000.pdf )

La laïcité et ce qu'elle représente concrètement :

Si l'on en revient à une définition générale des principes de la laïcité en France, tels qu'ils sont définis plus haut, toute organisation confessionnelle ou non, toute conviction, toute opinion, toute tradition et coutume ont droit de cité et d'exercice à partir du moment où elles ne contreviennent pas aux droits constitutionnels et aux lois qui en découlent et n'interfèrent pas dans le domaine public.

Donc comment faire si des religions ou organisations ou traditions ne répondent pas aux critères définis ? Et comment faire pour répondre à nos engagements communautaires et traités internationaux signés s'il y a conflit ? Seuls la tolérance, le "bon-sens" et la compréhension réciproques peuvent aider à surmonter les points d'achoppement.

Ainsi, la religion catholique (qui reste notre tradition historique de référence) refuse l'avortement, la contraception, le mariage homosexuel, etc, non seulement pour sa communauté mais pour l'ensemble des Français. Elle voudrait donc imposer ses règles à l'ensemble de la nation. Et chaque avancée qui fait progresser le droit de certaines minorités, jusque là ostraciser par des traditions dépassées, et veut gommer les discriminations dont souffrent certains groupes, nécessite un combat politique et une vigilance sans faille.

Mais, on peut dire que les forces qui s'opposent dans ce cas « se connaissent ». Les catholiques fanatiques, minoritaires, mènent toujours un combat « d'arrière-garde » orchestré par des groupes politiques. A terme, le danger ne vient pas de ces religieux mais des programmes politiques de l'extrême droite qui s'appuie sur eux et les instrumentalisent.

La 2e religion en France est la religion musulmane. Elle est « importée, », et n'est donc pas dans nos traditions. Elle est certainement la 1ère dans l'exercice de la pratique. Elle s'est adaptée à notre fonctionnement sociétale : respect de la monogamie (pratique de fait existant déjà pour une majorité des individus dans les pays islamiques pour des raisons économiques), du mariage civil avant le mariage religieux, l'acceptation de nos jours fériés encore étroitement liés aux pratiques des catholiques, notre enseignement et nos services publics laïques.

A noter que les musulmans ne revendiquent pas une application de leurs préceptes religieux à l'ensemble des Français. Et parallèlement les mosquées, les particularités alimentaires, les écoles coraniques, les musulmans en djellaba, les femmes voilées font partie, du paysage de notre pays.

Il faut que les laïques soient conscients du « choc de la laïcité » pour la partie des musulmans issue de pays où l'Islam est une religion d'état. Dieu est le « seigneur de l'univers » et le Coran prescrit les lois et les règles de la vie d'une société, à travers la charia « le chemin pour respecter la loi de Dieu ». (choc de la laïcité qui se retrouve dans d'autres communautés religieuses ou traditionalistes). Un gouffre existe entre ces conceptions du monde. Et des passerelles sont à construire si l'on veut vivre ensemble.

L'histoire de notre pays est un résultat de luttes populaires et sociales. La république et son système de fonctionnement ont été obtenus par une suite d'acharnements revendicatifs, d'affrontements et un bouillonnement des idées politiques et culturelles qui nous sont propres. Et nous savons que la laïcité qui en est née est fragile, et qu'elle « ne se soutient pas d'elle-même. L’État est laïque ou non. Et il est nécessaire de vouloir l'instituer par la loi. Sinon, [la laïcité] elle n'existe pas.» (Régis Debray).

Conclusion :

Il faut redéfinir un mode de fonctionnement commun qui n'affaiblit pas la laïcité, socle de notre constitution, sans pour cela qu'elle soit accaparée par des valeurs et idéologies particulières sous des dehors universalistes, selon Henri Pena-Ruiz dans « Dieu et Marianne ». Cet auteur souligne aussi qu'une laïcité « trop molle et trop prudente », à la Jules Ferry, risque de laisser la voie libre à la « Sainte-Alliance des Églises (1) », un accord entre des communautés dont les représentants sont souvent auto-proclamés, qui conduirait à une recolonisation de la sphère publique par les plus influents.

La pratique religieuse des catholiques en France est très faible et le nombre de citoyens sans religion est d'environ 31 %. Là est certainement notre exception française. La majorité des Français pratique une laïcité tolérante. Par ailleurs, notre société continue à évoluer et à se transformer grâce aux intégrations successives des migrants. De nouveaux comportements émergent au fur et à mesure qui nous permettent de vivre ensemble dans ce pays. Et seule une laïcité ouverte et tolérante permettra de trouver un équilibre dans ce « nouveau » pluralisme.

Le plus difficile sera pour tous d'être capable de ou de bien vouloir sortir du carcan des certitudes pour  dépasser le dialogue bien-pensant prôné par tant d'institutions et de bonnes volontés plus ou moins intéressées pour peser la question de la libéralisation des traditions. « La laïcité n'évitera pas le cheminement difficile entre le Charybde des engagements particularistes et le Scylla d'une justice citoyenne abstraite ». (Guy Haarscher – La Laïcité – mise à jour 2008).

(1) expression d'Alain Finkielkraut

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