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Climatiques

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Billet de blog 17 décembre 2009

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Préparer un possible échec

Nous venons de vivre un mercredi très mouvementé. Les négociations sont de toute évidence au bord du gouffre. En même temps, des voix critiques sont exclues. Un essai d'interprétation.

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Nous venons de vivre un mercredi très mouvementé. Les négociations sont de toute évidence au bord du gouffre. En même temps, des voix critiques sont exclues. Un essai d'interprétation.

La présidente de la conférence, Connie Hedegaard, vient de renoncer à son poste à la suite d'une séance de rattrapage mardi soir qui a échoué. Mercredi matin, le nouveau président de la conférence, le premier ministre Lars Lokke Rasmussen, a causé le désarroi des délégués des pays en développement en présentant un nouveau document de négociation, qui ne prend pas en compte les - petites - avancées faites dans les derniers deux jours, et n'inclut pas d'objectifs de réductions des émissions pour les pays développés à l'horizon 2020. Les pays de Sud ont répondu en exprimant leur colère dans la séance plénière. Ce jeu tactique a rétardé les négociations et la séance consacrée aux adresses des ministres et chefs d'Etats.

En même temps, un incident vient de se produire dans le « off » de la conférence. Après l'annonce de réstrictions draconiennes pour la société civile (1000 personnes à compter de mercredi, 90 à partir de jeudi), tous les représentants des Amis de la Terre (Friends of the Earth International) se sont vu refuser l'accès, malgré leur accréditation. Leur réaction spontanée à cette décision perçue comme arbitraire était d'organiser un sit-in dans l'entrée (voir le commentaire de José Bové). La décision du sécrétariat d'exclure cette ONG est sans précédent, représente une violation des statuts de la convention climat, et a provoqué un emballement médiatique.

Je voudrais proposer une interprétation qui lie ces deux évènements, et s'appuie sur les dynamiques entre le « in » et le « off » de la conférence décrites dans un précédent article. Ce n'est évidemment pas la seule interprétation possible. Elle s'appuie sur deux constats :

1. Les négociations sont dans une impasse

Personne ne parle plus d'un accord juridiquement contraignant, qui semble hors de portée. Restent deux options : une suspension des négociations sans accord, ou un accord « politique » plus ou moins flou qui cache l'échec. Cette deuxième option est ce que préfèrent l'Europe, et la plupart des pays développés. Depuis le début, ça semble aussi être la stratégie de la présidence danoise. Or les pays Africains ont déjà manifestés leur mécontentement, laissant bien clair qu'ils ne sont pas prêt à accepter n'importe quel texte, et menaçant de quitter la conférence sans accord.

Ce scénario du pire s'est un peu plus concrétisé dernièrement avec une rumeur sur un papier commun de cents pays, dont des pays Africains, les pays insulaires, et les pays les moins développés. Ce papier devait définir leurs revendications minimales pour signer un texte à Copenhague, et comprendrait une référence à une concentration des gaz à effet de serre de 350ppm, une stabilisation autour de 1,5 degrés, un pic des émissions dans les sept ans à venir, des financements importants et automatiques pour l'adaptation et l'atténuation dans les pays du Sud. Remarquons que cent pays, c'est plus de la moitié de la communauté internationale. Ce papier, s'il devait sortir, aurait donc un impact considérable.

C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre l'initiative de Nicolas Sarkozy avec Meles Zenawi, président éthiopien. Cet « appel franco-africain », qui est en fait un appel « franco-éthiopien », comprend essentiellement des mesures déjà connues - le financement précoce (« fast start ») pour les trois ans à venir, des réductions de 50% des émissions globales en 2050 (G8 d'Aquila) - et une référence vague à des financements « prévisibles et additionnels » à partir de 2013, sans plus de précisions. A ceci s'ajoute la demande de "la création d'une taxe sur les transactions financières internationales". Ce n'est pas une révolution, et même assez inquiétant. La déclaration ne mentionne ni un objectif pour les pays développés en 2020, ni une procédure et une somme concrète pour le financement après 2013. Le financement « fast-start », aussi nécessaire qu'il soit, sert aussi un but stratégique : il divise les pays africains, et donc le front des 100 pays potentiellement signataires d'un texte raidissant la position des pays en développement.

2. La société civile organisée fonctionne, au sein de la COP, comme un mini-public, comme un relais de l'information vers l'extérieur, et comme un appui logistique important pour les pays pauvres.

Dans le monde en miniature que représentent les conférence climatiques, la société civile est d'abord un public immédiat, proche et informé. Les ONG font pression sur les délégués en organisant des évènements comme le « Fossil of the day award » du Réseau Action Climat, qui décerne quotidiennement un prix aux pays qui bloquent les négociations, et organisent des actions créatives dans les couloirs de la conférence pour faire entendre leur voix et leurs recommandations. Les centres de recherche proposent, souvent en collaboration avec des ONG, leurs idées, solutions, ou analyses. Ils sont une source d'idées et un endroit pour débattre plus amplement que dans les négociations elles-mêmes.

Les ONG sont ensuite un relais vers l'extérieur. La force numérique des grandes ONG leur permet d'avoir une vue d'ensemble sur ce qui se passe à la conférence. Elles en tirent la capacité de décripter les évènements, les jeux tactiques, et les questions techniques que n'ont pas les médias traditionnels - qui passent très souvent par les ONG pour des décryptages. Elles peuvent ainsi porter l'attention du public dans leur pays d'origine sur les questions du moment, et essayer de trouver de l'adhésion populaire pour une idée ou une autre.

Les ONG sont ensuite, et ce point me semble crucial, un appui logistique pour certains pays en développement. Le réseau action climat (CAN) et 350.org travaillent beaucoup avec les pays insulaires, les Amis de la Terre avec l'Afrique, le Third World Network avec les pays de l'Asie du Sud, etc. Certaines délégations de pays en développement comprennent à peine deux ou trois personnes, et aucun expert. Les ONG font donc un travail très important de décryptage et de soutien pour ces pays, et fonctionnent comme des garde-fous contre des débauchages trop faciles de ces pays par les grands pays industriels ou les pays pétroliers, Arabie Saoudite en tête.

Préparer un possible échec

Dans le climat actuel, où se dessine la possibilité d'un échec autant que l'espoir d'obtenir au moins un accord politique et une feuille de route, la stratégie de la présidence danoise et des pays européens semble être d'isoler les pays en développement les plus exigeants. L'exclusion des ONG prive ces pays de leur soutien et sert à garder la main sur l'interprétation des résultats de la conférence. Dans notre société de l'image, le plus important est qu'il n'y ait pas de signaux forts, pas de manifestations, ou d'actions concertées de la société civile au sein du Centre ou se déroulent les négociations. L'exclusion de la société civile n'est donc pas seulement un scandale, c'est aussi un très mauvais signe pour l'issue des négociations.

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