Vendredi soir, après un accord politique décevant, nous avons eu droit à deux prises de position, qui montrent le fossé qui sépare les Etats-Unis et l’Europe. Décryptage des conférences de presse française et américaine.
Malgré une pression grandissante de la société civile, les dirigeants n’ont pas réussi à pondre un accord acceptable. Force est de constater que c’est l’échec qui s’était annoncé ces derniers jours. Pour comprendre pourquoi, il est instructif de regarder les discours des présidents Obama et Sarkozy après la conférence. Ils montrent toute la difficulté qu’il y avait, et qu’il y aura en 2010, pour parvenir à un accord contraignant. Ce sont deux discours dirigés non pas à un public mondial, mais aux électeurs nationaux respectifs. Ils témoignent de stratégies différentes, et de deux visions du problème qui semblent si loin l’une de l’autre qu’on a du mal à croire qu’ils parlent de la même chose.
La faute à l’ONU ?
En mettant en cause les procédés onusien, « qui ne donnent pas assez de poids aux pays émergents », Sarkozy touche un point vrai – mais qui semble étrangement déplacé concernant les négociations climatiques. Contrairement au conseil de sécurité, qui est le symbole du partage de pouvoir de l’Après-Guerre, et qui semble effectivement caduc, les réunions de la convention climatique s’apparentent à une assemblée générale, avec le principe un pays – une voix. Dans ce type de configuration, la présence des pays en développement est au contraire écrasante. Le problème, ce ne sont pas tellement les procédés onusiens, c’est plutôt que depuis le début, ces procédés ont été contournés. La société civile a été exclue, et l’accord a été trouvé dans le cadre très confidentiel des grands hôtels de luxe à travers Copenhague. Obama est plus consistant dans son analyse : il ne mentionne pas du tout l’ONU, chiffon rouge pour l’électorat républicain. Un accord a été trouvé « entre toutes les économies majeures » – la formulation est révélatrice.
Jeu d’alliances à géométrie variable
On écoute les deux discours, et on pourrait penser que Sarkozy était dans une conférence bilatérale avec le président brésilien Lula, pendant que Obama négociait avec la Chine. Au fait, il était très important pour Obama de montrer que les pays émergents cèdent sur certains points. Rappelons que le sénat américain n’avait pas ratifié Kyoto à cause de la résolution Byrd-Hagel, qui interdit tout engagement juridiquement contraignant des Etats-Unis, qui n’impose pas des contraintes comparables aux pays en développement (sous entendu aux grands pays émergents). En se focalisant sur la Chine, Obama a certes répondu à une crainte du public américain, mais il a raté l’occasion de montrer du leadership.
L’alliance avec Lula était la dernière carte à jouer pour Sarkozy afin de rester visible. Or la place de la France est au sein d’une Europe unie, parce qu’elle peut justement montrer par son exemple comment une solidarité et un partage des tâches entre pays développés et pays émergents peut fonctionner. Pour cela, elle aurait dû annoncer, comme prévu, une réduction de 30% de ses émissions, et une initiative sur les financements au-delà de 2012.
Conférence sur l’énergie, ou sur le climat ?
Sarkozy parle de « sauver la planète de la catastrophe », Obama avance les « investissements historiques dans les énergies renouvelables », des « millions de jobs américains », et la « réduction de la dépendance du pétrole ». Tout cela est bien louable, mais Copenhague était une conférence sur le changement climatique, et pas un sommet sur l’énergie et l’emploi. Au fait, Obama a choisi une stratégie risqué : avancer sur le climat, sans trop en parler aux Américains. Quand il dit que « l’énergie est un sujet qui demande notre leadership », on croit ne pas avoir bien entendu. On ne résoudra pas la question climatique en la dissimulant.
Souveraineté et gouvernance mondiale
La seule annonce quelque peu inattendue était celle sur la création d’une agence européenne de l’environnement. On sait que la France et l’Allemagne militent depuis quelque temps pour une organisation mondiale de l’environnement (c’est une idée que Rocard avait poussée quand il était premier ministre). Et effectivement, Sarkozy exprime son vœu de voir naître une telle institution. Obama, de son côté, parle de « donner des informations », définir des « guidelines », garantir la « transparence ». Un enchaînement de mots-clefs pour dire qu’il n’y aura pas, pour le moment, d’accord limitant la souveraineté des Etats signataires. Evidemment, le charme de Kyoto réside précisément dans le fait que le protocole, malgré tous ses défauts, est juridiquement contraignant. L’annonce de l’agence européenne de l’environnement, dont on ne connaît que le nom pour l’instant, est un essai de cacher ce décalage.
Deux visions, deux stratégies, et une Europe affaiblie
On a vu ce soir un Obama visiblement fatigué qui semblait avoir perdu tout son talent rhétorique (je vous conseille de comparer les deux allocutions d’Obama, après son arrivée, et avant son départ). Sarkozy n’a même pas pris soin (n’a pas voulu) de voir sa conférence filmée et diffusée. Mieux vaut ne pas lier son image à un échec. In fine, on voit transparaître de grandes différences dans la façon d’aborder le problème, mais aussi une série d’erreurs, qui ont fait capoter les négociations. La faute, du côté d’Obama, est d’abord temporelle : il a préféré s’occuper d’abord de l’assurance maladie, et n’avait pas le temps de préparer l’opinion publique et le Sénat pour le climat. Par conséquent, il n’avait pas le mandat pour aller plus loin qu’il l’a fait. On peut le déplorer, mais c’est un fait. Or, la sortie de crise constitue une fenêtre d’opportunité pour un accord, et elle risque de se refermer. Concernant Sarkozy, il se retrouve, à la fin de la conférence, avec les miettes des deux initiatives qu’il a lancées. L’initiative franco-brésilienne ne s’est jamais étendue, comme souhaité, aux autres pays de l’Amazonie, et l’initiative « franco-africaine » est restée une initiative franco-éthiopienne. On jouant cavalier seul à deux reprises, Sarkozy a risqué gros, et il a perdu. Au lieu de rallier les pays en développement, il les a divisés, et au lieu de forger une position européenne forte, il l’a affaiblie. Il s’agit aussi d’une erreur stratégique : un accord, s’il se fera, devra commencer par une position européenne forte. L’accord qui a été trouvé est avant tout un accord entre la Chine et les Etats-Unis, et il est le signe et le résultat d’une Europe faible.