Billet de blog 6 juin 2012

Lise Grammont

Abonné·e de Mediapart

Médicaments : La grande magouille des remboursements

Après l’affaire du Mediator, la réforme adoptée sur l’évaluation des médicaments, laisse habilement de côté la savoureuse question de leurs remboursements…Qui n'a pas découvert à la caisse d'une pharmacie que son médicament venait récemment d'être déremboursé ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Après l’affaire du Mediator, la réforme adoptée sur l’évaluation des médicaments, laisse habilement de côté la savoureuse question de leurs remboursements…

Qui n'a pas découvert à la caisse d'une pharmacie que son médicament venait récemment d'être déremboursé ? Véritable variable d'ajustement pour les comptes de l'assurance maladie, l’introduction ces dernières années d'une fameuse vignette orange permet de ne rembourser qu'à 15 % plus de 600 médicaments dont les bénéfices pour la santé sont jugés clairement insuffisants par les pouvoirs publics. Une liste qui ne cesse de s'allonger qui pousse aujourd'hui à s'interroger sur la réelle opportunité de continuer à proposer des produits dont l'efficacité est finalement mise en doute. Mais comment les pouvoirs publics prennent-ils ces décisions ? Sur quoi repose ce discernement entre la poudre de perlimpinpin et l'arrivée sur le marché d'une réelle innovation thérapeutique ?

Une discrète commission dite « de la transparence »

Avant que l'assurance maladie ne s'en saisisse, bon nombre d'experts planchent dans un système plutôt opaque. Le comité économique du médicament qui prend ce type de décision suit scrupuleusement l’avis d'une commission dite de la transparence, qui porte décidément mal son nom et continue d'occuper une place bien particulière dans ce système. Placé sous la houlette de la haute autorité de santé, ce groupe d'experts peu connus du grand public fait rarement l'objet de débats alors que ses décisions ont un réel impact sur l’état de santé des Français.

Cette instance scientifique composée de médecins, pharmaciens et autres spécialistes en méthodologie et épidémiologie évalue les médicaments ayant obtenu leur autorisation de mise sur le marché lorsque le laboratoire qui les commercialise souhaite obtenir leur inscription sur la liste des médicaments remboursables, ce qui naturellement attire bon nombre d'industriels. Globalement, elle prononce 800 avis chaque année à l'issue d'une instruction qui peut dépasser 80 jours. Un travail à première vue consciencieux qui aboutit à l'attribution d'une note comme à l'école des fans. En s'appuyant sur l'efficacité et les effets indésirables, les experts situent chaque médicament au regard des autres traitements disponibles. Le problème est que les notes dégringolent depuis des années.  

Au rattrapage

Les rapports d'activité de cette commission permettent vite de comprendre qu’en moyenne chaque année, un seul médicament est aux yeux des experts considéré comme un progrès thérapeutique majeur et sur la fameuse échelle du service médical rendu, deux constituent une amélioration importante en termes d'efficacité ou de réduction d'effets indésirables et quatre autres présentent un bénéfice plus modéré. Au fond de la classe en 2010, trois médicaments n'apportaient qu'une amélioration mineure et 28 se voyaient couronnés d'un niveau d'absence d'amélioration. Pas de quoi sortir les clairons ! Mais, cette fameuse commission de la transparence a trouvé la parade. Les résultats n'étant pas brillants, il est donc apparu plus simple de changer le barème de notation pour faire plus d'heureux parmi les industriels. En imaginant des notes intermédiaires, ces experts qui n'aperçoivent que très rarement un service médical rendu attachent désormais du prix au service médical simplement attendu. Un système de rattrapage où il y a plus de gagnants, mais qui ne présente à priori aucun bénéfice pour les patients.

Le remboursement « oublié » dans la réforme

On aurait pu espérer que la nouvelle Loi sur le médicament du 29 décembre 2011 vouée à faire un grand ménage dans le système, après les révélations de l'affaire Mediator, s'attaque aussi courageusement à ce système touchant aussi à l’évaluation des médicaments et notamment à leurs prix.

Les premiers décrets d'application publiés en mai dernier montrent clairement qu'il n'en est rien et cette loi ne s'appliquera pas dans le champ de leurs remboursements. C’est ce que vient de confirmer cette semaine, le professeur Gilles Bouvenot qui préside cette commission de la transparence en s'exprimant à la faculté des sciences pharmaceutiques et biologiques de l'Université Paris Descartes. Non content d'afficher au passage sa connivence avec un journaliste de la presse médicale, Gilles Bouvenot  espère « le moins de contraintes possible dans la définition de comparateurs pertinents » permettant cette évaluation médico- économique aboutissant aux prix des médicaments. Dans cette loi récente, un modeste article 14 résume en 3 lignes que « la demande d'inscription d'un médicament sur la liste des médicaments remboursables est subordonnée à la réalisation d'essais cliniques contre des stratégies thérapeutiques, lorsqu'elles existent, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État. » Un texte qui devrait mettre des mois à aboutir, mais le Professeur Bouvenot prend les devants.

Pas question que l'on vienne mettre le nez dans la gestion de ces évaluations aux conséquences économiques lourdes pour l'industrie pharmaceutique. Un secteur qu’il connaît par cœur et qui a pris l'habitude de lui faire les yeux doux depuis des années. Les décisions prises par cette commission de la transparence - échappant pour l’heure à la réforme structurelle imposée par la Loi faisant au passage disparaître les autres commissions d'autorisation de mise sur le marché et de pharmacovigilance qui ont péché par omission dans l'affaire du Mediator - se résument purement en un droit de vie ou de mort des médicaments sur les rayonnages des officines. Gilles Bouvenot pourtant tenu à l'écart de la rédaction de cet article de loi qui laisse aujourd’hui un espoir d'injecter un peu de justice dans le système, se montre satisfait de l'organisation actuelle « de rencontres précoces » à l'occasion desquelles les industriels et l'administration se mettent finalement d'accord sur la meilleure stratégie à adopter pour obtenir une bonne note avant que la commission ne se réunisse. Compte tenu des résultats, même l'éducation nationale y réfléchirait à deux fois. Assouplir purement et simplement un système de décision ne peut pas permettre d'améliorer les traitements pour les patients. La réforme de l'évaluation-bénéfice/risque des médicaments est peut-être l'occasion d'injecter aussi un peu de vérité dans la grande cuisine de leurs remboursements.

Sur la réforme : LOI n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé

Sur l’activité de la commission de la transparence de la Haute autorité de santé: Rapport d'activité

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