Billet de blog 7 septembre 2008

Marcel Garrigou-Grandchamp (avatar)

Marcel Garrigou-Grandchamp

Médecin Spécialiste en Médecine Générale

Abonné·e de Mediapart

Cancer de la prostate, le dépistage systématique est-il un "mauvais" plan de santé publique ?

Comme dirait un humoriste célèbre, la réponse fait partie de la question !Sous ce titre un peu provocateur, j'ai voulu essayer de faire le point sur ce sujet pour lequel j'ai personnellement totalement repensé la façon de l'appréhender ces dernières années aux vues des résultats convergents d'études internationales.

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Comme dirait un humoriste célèbre, la réponse fait partie de la question !
Sous ce titre un peu provocateur, j'ai voulu essayer de faire le point sur ce sujet pour lequel j'ai personnellement totalement repensé la façon de l'appréhender ces dernières années aux vues des résultats convergents d'études internationales.


En complément de l'examen clinique et notamment du TR (toucher rectal), le médecin dispose de tests biologiques: le PSA (1) et de façon plus récente le PCA3 (2).
PSA en médecine n'a rien à voir avec le consortium automobile mais c'est un test prostatique peu spécifique de cancer contrairement à une idée répandue.
Depuis quelques années les médecins savent que le dépistage de masse du cancer de la prostate chez l'homme de plus de 50 ans par le PSA serait une aberration, le rapport bénéfice/risque étant très défavorable; mis à part les familles ou les ethnies à risque et en dehors de toute symptomatologie aucun test actuel ne permet un dépistage de masse fiable avec un rapport bénéfice/risque favorable. Le problème n'est pas de diagnostiquer mais de savoir s'il faut traiter ! Et allez dire à un patient qu'il a un cancer et qu'il n' y lieu de ne rien faire en dehors de le surveiller ! En effet, le médecin ne dispose d'aucune stratégie lui permettant d'identifier une tumeur agressive, mais pourtant les médias, certains organismes officiels et sociétés savantes, des associations de praticiens continuent de promouvoir ce type de dépistage autant inefficace que dispendieux et nuisible pour ses "victimes".
Selon une étude publiée par le Lancet en 2003 (3), sur 1 million d’hommes de plus 50 ans se soumettant à un dosage du PSA:
10 % auront un taux de PSA supérieur à la normale, soit 100 000,
2 % auront des biopsies qui reviendront positives (retrouvant des cellules cancéreuses), soit 20 000,
1% sera traité par chirurgie (prostatectomie radicale), soit 10 000,
Mais:
400/1000 opérés, même dans des mains expertes resteront impuissants, soit 4000 des 10 000 opérés et du million d'hommes dépistés
30/1000 opérés, même dans des mains expertes resteront incontinents urinaires sévères, soit 300.
1/1000 opérés décéderont dans les suites opératoires, soit 10 patients pour 1 million ayant pratiqué le dépistage.
Combien seraient morts du cancer qu'ils avaient développé au niveau de leur prostate s'ils n'avaient pas été dépistés ?
Mais ce qui est évident au niveau d'une population l'est-il au niveau individuel ? Ainsi parmi une population bien informée du problème, les médecins généralistes, un nombre non négligeable a fait doser son taux de PSA après 50 ans. Que se passe-t-il au niveau du colloque singulier entre un médecin et son patient asymptomatique mais souvent demandeur d'une exploration sous l'influence de ce qu'il a entendu dans les médias ? Dépister tôt permet de traiter tôt et de guérir à coup sûr pense à juste titre le patient ! En fait pour le cancer de la prostate ce n'est pas du tout cela comme l'a montré une étude publiée dans le NEJM (4) comparant l'attitude thérapeutique suite à un diagnostic de cancer de la prostate: 695 patients ont été suivis pendant 8 ans, 347 avaient subi une prostatectomie radicale et 348 étaient simplement surveillés:

à 6 ans la survie était identique dans les 2 groupes et à 8 ans il y avait un différence non significative en faveur des opérés (survie de 25,6% pour les opérés et 23,5% pour les surveillés)
HAS (5) et AFU (6) véhiculent des messages plutôt contradictoires devant lesquels médecins et encore plus patients n'y comprennent plus rien.
Le médecin qui refuserait de faire pratiquer un PSA se retrouverait à coup sûr devant le juge pour « perte de chance » en cas de cancer à développement rapide.
Faire un dépistage quelqu'il soit n'est pas anodin et le patient doit savoir que le médecin sera peut être amené à poursuivre les investigations en cas de positivité du test: que ce soit un PSA, un test hémoccult (7), un TRI test (8) ....
Il revient donc aux médecins d'expliquer cela en détails aux patients, mais en ont-t-ils le temps ?
Le PSA est un marqueur d'organe mais non de pathologie et notamment de cancer: le PSA augmente avec le volume de la prostate et avec toute état inflammatoire de cette glande; coût B60 (16,20 €), remboursé par la SS.
Plus récemment es apparu le PCA3.
Le PCA3 est un test de biologie moléculaire ciblant un gène identifié en 1999 s'exprimant sous la forme d'un ARN messager spécifique de la cellule cancéreuse prostatique.
Le test est réalisé sur un échantillon d'urines après "massage" de la prostate par TR, son coût est de 300 € non remboursé par la SS (18,5 fois plus que le PSA). Il est disponible en France auprès des laboratoires Biomnis (9) et Pasteur Cerba (10)
Le PCA3, contrairement au PSA, est plus spécifique du cancer de la prostate, le score PCA3 permettant de mieux prédire le risque de biopsies positives sans toutefois atteindre une spécificité parfaite : aussi bien dans l’étude américaine que dans l’étude européenne [Marks, Urology 2007, Haese-de la Taille, Euro Urol 2008], pour un score PCA3 supérieur à 100, 47% des patients ont un cancer alors que si il est inférieur à 10, le risque n’est que de 12%

Le résultat serait également corrélé de façon significative mais modérée, selon les premières études, au volume et à l'agressivité de la tumeur (plus le taux est élevé plus la tumeur serait agressive: [Nakanishi, ASCO 2007, # 354]) Mais les médecins ont besoin de résultats montrant une corrélation plus que modérée !
Le test idéal en matière de cancer de la prostate reste à mettre au point: ce serait un test qui non seulement serait spécifique du cancer de cet organe, mais en plus renseignerait de façon forte et fiable le médecin sur le potentiel évolutif et l'agressivité de la tumeur.
Pour les lecteurs qui souhaiteraient approfondir la réflexion sur les problématiques soulevées par le dépistage du cancer en général, je conseille la lecture de l'excellent livre de H. Gilbert WELCH, traduit par le Dr Fernand TURCOTTE: "Dois-je me faire tester pour le cancer ? Peut être pas et voici pourquoi"; et de façon plus spécifique sur le cancer de la prostate, de consulter le site du FORMINDEP (11) ou le forum ATOUTE (12), où Dominique DUPAGNE a mis en ligne une pétition "Touche pas à ma prostate".

(1) PSA: Prostatique Spécifique Antigène


(2) PCA3: Prostate CAncer Gène 3


(3) Lancet. 2003; 361:1122-8 Frankel S, Smith GD, DonovanJ, Neal D. Screening for prostate cancer.


(4) NEJM: New England Journal of Medecine: Volume 347:781-789; September 12, 2002; Number 11: Une étude randomisée comparant le prostatectomie radicale à l'abstention et surveillance suite à un diagnostic de Cancer de la prostate


(5) HAS: Haute Autorité de Santé

(ex ANAES): http://www.has-sante.fr/portail/jcms/j_5/accueil


(6) AFU: Association Française d'Urologie; http://www.urofrance.org/


(7) Hémoccult: test de recherche de sang dans les selles.


(8) Tri test: évalue le risque de trisomie 21 par rapport à l'âge sur une prise de sang de la femme enceinte.


(9) Site du laboratoire Biomnis: http://www.biomnis.com


(10) Site du laboratoire Pasteur-cerba: http://www.pasteur-cerba.com/


(11) Site du FORMINDEP: http://www.formindep.org/spip.php?article84

(12) ATOUTE: http://www.atoute.org/n/article108.html

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