Billet de blog 9 juin 2013

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Marcel Garrigou-Grandchamp

Médecin Spécialiste en Médecine Générale

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Le médecin généraliste et le sevrage des toxicomanies

En ce samedi 8 juin 2013 je recevais encore un médecin généraliste poursuivi par la CPAM du Rhône dans le cadre de l'art 315 du code de la sécurité sociale,  essentiellement pour mésusage des traitements de substitution aux opiacés !

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En ce samedi 8 juin 2013 je recevais encore un médecin généraliste poursuivi par la CPAM du Rhône dans le cadre de l'art 315 du code de la sécurité sociale,  essentiellement pour mésusage des traitements de substitution aux opiacés !

L'édition du même jour du journal local, LE PROGRES, m'apprenait également à la une que près de 4 ans après les faits qui remontent au 8 août 2009, l'assassin (un toxicomane) de notre confrère Jean-Pierre TERRIEN qui exerçait la médecine générale dans le 8è arrondissement de Lyon, aurait été identifié à partir de son empreinte ADN !

L'année suivante, le 23 novembre 2010, le Docteur Guy PERROT, 69 ans, généraliste dans le 3è arrondissement de Lyon était retrouvé mort, ligoté dans son cabinet situé en plein quartier de la part Dieu par une patiente. Nous savions tous qu'il prenait en charge  beaucoup de toxicomanes et le sans dessus-dessous du cabinet ne laissait aucun doute quant au mobile de l'agression, le vol.

Ces tristes faits-divers illustrent la difficulté et la solitude du médecin généraliste en face d'une patientèle où la pathologie cohabite avec la misère et la délinquance. Et il est beaucoup plus facile et sécurisant de "soigner" des dossiers dans les locaux de l'assurance maladie que sur le terrain en face de ces malades particulièrement difficiles et parfois dangereux !

« vous auriez du l'adresser au centre de référence (CSAPA) *...

« il y a des chevauchements d'ordonnances ...

« vous ne respectez pas la posologie maximale...

« les associations sont dangereuses ...

Les médecins généralistes, et notamment ceux qui prennent en charge les toxicomanes savent tout cela, mais entre la théorie et la pratique sur le terrain il y a un gouffre :

  • Les délais d'attente des CSAPA* sont longs et sur le terrain il faut apporter une réponse rapide.
  • Les règles strictes de prescription ne sont pas toujours compatibles avec l'exercice du médecin qui ne travaille pas forcément tous les jours ...
  • Les posologies préconisées en France ne font pas autorité au niveau des acquis de la science et par exemple pour le SUBUTEX d'autres pays européens admettent des posologies supérieures au 16 mg/jour maxi de notre AMM.
  • Le médecin qui reçoit un patient qui prend des doses ou des associations hors "normes" n'a pas de baguette magique pour le sevrer sauf à le renvoyer dans la rue où il va commettre délits et agressions ou aux urgences hospitalières où au mieux il va venir grossir la surcharge.

S'attaquer au fléau de la toxicomanie demande une certaine souplesse notamment dans le respect des règlementations, une salle de shoot a bien ouvert à Paris alors que la détention et l'usage de produits stupéfiants restent hors la loi ! Le médecin qui a le courage de s'attaquer aux addictions doit pouvoir aussi bénéficier de l'aide et de la tolérance de l'assurance maladie, des Ordres professionnels et des autorités.

Comment accepter de voir poursuivre des médecins généralistes pour mésusage alors que dans le même temps j'observe celui de malades toxicomanes  qui s'adressent à plusieurs médecins de façon simultanée pendant des mois avant que l'assurance maladie ne réagisse et n' informe ces confrères ?

Soigner des toxicomanes demande rigueur et formation mais c'est aussi forcément tolérer un possible mésusage en ayant en tête ses "marqueurs", par exemple le malade qui refuse le générique (qui se revend moins cher au comprimé que "l'original" dans la rue !) . D'un autre côté ce mésusage diminue la délinquance et un brin provocateur on est en droit de s'interroger s'il revient à l'assurance maladie de financer l'amélioration des chiffres de la délinquance du ministère de l'intérieur !

Je voudrais terminer par une note d'espoir qui m'incite à poursuivre, cet espoir c'est une jeune patiente qui a démarré son sevrage aux opiacés dans une autre région, puis est venue sur Rhône-Alpes (rien de tel que l'éloignement pour ne pas être relancé par ses dealers). Son médecin me l'avait personnellement adressée pour ce suivi. J'ai mené à bien son sevrage à la Méthadone® et la CPAM ne m'a pas facilité les choses, notamment à la fin quand j'ai voulu utiliser une gélule à 1mg plus pratique que la suspension à 5mg/3,75 ml qui nécessite une manipulation à la seringue pour prélever 0,75 ml ! Mais aujourd'hui elle est totalement sevrée, a une vie normale, vit en couple et travaille à temps plein ... elle plaisante simplement sur ses passages au cabinet bien moins fréquents qu'auparavant « ... s'il n'y avait pas la contraception et le rhume des foins vous ne me verriez plus ! »

Dr Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP, Lyon 3è, FMF CELLULE JURIDIQUE

* CSAPA : Centres de Soins d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie 

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