Billet de blog 17 janvier 2009

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Marcel Garrigou-Grandchamp

Médecin Spécialiste en Médecine Générale

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2009, les médecins au STO ou la "Country Taxe"

Le généraliste qui s'installait en libéral dans les années 80 (les postes salariés étaient extrêmement rares à l'époque) avait le choix entre racheter une clientèle et démarrer avec de lourdes dettes ou créer son cabinet et accepter des années de galère. Les générations pléthoriques de leurs aînés étaient bien établies et il ne lui restait que la PDS (1) pour vivre. En ville, les choix de garde étaient une vaste foire d'empoigne où ils s'arrachaient les gardes que les "bien en place" leur abandonnaient généreusement. J'ai vraiment l'impression qu'il s'est écoulé une éternité tellement la situation actuelle est différente, pourtant c'était il y a 25 ans. Ils enchaînaient les jours et les nuits, les semaines et les week end (il faut bien être présent même quand la clientèle est rare) dans l'indifférence de tous ou plutôt de tous ceux que cela arrangeait:

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Le généraliste qui s'installait en libéral dans les années 80 (les postes salariés étaient extrêmement rares à l'époque) avait le choix entre racheter une clientèle et démarrer avec de lourdes dettes ou créer son cabinet et accepter des années de galère. Les générations pléthoriques de leurs aînés étaient bien établies et il ne lui restait que la PDS (1) pour vivre. En ville, les choix de garde étaient une vaste foire d'empoigne où ils s'arrachaient les gardes que les "bien en place" leur abandonnaient généreusement. J'ai vraiment l'impression qu'il s'est écoulé une éternité tellement la situation actuelle est différente, pourtant c'était il y a 25 ans. Ils enchaînaient les jours et les nuits, les semaines et les week end (il faut bien être présent même quand la clientèle est rare) dans l'indifférence de tous ou plutôt de tous ceux que cela arrangeait:
- les "bien en place" qui ne faisaient pas de garde et engrangeaient les actes le jour,
- les institutionnels: Etat, Ordre car il ne manquait pas de bras pour le labeur à toute heure du jour et de la nuit,
- les spécialistes qui reconnaissaient une compétence toutes spécialités confondues à leurs collègues généralistes la nuit, les week end et les jours fériés, mais les déclaraient incompétents à la moindre occasion dans les médias le jour !
- les français qui pouvaient consommer de la médecine comme on commande une pizza; la visite de nuit pour la rhino du petit ou pour le papa qui n'irait pas travailler le lendemain étaient leur pain quotidien.
J'ai connu et participé à cette farce, il fallait bien vivre, mais j'y ai mis fin le jour, ou plutôt la nuit (il était 2 heures du matin) où la régulation du SAMU m'a envoyé en urgence chez une jeune femme pour "maux de ventre"; elle avait en fait rompu les ficelles de son tampon périodique et alors là moi aussi, j'ai craqué, j'ai dit stop !
Les "bien en place" pourraient partir avec une retraite confortable, en revanche la génération 80, la génération sacrifiée savait que la leur de retraite le serait également, le régime ASV (2) qui assure 40% de la retraite des médecins étant en faillite.
Côté assurance maladie de déficit en plans de redressement la situation des finances s'est détériorée, aggravée par la crise, le chômage et son déficit de recettes, les politiques ont diminué de façon drastique le nombre d'étudiants admis en médecine allant jusqu'à éliminer plus de 90% des candidats à la 2è années (pour eux la pléthore médicale était la cause du déficit) et en dépit de nos avertissements depuis de longues années nous nous retrouvons aujourd'hui dans une situation inverse avec des responsables politiques aux abois qui cherchent désespérément, mais bien trop tard (il faut compter 10 ans pour qu'un médecin soit opérationnel) les moyens de lutter contre la désertification médicale qui menace la France. Et comme toujours chez nos responsables c'est le "bâton" qui a la préférence: on va les forcer à bosser ces nantis !

Alors, de quoi s'agit-il ? D'une proposition de l'UNCAM bien accueillie lors des négociations conventionnelles par les responsables d'un syndicat de généralistes et repris en cœur par le Président de l'Union des caisses d'Assurance Maladie (3) et certains responsables politiques.
Ils ont imaginé imposer aux médecins installés dans des zones qu'ils pensent sur-dotées d'aller exercer une activité secondaire dans des zones sous-dotées ou de payer une pénalité financière; c'est le nouveau STO pour les médecins !
Un peu comme si on demandait au professeur du lycée Henri IV d'aller après ses cours faire la classe dans le 9.3 ou à Mr Michel Regereau (Président CFDT de l'Assurance Maladie) d'aller prêter main forte le dimanche pour les manifestations de la CGT !
Mais ces penseurs inventifs ont oublié quelques détails:
- Les zones sur-dotées ne sont qu'une fausse approximation administrative et par exemple en Rhône-Alpes GEOSANTE (4) piloté par l'URML (5) et le CDO (6) l'a parfaitement démontré: les chiffres "officiels" de la démographie médicale ne tiennent pas compte de l'âge des médecins en exercice, de leur sexe (les femmes plus investies dans leur famille consacrent généralement moins d'heures à leur activité professionnelle) et des flux saisonniers de la population.

Du moins en médecine générale il n'y a pas en France de zones sur-dotées mais des zones normo-dotées, sous-dotées et désertiques.
- Quand on déshabille Pierre pour habiller Paul, Pierre se trouve en difficulté sans pour autant régler totalement le problème de Paul: cette parabole pour expliquer que le service médical dans des zones encore à peu près en équilibre va être compromis par cette initiative sans régler le problème des zones désertiques.
- Comment demander à des médecins travaillant déjà plus de 50 heures par semaine d'aller en faire encore ailleurs alors que la législation européenne a récemment légiféré pour limiter le travail hebdomadaire à 48 h ?
- Toutes les mesures coercitives à l'égard des médecins, notamment généralistes, ne feront qu'accentuer les départs prématurés à la retraite et le choix préférentiel de postes salariés par les nouveaux diplômés; sachant qu'un nombre de postes salariés supérieur à celui des nouveaux diplômés sera disponible dans les 10 prochaines années, ces mesures devraient massivement orienter les nouveaux arrivants vers ce secteur.
- Comment les pouvoirs publics pourraient oser contraindre certains de leurs concitoyens (les médecins) d'aller travailler dans des zones desquelles ils se désinvestissent massivement avec des fermetures d'écoles, de perceptions et autres bureaux de La Poste ?
- Ils demandent aujourd'hui aux médecins de payer les erreurs politiques de leurs prédécesseurs qui affirmaient que l'offre créé la demande et qu'il y avait trop de médecins en France; ils pensaient que ce trouvait là l'origine des déficits des comptes sociaux et ils ont serré la vis du numérus clausus jusqu'à en arriver au désastre actuel: Jacques BARROT autrefois Ministre des Affaires sociales, aujourd'hui commissaire européen était de ceux-là.
Pourtant des solutions pérennes existent, il faudrait réinvestir dans la médecine générale en la revalorisant fortement pour l'amener à hauteur des revenus des autres spécialités; ce serait le seul espoir de voir les étudiants revenir vers elle et vers le secteur libéral et de freiner les départs anticipés à la retraite.


Mais attention, toute coercition serait contre productive sauf peut être à raviver les braises d'une contestation larvée qui couve et à sonner l'heure de l'union dans la révolte !
Dr Marcel Garrigou-Grandchamp, Lyon, ESPACE GENERALISTE
(1) PDS: permanence des soins ou les gardes pour les non initiés
(2) ASV: Avantage Social Vieillesse.
(3) et il en est pas à son coup d'essai, déjà en 2006: http://www.espacegeneraliste.info/Michel-Regereau-CFDT-et-la-PDS
(4) http://[2001:4860:0:1001::84]/search?q=cache:DvgGGmczFXIJ:www.urmlra.org/upload/mod/mod_news_5/pj/Geosante_-_Dossier_Presse_2008_10_16.pdf+geosante&hl=fr&ct=clnk&cd=5&gl=fr
(5) URML: Union Régionale des Médecins Libéraux.
(6) CDO: Conseil Départemental de l'Ordre des Médecins.

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