
La justice est-elle juste en France ?
Nous avons assisté jeudi 16 octobre (avant une journée nationale le 23) à des manifestations de magistrats à Marseille et Toulon dénonçant l'intervention de la Garde des Sceaux Rachida DATI qui avait osé diligenter une simple enquête à la suite des récents suicides de jeunes détenus dans la prison de Metz-Queuleu. Les manifestants criaient à l'ingérence, à l'atteinte à la démocratie et ont en profité pour dénoncer le manque de moyens, pointant ce déficit comme une étiologie possible à ces drames: en quelque sorte, «... nous avons fait ce que nous avons pu avec les moyens mis à notre disposition ...»
Que n'ai-je entendu les même dénoncer la condamnation de cette Consœur exténuée après une journée de travail, enchaînant une nuit de garde, qui s'était endormie d'épuisement et n'avait pas entendu son téléphone ! Pas une seule voix pour la défendre ou lui accorder des circonstances atténuantes ! Le manque de moyens touche aussi cruellement la médecine et des médecins généralistes sont contraints par réquisitions préfectorales de travailler jour et nuit d'affilée en violation du Droit Européen: ce qui serait interdit à un pilote d'avion est imposé quotidiennement aux seuls médecins généralistes et le pouvoir politique par le biais de la future Loi HPST (1) a même prévu le renforcement des sanctions à l'encontre de ceux qui oseraient se rebeller en refusant cet "esclavage" moderne !
Que n'ai-je entendu les même dénoncer le lynchage médiatique de ce Confrère urgentiste accusé pas moins d'homicide volontaire sur une dénonciation calomnieuse ! En revanche j'ai vu un Procureur prompt à se présenter devant les médias pour accuser mais oubliant d'y revenir pour s'excuser. Que pensent les magistrats de l'honneur bafoué de ce médecin ?
Que n'ai-je entendu les même dénoncer le scandale de l'instruction d'Outreau et ses « dommages collatéraux » avec ces vies brisées et ces vies à jamais perdues
Que n'ai-je entendu les même dénoncer les violations réitérées de la « présomption d'innocence » et les sanctions d'interdiction d'exercice à l'encontre des médecins mis en examens pour suspicion de complicité de trafic de stupéfiants !
Ce seul sujet mérite un développement plus complet. Mis en examen ne veut pas dire coupable. Pourtant certains magistrats instructeurs interdisent totalement d'exercice le médecin suspecté tout au long de l'instruction qui peut s'étaler sur plusieurs années. L'exercice hors substitution de produits stupéfiants pourrait être autorisé, mais non, c'est comme si le médecin était d'avance coupable et devait être sanctionné alors que le BA BA de l'accusation (par exemple la production des prescriptions) n'est même pas encore établi.
Cette situation est particulièrement injuste et partiale
- D'autant plus que les ordonnances des médecins sont parfois volées et/ou falsifiées comme l'a reconnu un service RPS (2) de CPAM (LYON).
- D'autant que les centres médicaux spécialisés en substitution bénéficient d'un traitement de faveur.
- D'autant que les CPAM et leurs services médicaux ne sont pas inquiétés ni accusés de complicité de trafic alors qu'ils sont parfaitement au courant des consommations par patient, de leur nomadisme médical et pharmaceutique et continuent souvent de les prendre en charge. Je veux sur ce point me référer à une étude de la CPAM de Seine Saint Denis publiée par leur département de communication en 2004 (Traitement de substitution en Seine-Saint-Denis Description et évaluation des pratiques: Résultats), dont je place la première page en document joint. La CPAM rapporte un nomadisme médical dans 45% des cas et pharmaceutique dans 40% des cas ! La CPAM du 93 précise que 3% des patients utilisant ces substances s'adressent auprès de 6 à 10 prescripteurs différents et 1% auprès de 11 à 26 prescripteurs: ces 4% de patients se livrent manifestement à un trafic, la CPAM a les moyens de le savoir, les médecins prescripteurs pas forcément, pourtant ce sont les seuls médecins qui sont poursuivis avec les dealers.
A la façon d'un ex ministre de la santé (qui lui s'en prenait aux chirurgiens dentistes) on pourrait s'écrier « cochons de généralistes » ! Ou bien à la manières des citoyens qui pensent que leurs responsables politiques sont tous « pourris », mais les médecins généralistes acceptant de soigner les toxicomanes vont se faire de plus en plus rare et les centres spécialisés ne vont plus pouvoir assurer le traitement des malades. Les règles imposées en France sont trop rigides comme le plafond de 16 mg de BUPRENORPHINE sans consensus Européen et sachant qu'à ma connaissance il n'y a jamais eu de décès par overdose avec cette molécule. Les associations avec des Benzodiazépines sont interdites, mais comment faire pour sevrer certains patients qui sont de vraies "bombes à retardement" ?
Sur le fond du problème et en marge de la politique de santé publique qui cherche à traiter les phénomènes de toxicomanie, la substitution aux opiacés a permis un diminution spectaculaire de la petite délinquance (vol à l'arracher, col à la roulotte, agression ...) mais a aussi favorisé l'émergence d'une nouvelle délinquance financée par l'assurance maladie en lieu et place des petites gens agressés.
Il y eu certes un grand laxisme à tous les niveaux mais la reprise en main sécuritaire ne doit pas se faire sur les seuls médecins généralistes libéraux et c'est entre autres ce que je suis venu dénoncer ici.
Dr Marcel GARRIGOU-GRANDCHAMP, ESPACE GENERALISTE
(1) HPST: Hôpital, patients, santé, territoire
(2) RPS: Relations avec les Professionnels de Santé.