Billet de blog 19 novembre 2008

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Marcel Garrigou-Grandchamp

Médecin Spécialiste en Médecine Générale

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Les Sections des Affaires Sociales (SAS) des Conseils Régionaux de l'Ordre des médecins (CRO) ont oublié l'Arrêt TERY

Dans cet Arrêt du Conseil d'Etat qui date de 1913, étaient pourtant posés les principes intangibles d'un Etat de Droit: impartialité et respect des droits de la défense !La France est un pays démocratique régi par le Droit européen qui supplante le Droit des nations. Notre pays est un état de Droit duquel pourtant certains de ses citoyens sont exclus: je veux parler des médecins poursuivis devant les SAS (1) des CRO (2). Leurs droits à la défense sont souvent ignorés devant ces juridictions alors que de récentes affaires ont montré l'importance accordée par la justice de notre pays à ce droit élémentaire allant jusqu'à libérer un criminel avéré à la suite d'une faute de frappe dans un compte rendu d'audience !Tous les avocats avec qui j'ai évoqué le sujet ou qui se sont investis dans la défense de Médecins poursuivis devant ces juridictions, n'ont pu que déplorer le mode de fonctionnement des SAS, le sentiment de pré jugement, la partialité qui y est fréquemment la règle et le peu de cas qui y est fait des droits de la défense.Ces sections disciplinaires servent essentiellement à sanctionner les fautes supposées des médecins quant au respect du CSS (3) et du CDM (4) à la suite de procédures contentieuses avec les CPAM (5) et je veux détailler ici les nombreux dysfonctionnements:

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Dans cet Arrêt du Conseil d'Etat qui date de 1913, étaient pourtant posés les principes intangibles d'un Etat de Droit: impartialité et respect des droits de la défense !


La France est un pays démocratique régi par le Droit européen qui supplante le Droit des nations. Notre pays est un état de Droit duquel pourtant certains de ses citoyens sont exclus: je veux parler des médecins poursuivis devant les SAS (1) des CRO (2). Leurs droits à la défense sont souvent ignorés devant ces juridictions alors que de récentes affaires ont montré l'importance accordée par la justice de notre pays à ce droit élémentaire allant jusqu'à libérer un criminel avéré à la suite d'une faute de frappe dans un compte rendu d'audience !
Tous les avocats avec qui j'ai évoqué le sujet ou qui se sont investis dans la défense de Médecins poursuivis devant ces juridictions, n'ont pu que déplorer le mode de fonctionnement des SAS, le sentiment de pré jugement, la partialité qui y est fréquemment la règle et le peu de cas qui y est fait des droits de la défense.
Ces sections disciplinaires servent essentiellement à sanctionner les fautes supposées des médecins quant au respect du CSS (3) et du CDM (4) à la suite de procédures contentieuses avec les CPAM (5) et je veux détailler ici les nombreux dysfonctionnements:

- Les conseillers ordinaux y sont sous-représentés et les administratifs y sont non seulement majoritaires, mais pour certains à la fois juge et partie. En effet, les SAS sont composées:
D'un Président membre du corps du Tribunal Administratif ou de la cour administrative d'appel en activité dans le ressort de laquelle se trouve le siège du conseil régional,
Eventuellement de deux présidents suppléants nommés dans les mêmes conditions.
De deux assesseurs proposés par le CRO et choisis en son sein,
De deux assesseurs représentant les organismes de sécurité sociale (le premier étant nommé sur proposition du médecin-conseil régional du régime général de sécurité sociale parmi les médecins-conseils titulaires chargés du contrôle médical dans la région, le second, sur proposition conjointe des responsables des services médicaux compétents dans la région respectivement du régime de protection sociale agricole et du régime d'assurance maladie des travailleurs non salariés des professions non agricoles parmi les médecins-conseils titulaires chargés du contrôle médical dans ces régimes).
C'est-à-dire que sur les 5 à 7 membres, seulement 2 au maximum sont issus du secteur de la médecine libérale.
- Au cours de la phase d'instruction les médecins conseils en charge des dossiers font obstacle, contrairement à la Loi et à l'art 315 du CSS, à communiquer les pièces nécessaires à la défense: ordonnances, PES (6), CR d'audition de patients, se retranchant derrière une terminologie pré contentieuse alors qu'il s'agit bien déjà d'un contentieux dans sa phase d'instruction ce qui est confirmé par le législateur qui a jugé nécessaire d'évoquer dès ce stade le « droit de la défense » dans son texte: «... La procédure d'analyse de l'activité se déroule dans le respect des droits de la défense selon des conditions définies par décret ...»
Dans une réponse en date du 21 mars 2008 au Syndicat de médecins d'Aix, les responsables de la CNAMTS (7) Pierre FENDER et Olivier de CADEVILLE précisent que pour préparer l'entretien contradictoire le médecin peut se « déplacer dans les locaux de la caisse » pour consulter ces pièces, mais il faut savoir qu'un tel dossier contient des centaines de pièces qui doivent être analysées et répertoriées pour permettre au médecin et à son conseil de constituer sa défense: ils doivent donc disposer de copies. Ces 2 responsables rajoutent que les

« pièces comptables » ne peuvent quitter les locaux de la caisse, pourtant des copies en sortent bien pour se retrouver dans les conclusions des saisines des SAS !
-Tout au long de l'instruction le médecin contrôlé n'a pas accès aux documents nécessaires à sa défense et il se retrouve à quelques semaines voire de jours de l'audience devant la SAS face à des caisses de documents (mémoire de la CPAM avec tous les documents servant de pruves à charge) !
- En ce qui concerne les convocations et auditions de patients, si les CPAM préviennent bien les médecins que certains patients (sans plus de précision) peuvent être entendus, il est important de souligner ici une importante divergence d'appréciation avec l'avis du CNOM (8) qui, interrogé par notre syndicat, s'est prononcé en précisant que les caisses devraient informer les médecins contrôlés pour chaque patient convoqué et en précisant son identité.
Parfois ce sont de simples agents administratifs assermentés [agents sapiteurs] (9) qui entendent les patients et il est fréquent de constater des interrogatoires plutôt orientés; leurs témoignages sont pourtant cités à charge en dépit d'un inadmissible et choquant (en termes de droits) cumul de fonction entre plaignant et témoin !
- Les médecins conseils des CPAM sont omniprésents et multi casquettes: les voilà successivement enquêteur, juge d'instruction puis procureur devant la juridiction disciplinaire, de telle sorte que les prévenus doutent légitimement de leur impartialité d'autant que les débats apparaissent souvent comme "réglés" à l'avance. Ainsi dans une récente affaire devant la SAS du CRO de Rhône Alpes, le rapporteur n'aurait même pas pris la peine de citer les éléments à décharge et les fautes de procédure du dossier favorables au prévenu; pire accusé et avocat se sont vus maltraités verbalement par les membres du tribunal appartenant aux caisses, le Président refusant d'acter les propos; situation suffisamment grave pour que l'avocat en réfère à son Bâtonnier. Je laisse la parole (avec son autorisation) à ce Confrère que je vais nommer pour la circonstance le Docteur R:
Docteur R: « ... Puis le jury me demande si j'avais quelque chose à rajouter. Et au moment où je débute mes explications, le directeur de la caisse me coupe la parole et qualifie de propos diffamatoires le plaidoyer de l'avocat, le tance de faire preuve de retenue dans son attitude, de modération dans ses propos et lui rejette à la face le terme de "supercherie" employé auparavant lors de son plaidoyer; l'intervention du directeur de la caisse était agressive et menaçante; le président et le conseil de céans ont été d'une passivité déconcertante...
Mon avocat a réagi vivement en demandant au directeur de retirer ses propos sur le champ et au président du conseil de constater que sa robe d'avocat avait été salie et que la séance soit suspendue immédiatement. Le président n'accédera à aucune de ces requêtes.
Puis je demande à ce que je sois entendu, malgré le vacarme, puisque finalement j'étais le seul qui n'avais pas pu s'expliquer alors que j'étais l'accusé. A mon tour, je rappelle brièvement mon cursus, demande que cette affaire soit examinée à la lumière de mon expérience, de mon vécu professionnel, de mes profils d'activité; je mets en exergue l'anti confraternité du médecin conseil, la hargne et la méchanceté des représentants de la CPAM au point d'introduire une plainte auprès du procureur eu égard aux griefs retenus et j'insiste à l'encontre du jury de juger cette affaire en âme et conscience et je finis mes propos par un "vive la France" retentissant auquel je croyais plus.
Force est de constater l'impunité pour certains, le piétinement des droits les plus absolus à mon encontre et le manque de respect pour mon conseil et moi-même.
Il m'a semblé non seulement que la messe avait été dite avant notre arrivée ... la fébrilité du directeur de la caisse s'explique par la sous-estime de l'adversaire, par la pugnacité de la défense dans son argumentaire
... »
Concernant l'impartialité d'une juridiction et les Droits de la Défense voici ce que déclarait Alain SEBAN, Maître des Requêtes au Conseil d'Etat citant le fameux arrêt TERY:
«... Le principe d’impartialité implique que non seulement les membres de la juridiction, mais la juridiction elle-même, ne prennent pas, en dehors du procès et avant le terme de celui-ci, de position qui serait constitutive d’un pré-jugement. Le principe ainsi formulé est proche de celui de la présomption d’innocence qui implique " que les membres du tribunal, en remplissant leur fonction, ne partent pas de la conviction ou de la supposition que le prévenu a commis l’acte incriminé "...
Le principe des droits de la défense rejoint le principe d’impartialité en exigeant que la juridiction ne forme son jugement que sur des pièces qui ont été soumises à la discussion des parties. Ainsi que l’indiquait le président Corneille dans ses conclusions sous l’arrêt " Téry " du 20 juin 1913: " le juge ne doit se déterminer que sur les pièces produites, et par suite discutées, dans l’instance même sur laquelle il a été statué ". " Le dossier, tout le dossier, mais rien que le dossier " : tel est le cadre dans lequel le débat devant le juge est rigoureusement enfermé
... »
A l'époque il paraissait indispensable d'encadrer l'action de l'administration et les juges administratifs avaient recherché les principes essentiels et naturellement le Droit à la Défense s'était imposé: c'est le sens de cet arrêt du Conseil d'Etat qui consacre dès 1913 le Droit à la Défense devant toutes les juridictions y compris disciplinaires (CE 20 juin 1913, Téry, Rec 736).
A lire les déclarations du Docteur R, l'arrêt TERY est bien loin dans les faits et dans les actes et il est temps que quelqu'un se lève et dise STOP !

Notre système judiciaire saura-t-il se réformer sur ce point, ou faudra-t-il que nous saisissions les juridictions Européennes pour y parvenir? L'avenir le dira.

Marcel Garrigou-Grandchamp, ESPACE GENERALISTE

(1) SAS: Section des Affaires Sociales
(2) CRO: Conseil régionaux des Médecins
(3) CSS: Code de Sécurité Sociale
(4) CDM: Code de Déontologie Médicale
(5) CPAM: Caisse Primaire d'Assurance Maladie.
(6) PES: Protocole d'Examens Spéciaux (donnent droit à l'exonération du ticket modérateur, communément appelé 100%)
(7) CNAMTS: Caisse Nationale d'Assurance Maladie des travailleurs Salariés.
(8) CNOM: Conseil National de l'Ordre des Médecins.

(9) Sapiteur: nom donné à un expert des assurances maritimes et par extension nom donné à un technicien, ou à un expert, un consultant, un constatant qui permet à un expert déjà désigné de recueillir des informations orales ou écrites dans une catégorie technique qui n'est pas la sienne.

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