Billet de blog 21 juin 2011

Lise Grammont

Abonné·e de Mediapart

Nouveaux radars et changement de casquette dans la police des produits de santé

Sept mois après les révélations du scandale du Médiator, le gouvernement s’apprête à ajuster la manière dont les médicaments seront désormais mis sur le marché ou retirés des rayonnages des officines.

Lise Grammont

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Sept mois après les révélations du scandale du Médiator, le gouvernement s’apprête à ajuster la manière dont les médicaments seront désormais mis sur le marché ou retirés des rayonnages des officines. Pour réformer la pharmacovigilance et élargir le suivi de l’utilisation des médicaments comme de tous les produits de santé, Xavier Bertrand n’a pas lésiné sur les travaux préparatoires et pour les experts de tous poils l’heure est venue de rendre les copies.

Promettant une réforme d’envergure dès la mi-janvier, le ministre avait dès lors confié une enquête à l’inspection générale des affaires sociales (Igas) qui doit aujourd’hui rendre la deuxième partie de son rapport sur ses travaux menés dans l’affaire du Médiator. Jeudi, c’est au tour d’Édouard Couty de présenter les conclusions des travaux des assises du médicament, «chargé d’engager une large concertation sur la refonte du système de sécurité sanitaire des produits de santé. » Une vaste entreprise qui a mobilisé ces trois derniers mois plus de 310 experts, conviés à participer à une dizaine de réunions d’une demi-journée chacune. Représentants des ordres, universités, ministères, cliniciens, syndicats s’y sont précipités tout au moins au départ, car il fallait en être !

Tous les experts, ayant rendu de près ou de loin des avis sur la mise sur le marché des médicaments ou le niveau de remboursement à leur réserver, ont été sollicités. Naturellement, quoi de plus simple, pour ne fâcher personne, que de demander une auto-évaluation à ceux qui ont pris les décisions, histoire de faire le point, en toute sérénité sur une situation. Quelques coups de pieds ont tout de même été donnés dans la fourmilière à l’occasion des travaux de deux missions d’information respectivement pilotées par le socialiste Gérard Bapt et l’UMP Yves Bur, sous la houlette de la commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale. Parallèlement, le rapport rendu au chef de l’État par les Prs Debré et Even, ouvre les yeux sur « l’incapacité de l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé à communiquer avec les personnels de santé et les patients, à hiérarchiser son travail et prioriser ses actions en termes d’urgence et de gravité des risques. »

Un manque de pilotage de la sécurité sanitaire dans notre pays clairement souligné, plus de 15 ans après l’affaire du sang contaminé, une situation que les bureaucrates du secteur avaient pourtant juré de ne jamais revoir. C’est donc ces pilotes expérimentés, qui se sont réunis dans le cadre des Assises du médicament souhaitées par Xavier Bertrand dont les conclusions des six groupes ont été rendues le 31 mai dernier. En passant au peigne fin, l’amélioration des conditions d’octroi de l’autorisation de mise sur le marché, le renforcement du système de surveillance des médicaments, l’encadrement des prescriptions hors AMM, le développement de l’information sur les produits de santé, l’optimisation de la gouvernance et enfin le renforcement du contrôle de l’évaluation des dispositifs médicaux, « on allait voir ce qu’on allait voir » et toutes les idées de réforme accompagnées de propositions concrètes semblaient alors les bienvenues.

La sécurité des médicaments est aussi une idée de démocratie.

La réalité de ces assises du médicament qui viennent de s’achever anéantit tout espoir en ce sens. Ces réunions « vouées à redonner confiance aux Français dans le système du médicament » ont d’abord pris la tournure de séance à huis clos. Ceux qui étaient invités à réfléchir sur la transparence de l’information se sont d’abord élevés contre la moindre tentative de prendre des images et de filmer les réunions. Il aura fallu la tentative isolée et l’esclandre du Dr Philippe Foucras, président d’un collectif de professionnels de santé qui réclament une formation médicale indépendante, pour faire admettre à Édouard Couty et au gouvernement l’indispensable transparence sur les échanges entre experts. Alors que le budget initial ne permettait même pas de prendre les débats en sténo, les moyens ont finalement pu être réunis dans l’urgence pour que les images aujourd’hui disponibles sur le site du ministère de la Santé existent. Ces assises auront au moins permis aux pouvoirs publics de mesurer à quel point la sécurité des médicaments passe aussi par la démocratie sanitaire. Seuls quelques représentants de la rédaction de la revue Prescrire ont permis de le marteler au sein de chacun des groupes.

Les assises du médicament, un "grattage de tête" à grande échelle.

Les images prises à l’occasion de ces travaux révèlent au moins l’ambiance délétère de ces réunions à répétition ou les grattages de tête ont pris le pas sur les échanges francs et spontanés attendus. Donnant la mesure des dérives bureaucratiques dans la gestion des dossiers d’autorisation de mise sur le marché, on comprend mieux comment des décisions ont pu être prises à l’écart de la vraie vie des produits et de leurs effets indésirables. Alors que les experts réunis restaient cantonnés à entonner d’une même voix « tout va très bien madame la marquise » les quelques journalistes présents ont tenté de faire entendre la leur, appelant à se concentrer sur les patients avant de s’intéresser aux intérêts des industriels. En effet 5 % des hospitalisations restent liés aux effets secondaires des médicaments et 15 à 20 % des médicaments restent prescrits en dehors des indications dans lesquelles ils ont apporté la preuve de leur efficacité et malgré tout remboursés, comme l'a révélé l'affaire du Médiator. Appelant à cesser d’inonder les prescripteurs de médicaments inutiles, Bruno Toussaint de la revue Prescrire demande aussi "d’arrêter de confier l’évaluation des produits aux entreprises qui les fabriquent." Le cœur du problème relèverait en effet d’un conflit d’intérêts massif et la multiplication des études scientifiques tendant à prouver le niveau de sécurité des produits ne sera d’aucun effet si les décideurs ne sont pas plus indépendants.

Des lanceurs d'alerte

Pour que le cas du Médiator ne se reproduise plus, le traitement proposé par les assises du médicament passe par la création d’un nouveau statut de « lanceurs d’alerte. » Professionnels de santé et associations de patients, pourront interpeller directement les autorités de tutelle sur la dangerosité d’utilisation de produits ou de dispositifs médicaux, sur la base de faits constatés et établis. Pour Irène Frachon, qui a mis des années à être prise au sérieux avant que le scandale du Médiator n’éclate, cette nouvelle crédibilité accordée à ce que les médecins constatent est en soi déjà une bonne nouvelle. Les autorités de santé devront répondre à ces alertes parallèlement aux signalements d’effets indésirables émis par les centres régionaux de pharmacovigilance.

L'effet DSK: "Démocratie Sanitaire Képi"

L'ordonnance de ces assises est simple: les experts proposent de multiplier les réseaux pour faire remonter l’information, excluant encore que le patient lui-même n’avertisse. Pour l’heure, aucune solution raisonnable n’est encore avancée sur l’information simple, rapide et efficace due aux citoyens patients. La proposition de créer un simple site Internet santé est aujourd’hui une solution bien pâlichonne à l’heure où les Français ont tous appris en moins d’une heure la mise en cause de DSK à 6000 km de la France, sur leur téléphone portable. À l’aube de cette nouvelle ère promise telle une "Démocratie Sanitaire Képi", les Français grands avaleurs de gélules sont en droit d’attendre plus d’informations, à commencer par ces fameuses notices impossibles à saisir au fond des boîtes de Médoc et qu’un 10/10 aux deux yeux ne permet pas de lire.

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