« Plusieurs candidats de Secret Story appellent avec Édouard Louis à boycotter les Rendez-vous de l'Histoire » (…) "J'y crois pas qu'y z'ont invité ce boloss de Marcel Gauchet à dire le truc d'inauguration", s'est ainsi insurgée Jessica dans le confessionnal hier soir, rejoignant, après Dominique A et Jill Caplan, les nombreux intellectuels de la jeune génération déterminés à lutter contre la réaction…». Au cœur de l’été, le web-journal satirique Désinformations.com montre jusqu'où vont les disqualifications du débat qui ne fait alors que commencer à envahir une partie de la presse et de la blogosphère. Aujourd’hui, plus de deux mois après, et malgré les dénégations répétées de ceux qui veulent à tout prix l’étouffer, ce débat a de fait pris les dimensions d'une affaire, inspirant plusieurs milliers d’articles, billets et commentaires et mobilisant plusieurs centaines de pétitionnaires1. Toute pensée doit-elle être posée comme équivalente en démocratie ? Quel rôle les institutions culturelles, médiatiques et académiques jouent-elles dans la banalisation des idées réactionnaires, dans un contexte de montée inédite de l’extrême -droite ? Quelle doit être, quelle peut être l’attitude des intellectuels et des citoyens en général vis-à-vis du dysfonctionnement de ces institutions ? Comment le débat public fonctionne-t-il aujourd’hui ? Quelle est la place des controverses et de la conflictualité politique et intellectuelle dans la construction du savoir et des opinions ? Voici les questions que posent, selon nous, les nombreux appels, pétitions, déclarations, actions et réactions entourant la 17e édition des Rendez-vous de l’histoire de Blois. Agissant en creux comme un révélateur, ces prises de parole donnent, sur le ton inhabituel et peu accepté de l’affrontement, une petite idée des recompositions actuelles du monde politique et intellectuel hexagonal, démontrant le lien entre la montée des valeurs du conformisme et de la modération et la dissémination du conservatisme le plus prononcé.
Les protagonistes.
Lorsqu’au mois de juin 2014, la direction des Rendez-Vous de l’Histoire de Blois, un des plus grands festivals culturels de France dédié cette année-là aux « Rebelles » décide, sans avoir consulté son conseil scientifique, d’inviter Marcel Gauchet pour la conférence inaugurale, elle accomplit alors probablement, de son point de vue, un geste des plus anodins2. Pressée de boucler la liste des participants, elle n’imagine certainement pas une seconde que ce choix secouera le milieu journalistique et savant, inspirant des articles quotidiens jusqu’à l’automne. Précisément. C’est cette banalité routinière même qui semblera à certains révélatrice d’un contexte intellectuel et politique bien plus large, lié au tranquille délitement du débat public et à l’insensible progrès des idées les plus réactionnaires faisant, à plus ou moins court terme, le lit de la pensée d’extrême-droite.
Les pétitionnaires et le festival
Parce qu’elle ne faisait que témoigner des problèmes de gouvernance internes à de nombreuses organisations ou institutions, cette petite décision avait toutes les chances de ne pas passer la barrière de l’espace public. Ce ne fut pourtant pas le cas. Au cœur de l’été, le 29 juillet, Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie, tous deux invités au festival, publièrent sur leurs blogs respectifs une tribune informant de leur retrait des Rendez-vous de l’Histoire, appelant même à son boycott et à la démission de sa présidente Michelle Perrot, historienne des femmes. Evoquant leur « stupéfaction », leur « dégoût », ils expliquaient leur impossibilité de participer à la même manifestation que Gauchet, rappelant que celui-ci s’était engagé contre certains mouvements sociaux (en 1995), contre le PACS et le mariage pour tous, contre les mouvements féministes, contre l’héritage de Foucault, Bourdieu, de mai 68 et la pensée critique, et publiait dans la revue Le Débat, dont il dirige la rédaction, « tout ce que la France compte d’idéologues réactionnaires ». Pour les deux auteurs, la participation à un événement public comme Blois suppose une responsabilité intellectuelle et civique impliquant de refuser de « légitimer les opinions les plus violemment conservatrices ». Dès le lendemain, le sociologue et philosophe Didier Éribon, associé à l’héritage intellectuel de Michel Foucault et de Bourdieu, mais également spécialiste d’études gays, lesbiennes et queer, salue sur sa page Facebook une « belle et indispensable initiative » et explique avoir aussi annulé sa participation « pour refuser de légitimer les idéologues les plus réactionnaires et les pulsions politiques les plus inquiétantes qu'il’ font circuler dans l’espace public ».
Attirant plusieurs dizaines de milliers d’enseignants, de savants et de curieux, couvert à chaque début d’automne par les plus grands médias (du Monde à Marianne en passant par France Inter et France Culture), soutenu par les pouvoirs politiques nationaux et les collectivités territoriales, financé par d’importants mécènes publics et privés (en particulier le CIC, EDF Suez, Citroën, ERDF et Canon) le principal festival d’histoire de France, lancé en 1998 par Jack Lang n’a alors pas du tout l’habitude de provoquer ce genre de réaction. Rapidement relayée par Libération, l’offensive ne vient d’ailleurs pas du monde des historiens. Certes, Edouard Louis est alors loin d’être un anonyme, en raison du récent et large succès de son livre En finir avec Eddy Bellegueule (Seuil, 2014), racontant les souffrances du jeune Eddy, élevé dans une famille populaire de Picardie, en butte au rejet de son homosexualité naissante. Par sa critique de la reproduction sociale des classes populaires, par le récit de la construction d’une différence sexuelle, d’un départ et d’une ascension sociale le coupant irrémédiablement des siens, ce roman d’apprentissage faisait explicitement écho à Retour à Reims, écrit en 2009 par Didier Eribon, à qui Louis dédiait d’ailleurs son roman. En 2013, Eribon avait également été un des contributeurs d’un livre dirigé par Louis, intitulé Pierre Bourdieu : l’insoumission en héritage (PUF, 2013). Lui aussi lié à Eribon, l’autre auteur de la tribune était quant à lui bien moins connu du grand public : docteur en sociologie, professeur de philosophie et de sciences humaines dans une école d’art, Geoffroy de Lagasnerie s’était essentiellement signalé pour ses essais critiques sur l’université et les intellectuels, Michel Foucault et Pierre Bourdieu et, disons-le, par une stratégie de visibilité médiatique en décalage avec une position académique somme toute modeste3.
En somme, deux pétitionnaires clairement affichés à gauche, soutenus par une « personnalité » à la fois reconnue et située politiquement à l’extrême-gauche, occupant une position à la fois médiatiquement centrale mais périphérique par rapport au monde académique, attaquaient publiquement une institution culturelle des plus incontournables et bon enfant, positivement vue comme un lieu de partage du savoir et du goût pour l’histoire, mais jouant évidemment bien d’autres fonctions : s’il n’est pas à proprement parler un lieu de construction des carrières universitaires, le festival de Blois met en valeur des « personnalités » qu’il distingue par une série de dispositifs (lieu, dates et horaires des conférences, service de presse…) et participe donc à bâtir des réputations et hiérarchisations entre historiens au sein du « grand public ». C’est une évidence : Blois est un lieu de pouvoir. Caution intellectuelle du festival, présidé par l’ancien directeur de la Bibliothèque nationale de France Jean-Noël Jeanneney depuis plus de dix ans, le conseil scientifique n’a qu’un rôle consultatif mais rassemble 34 historien(ne)s, archivistes, journalistes, inspecteurs de l’Education nationale, dont la majorité occupent des places sommitales au sein de leur hiérarchie professionnelle, en particulier dans le monde académique : ainsi, on y compte 17 professeurs des universités pour 3 maîtres de conférences. Espace de visibilité, le festival constitue un moment important du marché de l’édition en sciences sociales : en 2014, le « salon du livre » accueille plus de 300 auteurs et environ 200 exposants. Dans la Halle aux Grains, à l’ombre des stands impressionnants des grands mastodontes du livre où les stars de la profession signent des autographes à tour de bras, il est possible de découvrir ceux des petites maisons, d’associations et de laboratoires de recherche, qui tentent de profiter de l’événement pour se faire connaître. Enfin, comme toute institution, le festival de Blois produit un discours, raconte une histoire et crée des effets d’illusion : le spectacle qu’il renvoie du monde des historiens ne reflète pas du tout la réalité intellectuelle de la recherche historique. Ainsi, certains piliers du festival ne sont pas toujours nécessairement réputés pour le dynamisme de leurs travaux dans le monde académique. A l’inverse, beaucoup de chercheurs invisibles à Blois, par hasard mais aussi par choix, sont parfois au contraire scientifiquement hyperactifs et mondialement reconnus.
Marcel Gauchet
Mais dans leur texte, les deux jeunes boycotteurs s’attaquaient à la pensée d’un homme en particulier: Marcel Gauchet, dont le parcours, selon ses propres mots, « n'a d'intérêt que dans la mesure où il est celui d’une génération »4. Sa trajectoire est en effet particulièrement représentative des évolutions de la galaxie antotitalitaire, nébuleuse d’hommes et de femmes issus de la gauche radicale et qui, par rejet du communisme et déception mélancolique face aux utopies révolutionnaires, ont, tout en restant classés à « gauche », néanmoins édifié une pensée néoconservatrice, occupée à saper la légitimité de la tradition et des legs révolutionnaires, réalisant ce qu’Eribon a appelé la « révolution conservatrice »5. Elève de Claude Lefort, cofondateur de Socialisme ou Barbarie, mouvement marxiste critique envers le stalinisme, Gauchet se souvient encore de sa « gueule de bois théorique » ayant suivi mai 686 : comme l’historien de la Révolution française François Furet et tant d’autres, c’est cette pensée de la déception qui inspirera dès lors sa critique des socles idéologiques de la gauche radicale et motivera son évolution vers un libéralisme socialement très conservateur.
On citera ici deux entreprises de révision idéologique. Il y a plus de trente ans, Marcel Gauchet s’était fait connaître en s’attaquant à la manière dont la question de la folie avait été traitée par les sciences sociales et en particulier par Michel Foucault. Le choix n’était évidemment pas anodin, tant l’étude des « aliénés » était devenue un des laboratoires de la réflexion sur les dominations au cours de l’histoire. En 1961, dans son Histoire de la folie à l’Âge classique, Foucault avait analysé l’institution asilaire comme un dispositif de domination et d’exclusion, renforçant le contrôle de l’Etat monarchique sur les populations. En 1980, dans La pratique de l’esprit humain (Gallimard) Marcel Gauchet et Gladys Swain affirment en opposition que l’asile, tel qu’il a été envisagé par Philippe Pinel à la fin du XVIIIe siècle, est au contraire inséparable de la révolution démocratique, car l’isolement temporaire vise, selon eux, à socialiser les malades à plus long terme7. Récemment, des travaux, fondés sur des corpus d’archives, ont pourtant montré que l’arrivée d’Esquirol, élève de Pinel, à l’hôpital de Charenton correspond en réalité à une régression politique, la médicalisation remplaçant progressivement la socialisation, l’aliéné étant davantage perçu comme un « patient » à traiter séparément que comme un « citoyen » susceptible de se perfectionner au contact des autres8. Cet exemple précis montre que dès que l’on descend au ras du sol, à l’échelle des acteurs, les points aveugles de la méthode Gauchet surgissent rapidement. Fondée sur des discours et des idées, ne les mettant que peu en confrontation avec les pratiques sociales, elle tronque et déforme. Enfermant les micro-événements dans un long processus de « triomphe de la démocratie »9, elle simplifie, élimine les autres possibles et risque la téléologie. Au-delà des discussions érudites, le débat est évidemment aussi politique et idéologique : l’interprétation du fonctionnement de l’institution asilaire voit s’affronter deux visions opposées sur la place à donner aux malades mentaux, fragiles parmi les fragiles, dans la société. Cet exemple est emblématique : soucieux de discréditer la pensée issue de 68, Gauchet, employant une langue nuancée, difficile d’accès et très policée, propose l’air de rien une histoire très violente, favorable aux rapports d’autorité, aux dispositifs de soumission et de contrôle des populations les plus précaires.
La seconde révision opérée par Gauchet par rapport à la pensée critique de la gauche radicale s’attaque à l’héritage révolutionnaire sous ses différentes formes. Socle idéologique de la gauche, l’histoire de la Révolution française va faire l’objet de la plupart de ses réflexions à partir du milieu des années 1980. Assidu des séminaires de François Furet, si grand pourfendeur de la tradition marxiste de la Révolution française qu’il réhabilite les thèses du complot jacobin jusqu’alors relayées par l’extrême droite10, Gauchet va, au fil de nombreux livres, sur ce même terrain, tenter de déconstruire un certain nombre d’analyses constituant, depuis longtemps, le terreau idéologique de la gauche radicale. En 1980, dans un article de la revue Le Débat, lancée comme le lieu d’expression des intellectuels centristes dont il dirige désormais la rédaction à l’invitation de Pierre Nora, il remet ainsi en cause l’idée selon laquelle les droits de l’homme puissent, dans les démocraties libérales occidentales, sérieusement tenir lieu de programme politique. Liée à un « processus de dérive inauguré en 68 », la défense des droits de l’homme ne serait, selon Gauchet, qu’une incantation vide de sens, un reliquat des illusions révolutionnaires, un vain supplétif incapable de combler le vide idéologique de la gauche radicale et son impuissance à proposer un avenir différent pour la société. Minimisant l’existence d’une pensée du collectif, de l’intérêt général et des droits sociaux, Gauchet accuse le legs révolutionnaire de provoquer une atomisation individuelle, une déliaison sociale, un désintérêt pour la chose publique permettant leur corollaire : l’emprise croissante de l’Etat11. Alors que Le Désenchantement du monde (1985) avait proposé une interprétation discutable mais très nuancée de la crise des démocraties modernes, liée selon Gauchet à la douloureuse sortie du religieux, ses écrits postérieurs et surtout L’Avènement de la démocratie, trilogie publiée en 2007, témoignent d’une évolution bien plus conservatrice. Pour Gauchet, l’arrachement politique du religieux place les démocraties modernes dans une vertigineuse et malheureuse autonomisation. Lancées dans la quête selon lui inévitable d’un autre « Un » fondateur, ces régimes alterneraient entre de graves crises, dont les totalitarismes font partie, et des « divine[s] surprise[s] » et « moment[s] heureux », représentés par le « conservatisme libéral » de la Restauration 1815-1830, le « libéralisme conservateur » des années 1830-1848 et le libéralisme des années 1860-1880, qui ont, selon Gauchet, su concilier la continuité conservatrice et l’ouverture libérale12. Maniant une langue consensuelle et formellement modérée, Marcel Gauchet est, dans ces années 2000, devenu un bon client des médias, qui le consultent régulièrement sur des questions diverses en raison de son apparente modération, pourtant bien moins évidente dans la politique éditoriale du Débat et dans ses diverses prises de parole13. Tel est celui auquel s’attaquent Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie en plein été 2014 : un homme de pouvoir, lié aux milieux patronaux14, tenant une place discrète et néanmoins centrale dans le paysage intellectuel, médiatique, académique (il est directeur d’études à l’EHESS depuis 1990) et éditorial français, intimement lié à Gallimard, 3e groupe français d’édition. S’il fait partie de ceux qui ont, depuis les années 1970, lentement fait dériver la pensée de gauche vers un libéralisme très conservateur, Marcel Gauchet est toutefois perçu comme un intellectuel plutôt consensuel de la gauche modérée.
Précisément : le décalage entre son image d’intellectuel modéré, central et policé et, d’autre part, la radicalité des critiques qui vont lui être opposées, rendra extrêmement difficile l’aménagement d’un terrain commun de discussion entre les protagonistes de la controverse qui, rapidement, va se structurer en deux camps s’affrontant devant un public, placé en position de juge. Un des enjeux pour Louis et Lagasnerie et ceux qui entreront après eux dans la discussion sera d’arriver à attirer leurs adversaires dans le débat et à convaincre que leurs arguments ont une portée qui dépasse leurs intérêts particuliers. Inversement, leurs détracteurs vont tenter de leur répondre en commençant par nier l’existence même de la controverse, en employant une logique de confinement, de dépolitisation, de ridiculisation et de mise hors-jeu, l’accusation de censure étant utilisée de manière répétée comme l’arme létale par excellence15.
L’affaire
Pendant une partie du mois d’août, la tribune de Louis et de Lagasnerie inspirera une impressionnante vague de réactions très hostiles. Majoritairement constitué de protagonistes faisant autorité au sein d’institutions médiatiques et intellectuelles pourtant a priori politiquement diverses voire franchement opposées, le panorama des réactions hostiles révèle une étonnante harmonie des arguments, visant à minimiser, discréditer et disqualifier les intentions des deux jeunes tribuns, mais confirmant par contrecoup l’idée selon laquelle le conformisme intellectuel est un puissant et violent mode d’exclusion politique des opinions minoritaires et radicales.
Le refus de la controverse
Le 31 juillet, l’influent journaliste Pierre Assouline, très lié aux éditions Gallimard, elles-mêmes éditrices de la revue Le Débat, dénonce des propos d’une « rare violence » et « une absence de nuances qui annoncent une rentrée crispée dans le domaine des idées », avant de donner la parole à Marcel Gauchet, qui réagit vertement :« C’est l’éternelle pignolerie parisienne ! On croit donc comprendre que : 1. Les initiateurs de cette pétition incarnent les rebelles, 2. Seuls les rebelles ont le droit de parler des rebelles dans l’Histoire 3. Tous les rebelles seraient donc d’extrême-gauche, tant pis pour De Gaulle et les autres. 4. A propos, que savent-ils donc de moi qui les empêcherait de penser que je n’en suis pas ? On est vraiment dans la bêtise rétrograde d’une extrême-gauche en délire ! » 16. Les arguments formulés par Gauchet font mouche et seront sans cesse repris pendant deux mois. Le premier d’entre eux est sans doute le plus solide : doit-on être soi-même rebelle pour faire l’histoire ou la sociologie de la rébellion ? La question semble fallacieuse et se limiter à l’arme rhétorique tant ce problème semble avoir été mille fois réglé dans les sciences sociales (est-il possible de faire l’histoire d’Hitler sans être nazi ?, etc…). Faible, l’argument devient une proie facile et fournira des armes commodes, prêtes à l’emploi, pour le camp opposé pendant deux mois. « S’il fallait en être, ou en avoir été, pour avoir le droit d’en parler, Raymond Aron n’aurait jamais eu le droit de parler du communisme », affirme Assouline, prédisant, en cas de débat, une victoire facile de Gauchet à Blois car, dit-il avec raison, « le réacteur en chef de la revue Le Débat ne manque pas d’amis », avant de comparer l’appel au boycott aux heures les plus noires de la démocratie : « on saura alors peut-être qui et quelles instances seraient habilitées à délivrer des certificats de rebellitude. On parlera aussi, espérons-le, de (in)tolérance, de disputatio, de débats d’idées car cette manière publique de réclamer une exclusion rappelle de mauvais souvenirs et laisse mal augurer de l’air du temps à venir dans le monde intellectuel ».
En deux jours, l’essentiel est déjà dit. S’il débat il y a, il doit être civilisé et policé et non prendre le visage de la contradiction non réglée : manière de rejeter les pétitionnaires dans l’absence de bienséance et de les disqualifier la sauvagerie de leurs méthodes. Assimilant systématiquement l’appel au boycott puis toute forme de protestation à la censure, balayant d’un revers de main les réflexions proposées par les deux auteurs sur la responsabilité des médias et des institutions culturelles dans la légitimation de pensées ultraconservatrices, la plupart des commentateurs s’empressent d’endosser, comme les écrivains Pierre Jourde et Olivier Steiner, probablement mandatés par leur éditeur Gallimard, ou Philippe Raynaud, contributeur du Débat, l’impeccable costume des champions de la liberté d’expression, raillant et refusant de discuter du fond de l’histoire17. Durcissant encore ses propos, Marcel Gauchet se présente comme la victime des « plus fébriles des séides [de Michel Foucault et de Pierre Bourdieu] », comparés à des inquisiteurs18. L’argument de la censure est installé et fonctionne dès lors comme un argument d’autorité. Formulé au nom de la liberté d’expression, il sera la plus puissantes arme de disqualification de la controverse et empêchera beaucoup d’indécis et de modérés peu en empathie avec la pensée de Gauchet mais attachés à la liberté de parole, de discuter de ses enjeux plus globaux. Ce sera évidemment un des principaux axes de défense de la maison Gallimard qui, sans vraiment s’exprimer publiquement, s’attachera à mettre en valeur sur son site le dernier livre de Robert Darnton, intitulé… De la censure, l’historien américain étant même un moment annoncé en conférence inaugurale du festival de Blois… En parallèle du thème de la censure, l’accusation de l’attaque personnelle et ad hominem fournira aussi d’efficaces munitions au camp des détracteurs de la controverse : destiné à atteindre les émotions du public, confinant les arguments de Louis, Lagasnerie et des autres à la sphère privée et à de viles stratégies personnelles, ce thème déplacera efficacement le débat du domaine idéologique à la sphère morale, parvenant souvent à paralyser toute forme de discussion. Pendant deux mois, le thème de la victimisation s’affirmera comme une des plus sûres stratégies de disqualification de la controverse19. Quant au magazine l’Histoire, partenaire du festival, il qualifiera l’initiative de Louis et de Lagasnerie de « méchante polémique » et d’ « opération de censure »20.
Sorti dans Libération le 30 juillet, l’appel de Louis et Lagasnerie bénéficie assez vite d’une diffusion plus importante que celle de la blogosphère et des réseaux sociaux21. Mais contre eux, le schéma d’interprétation sans faille est déjà constitué : le 2 août, La Nouvelle République, qui, oubliant toute éthique journalistique, ne cessera jusqu’au bout d’affirmer son soutien sans faille à la réussite d’un festival essentiel à l’image de la région Centre, annonce à ses lecteurs que les Rendez-vous de l’Histoire sont « victimes d’un appel au boycott », qualifiant la tribune de « pamphlet », souhaitant que la polémique cesse avant que l’événement ne commence au début du mois d’octobre, offrant une tribune unilatérale à la direction du festival. Dans l’entretien, Francis Chevrier choisit le langage de l’autorité institutionnelle pour justifier le choix de Marcel Gauchet « il s'agit d'un des plus grands historiens français, qui dirige au côté de Pierre Nora la première revue intellectuelle, Le Débat, en outre directeur d'études à l' École des hautes études en sciences sociales » ; au Monde, il donnera plus tard un peu plus vertement sa version, fondée sur une représentation négative de la jeunesse, qui sera réutilisée comme élément disqualifiant : « de jeunes gens qui veulent se faire un mandarin »22. C’est une des caractéristiques des contradicteurs de Louis et Lagasnerie : souvent ironiques, s’adossant à l’autorité et la position institutionnelle de Gauchet pour arguer du caractère consensuel et inoffensif de sa pensée et justifier sa présence à Blois, ils ne font, sans le savoir, que confirmer les analyses de Bourdieu sur la domination ainsi que les accusations des pétitionnaires sur les effets de pouvoir intellectuel, de censure et de banalisation de la réaction que produisent de tels événements médiatiques23. Invités à s’exprimer dans Libération, le même Francis Chevrier, Jean-Noël Jeanneney et Michelle Perrot affirment leur ferme intention de ne pas céder devant le « procès en sorcellerie », affichent leur attachement à la variété des opinions et valeurs démocratiques et, détaillant ses titres, rappellent l’autorité de Marcel Gauchet : « il est l’un des plus éminents philosophes français, reconnu comme tel dans notre pays et à l’étranger ; il dirige de longue main, au côté de Pierre Nora, la précieuse revue Le Débat, qui a contribué, depuis trente ans, à maintenir haut le niveau des échanges intellectuels, en France, et qui jouit d’un rayonnement international »24. Le mépris et la déclinaison du cv de Marcel Gauchet tiennent lieu de réponse argumentée, révélant la crispation des véritables responsables du déclenchement de l’affaire, radicalisant un peu plus le camp d’en face, empêchant de ce fait de questionner les enjeux politiques, intellectuels et éthiques qui se jouent derrière les stéréotypes, les arguments d’autorité et les procédés de disqualification.
Un débat manichéen
Autorités contre minorités, dominants contre dominés : le mouvement de soutien à Louis et Lagasnerie contribue en effet rapidement à une structuration frontale voire manichéenne des oppositions. Le 4 août, un billet du blog E.D.H. – Egalité des droits homos/hétéros publié sur yagg, site de presse LGBT25 replace clairement le débat dans le contexte des revendications des droits des minorités, en particulier sexuelles, mais en fait aussi un révélateur du fonctionnement de la vie intellectuelle en France et en Europe. Numa, l’auteur du blog, montre ainsi comment le rédacteur en chef Gauchet a réalisé dans Le Débat « un dossier à charge, dirigé exclusivement et directement contre « les enfants du mariage homosexuel », où l’on peut lire, sans la moindre nuance ni contradiction, que l’homosexualité est un choix de vie personnel, qu’elle est totalement contre-nature, qu’elle peut mettre fin à la survie de l’espèce humaine et des sociétés, que les droits LGBT nous mèneront au totalitarisme et que les enfants des familles homoparentales sont tous comparables aux enfants maltraités ou aux filles mariées de force par leur père ». Pour l’auteur, les attaques de Gauchet et de la revue du Débat contre l’antiracisme, le féminisme et la « génération 68 » ont participé à propager « des thèses qui font aujourd’hui le bonheur d’Eric Zemmour, inspirent parfois Alain Soral, font le lit du Front National, sont étalées régulièrement dans Causeur et Minute ou diffusées sur Radio Courtoisie. Ils ont donné à ces opinions le sceau d’une certaine légitimité médiatique et universitaire, en voulant faire passer pour des adversaires acharnés du bien de l’humanité les « rebelles » qui ont combattu, eux, sous quelque forme que ce soit, pour leurs droits, pour le droit des autres et/ou pour l’amélioration de la société ». Au-delà, ce que révèle l’affaire Gauchet, selon Numa, c’est l’organisation délétère du champ intellectuel et médiatique qui, sous couvert de respect de toutes les opinions et par souci de sensationnalisme, finit par offrir une tribune et banaliser les idées les plus intolérantes et antidémocratiques… La preuve de cette banalisation n’est-elle pas, selon Numa, le soutien que reçoit Gauchet de la part de plusieurs membres et militants du parti d’extrême droite ?
Le soutien de membres du Front National à Gauchet existe, même s’il demeure mitigé : si le 1er août, Michel Chassier, secrétaire départemental du Front National du Loir-et-Cher, fustige Edouard Louis comme « syndicaliste gauchiste (…), normalien et militant homosexuel », c’est parce qu’il veut « tuer le père » pour satisfaire son ambition universitaire, Gauchet et Louis étant, dans une logique anti-élitiste, amalgamés comme deux « intellos de gauche »26. Les soutiens les plus massifs – et emblématiques - de Gauchet se situent rapidement plutôt dans l’entre-deux de l’extrême droite et de la droite conservatrice, comme au sein du journal en ligne Causeur, qui, lui aussi, réduit l’affaire à l’ambition personnelle d’Edouard Louis, présenté comme un « jeune auteur à la mode » ayant insulté les classes populaires, et de Geoffroy de Lagasnerie, dont le « patronyme sonne comme une ascension balzacienne », les deux jeunes « fanatiques » aux dents longues utilisant la rébellion comme une arme au service d’un coup médiatique27. Le 5 août, Marianne enfonce le clou, dans un article à charge : accusés de vouloir distribuer des « brevets de rébellitude », Louis et Lagasnerie sont qualifiés de « rebelles de bac à sable » et intégrés dans l’intelligentsia d’extrême-gauche, accusée par le journaliste Régis Soubrouillard, citations de l’essayiste Philippe Muray à l’appui, de diriger un « tribunal de la pensée autorisée » à la solde du culte de Foucault et Bourdieu, mais aussi d’organiser une chasse aux nouveaux réacs28. Ces arguments sont repris dans le même journal par Joseph Macé-Scaron. Lui-même passé de Magazine Hebdo (proche de l’extrême droite) à la direction de Marianne en passant par Le Point et le Figaro Magazine, l’éditorialiste, fustigeant la pensée de Bourdieu, révèle à quel point l’affaire révèle (et on ne le contredira pas) que les lignes de faille intellectuelles et idéologiques séparant autrefois la « droite » et la « gauche » n’ont souvent plus lieu d’être29. De leur côté, les réseaux de la droite conservatrice antitotalitaire, souvent catholique, ne manquent pas de jouer leur rôle de manière assez claire, profitant de l’affaire pour marquer des positions : ancien journaliste à La Croix et au Figaro Magazine, spécialiste du Vatican et du Kremlin (sic), Bernard Lecomte compare Louis et Lagasnerie à de « nouveaux coupeurs de tête » ou à des staliniens30. Le 11 août, l’ancien magistrat Philippe Bilger, proche des idées de l’extrême-droite, affiche son soutien à un Marcel Gauchet dont il semble pourtant venir d’apprendre l’existence et fustige la définition étroite de la rébellion que donnent les « ayatollahs en culottes courtes », lui-même mélangeant toutes les qualifications, de l’ « insurrection » aux « indignations » et aux « résistances », sa liste de rebelles d’aujourd’hui associant « Olivier Besancenot, Henri Guaino, parfois Jean-Luc Mélenchon, Robert Ménard ou Alain Soral » et… Jean-Jacques Goldman (mais pas Pierre, non…) ne reflétant que le maelstrom idéologique d’une partie de la droite la plus dure31. Quant à Maxime Tandonnet, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy au Ministère de l’Intérieur et à l’Elysée, prenant la défense de Gauchet, de celle d’Eric Zemmour, Lorànt Deutsch ou d’Alain Finkielkraut, il prévient contre la nostalgie de la « tentation totalitaire »32. Le sommet de la disqualification vient, sur internet, d’une vidéo de Jean-Laurent Cassely, collaborateur a Slate, parodiant une scène du film La Chute d’Oliver Hischbiegel, comparant Louis, Lagasnerie et leur entourage à l’état-major nazi s’apprêtant à riposter aux attaques alliées . La dérision, la dépolitisation et l’amalgame le plus douteux sont ici utilisés pour nier l’existence même d’une quelconque sérieuse controverse.
Stimulés par l’affaire, des réseaux se révèlent ou se constituent et, au cours du mois d’août, les premières tentatives d’analyse de réflexion apparaissent. Le 6 août, dans Libération, une vingtaine de « personnalités » venues du monde artistique et intellectuel, connus pour leur engagement à gauche et/ou contre l’homophobie, apposent leur signature sous un nouveau texte de Louis et Lagasnerie, dénonçant « des institutions culturelles qui donnent la parole, de plus en plus, à des idéologies dangereuses et néfastes, qui, il y a encore vingt ans, auraient paru inacceptables ». Ne cachant pas à ses lecteurs qu’il est partenaire des Rendez-vous de l’Histoire, Le Monde est certes le premier journal à jouer la transparence et à ne pas feindre la neutralité. C’est aussi dans ses pages qu’après avoir été largement réduite à une polémique entre factions académiques, la controverse est analysée comme une révélatrice des changements de signification de la figure du rebelle, reflétant elle-même l’évolution des imaginaires et la recomposition du champ politique33. Dans Libération, le sociologue Jean Zaganiaris est le premier à répondre efficacement à l’accusation de censure. Montrant que l’espace public n’est, comme le marché, démocratique et ouvert qu’en apparence, le sociologue explique que toute parole ne s’y vaut pas, puisqu’elle s’exerce dans un espace hiérarchisé, sanctionné et approprié par des réseaux de pouvoir qui décident de sa plus ou moins grande centralité et donc de son impact. Il explique également que la liberté totale de parole devrait s’encombrer de préoccupations éthiques et ne pas présenter comme « normales », comme c’est le cas sur les « plateaux télé », les pensées xénophobes et homophobes. Enfin, l’avalanche de critiques révèle, selon le sociologue, les changements des rapports de domination au sein du champ universitaire. Selon lui, la libéralisation de l’enseignement supérieur, raréfiant les postes, auraient « produit » ce que sont Louis et Lagasnerie, c’est-à-dire deux jeunes gens occupant une « position [académique] à la fois périphérique et centrale » (Edouard Louis est allé à l’Ecole normale supérieure… mais en tant qu’auditeur libre, quand à la carrière universitaire de Geoffroy de Lagasnerie, elle s’avère plus modeste que ce que sa page Wikipedia laisse penser) mais toutefois capables, en raison de leurs soutiens et de leurs positions (Louis est devenu un auteur à succès, Lagasnerie est directeur de collection chez Fayard), de trouver un relais rapide dans les médias et d’écorner des « institutions » comme Gauchet34.
Une impossible controverse ?
Proposant une autre tentative de réflexion, le 11 août, un groupe d’enseignants et chercheurs du collectif aggiornamento hist-géo se démarque de l’appel au boycott initial, qu’ils réprouvent, tout en soutenant l’incompréhension du choix de Marcel Gauchet, pointant du doigt la dérive conservatrice du n°180 du Débat, axé sur l’homoparentalité. Les enseignants dénoncent également la disqualification a priori du débat sur les réseaux sociaux, au prétexte qu’il ne serait qu’un épiphénomène interne à la profession. La controverse est selon eux au contraire légitime car elle soulève le problème du fonctionnement médiatique et institutionnel du festival, centré sur les « personnalités » les plus spectaculaires, sûres et rassembleuses, marginalisant la pensée critique : faute de définition précise, le thème des « rebelles », fortement chargé d’enjeux politiques et sociaux, court selon eux le risque d’être résumé à une image consensuelle, posant un problème d’ordre intellectuel (le rebelle incarnant précisément l’inverse du consensus), mais aussi politique et éthique. Sans appeler au boycott ni condamner a priori la venue ni la légitimité de Marcel Gauchet à parler des rebelles, ils dénoncent en revanche son invitation à la séance inaugurale qui, sans inviter au débat, donne le ton du festival et une tribune non contradictoire à un penseur qu’ils estiment responsable de banaliser l’intolérance35.
Ces nouveaux éléments auraient pu être saisis pour faire avancer le débat. Ce ne sera pas le cas. La crispation est réelle. Même lorsqu’ils se différencient de l’appel au boycott ou refusent d’affirmer qu’il faudrait être rebelle pour pouvoir parler de la rébellion, les appels critiques ne sont pas entendus et farouchement combattus avec une violence disproportionnée, comme s’ils dérangeaient profondément. Sur un fond d’homophobie, la stigmatisation totalitaire domine les réactions de la droite extrême. Dans Le Figaro le sociologue Mathieu Bock-Côté, nationaliste québecois, parle de « procès en sorcellerie » mené contre « un grand savant » par des « inquisiteurs » et « intellectuels néo-progressistes », passés comme l’extrême gauche en général « de la critique du capitalisme à celle de la civilisation occidentale », le site d’extrême droite Breizh Info dénonçant les réseaux de protection LGBT d’Edouard Louis et l’appartenance de Lagasnerie à l’élite universitaire36. Dans un style voisin, le site d’extrême droite OJIM (Observatoire des journalistes et de l’information médiatique) fondé par Jean-Yves Le Gallou dénonce la « cabale » menée par les « inquisiteurs » et affirme que « les rebelles actuels sont plutôt à chercher du côté des militants de la Manif pour tous, de Dieudonné, des décroissants, des maires FN ou des sympathisants d’Al Quaida »37. Même ton sur Boulevard Voltaire, site d’information lancé par Dominique Jamet, ancien proche de Bruno Mégret, membre du parti souverainiste Debout la République et par le futur maire frontiste Robert Ménard, qui en profitent pour attaquer le journal Libération38. De son côté, Elisabeth Lévy dénonce la « furie épuratrice » des signataires et prévoit être bientôt « envoyée dans le même goulag » que Gauchet39. Les mêmes arguments sont repris par la presse réputée plus modérée, révélant une communauté de langage significative avec l’extrême-droite: dans La Voix du Nord, Jean-Michel Bretonnier fustige l’« espèce des censeurs et des commissaires politiques »40. Pour Jean-François Kahn, évoquant un « néo-stalinisme culturel », Gil Mihaely (directeur de publication de Causeur) et Elisabeth Lévy (directrice de rédaction de Causeur), la diffamation serait devenue l’arme du pauvre de la gauche actuelle, elle révélerait son vide idéologique. Ces analyses sont notamment rejointes par Jean-Paul Brighelli sur Le Point.fr, le polémiste de l’éducation affirmant que l’homosexualité est devenue « un point Godwin d’un nouveau genre », louant ceux qui, dans l’histoire, « eurent du génie sans afficher leur "petit défaut", comme on disait du temps de Cambacérès »41. Evoquant des « pseudos intellectuels prétentieux », la juriste chevènementiste Anne-Marie Le Pourhiet, adversaire du mariage pour tous et plus largement opposée à la « tyrannie » qu’exerceraient les minorités notamment sexuelles sur l’édifice juridique français, condamne quant à elle sans ambages les « khmers roses »42. Sur le ton de l’ironie grinçante, Kahn concède toutefois au journaliste d’Atlantico, évoquant lui-même une « police de la pensée », que l’affaire révèle les tensions internes à la gauche devant le glissement vers la droite et le conservatisme d’une partie de l’ « intelligentsia de gauche », citant Gauchet et Pierre Nora.
En face, il est presque impossible de se faire entendre. Comme un disque rayé, la controverse bute sur les mêmes idées, les mêmes raisonnements, ressassés dans les colonnes des journaux. Invités à expliciter leur démarche dans les colonnes des Inrockuptibles, Louis et Lagasnerie expriment leur surprise devant l’étrange hiérarchie de la violence consistant à accepter sans broncher qu’un intellectuel comme Gauchet fasse publier dans le Débat un numéro dans lequel l’homosexualité est questionnée comme une possible « perversion » et, d’autre part, à insulter ceux qui se permettent de dénoncer une telle entreprise. Récusant l’accusation de censure mais affirmant leur opposition aux « intellectuels de droite et conservateurs », répétant caricaturalement qu’« un rebelle est forcément progressiste », les deux initiateurs du mouvement ne parviennent pas toujours à éviter la caricature et le discours d’autorité43. Le 4 septembre, Alexis Pierçon-Gnezda, présenté par Le Monde comme un simple « étudiant en philosophie », mais intégré au réseau intellectuel foucaldien et LGBT proche de Louis, Lagasnerie et Eribon, s’avère plus subtil, notamment en insistant pour qualifier les débats d’« affaire », décrivant sa place croissante dans « l’espace intellectuel français » avant d’en analyser ses enjeux intellectuels. Pour lui, Louis et Lagasnerie ont, par leur protestation, « soulevé la question décisive de l'institutionnalisation des pensées conservatrices au sein de l'espace public français », elle-même due à la tentation d’une autonomie de l’institution universitaire, fantasmée comme un lieu de neutralité, un monde clos du savoir, à l’abri des enjeux politiques de l’« extérieur », rejetant l’engagement comme une dérogeance professionnelle44. Intéressant, proposant des portes de sortie, l’article, ne venant ni d’un groupe assez puissant ni d’une autorité assez reconnue, demeurait pourtant isolé. Un peu perdu dans une mer déchaînée, Le Monde Diplomatique est un des seuls media d’extrême-gauche à critiquer l’appel au boycott –ainsi que Libération – pour leur modérantisme, qualifiant la controverse de « clapotis »45. En septembre, deux mois après les premières parutions d’articles, le camp du déni semblait avoir réussi à tuer la controverse.
Mais au début du mois d’octobre, quelques jours avant l’ouverture du festival, la controverse s’amplifie et se transforme. Rassemblant rapidement près de 200 signatures, une seconde pétition publiée dans Libération, pose autrement les termes du débat. Partant du principe que Louis et Lagasnerie soulèvent de bonnes questions en employant des procédés discutables ou même inacceptables (le boycott, l’argument selon lequel il faudrait être rebelle pour parler de la rébellion), les signataires se contentent de proclamer leur « incompréhension » devant le choix de confier la séance inaugurale, « non débattue par définition » à Marcel Gauchet, « auteur connu pour des thèses tournées avant tout vers le maintien de l’ordre, qui peuvent être jugées ultraconservatrices, sceptiques sur l’impératif de respect des droits de l’homme, familialistes, sexistes et homophobes »46. Collective, rassemblant en majorité des enseignants chercheurs, des enseignants du secondaire, du primaire et des étudiants, cette pétition est en partie animée par un groupe d’historiens constitué à l’occasion de l’affaire. Si certains se sont déjà engagés intellectuellement au sein du CVUH (Comité de vigilance sur les usages publics de l’histoire), d’aggiornamento.hist-geo ou dans leurs publications, la présence de Ludivine Bantigny y est tout sauf anodine : le 14 août, après avoir tenté de provoquer une discussion à l’intérieur du conseil scientifique dont elle était alors membre, l’historienne avait finalement choisi d’en démissionner devant le refus de tout dialogue et le faible soutien public de la grande majorité des autres membres. Quelques semaines plus tard, Ludivine Bantigny signait la pétition et s’engageait dans une protestation publique qui relançait d’une toute autre manière la controverse de l’été. La stratégie de ce nouveau groupe se démarquait en tout cas clairement de l’initiative de Louis et Lagasnerie. Contrairement à ces derniers, ses membres n’étaient pas particulièrement liés à un réseau ni à une école foucaldienne ou bourdieusienne, cette distance permettant a priori d’écarter tout soupçon de guerre interne à la profession. Partant du constat de la stérilité des oppositions ayant jusqu’ici empêché toute véritable discussion, il s’agissait aussi d’expliquer la démarche en s’appuyant sur des lectures de Gauchet, du Débat, mais aussi en produisant des textes argumentés et conséquents. Inaugurant une édition participative sur Mediapart, Ludivine Bantigny pouvait ainsi longuement déconstruire la qualité d’ « observateur neutre » revendiquée par Marcel Gauchet, démontrant son scepticisme profond, fondé sur la défense des valeurs de tradition, de famille et de nation et surtout son opposition au principe même de contestation politique et sociale, ses critiques acerbes de l’antiracisme, sa légitimation de la peur de l’immigration et, enfin, sa crainte d’un monde contemporain régi par un « matriarcat psychique »47. Annonçant l’organisation d’un débat public pendant le festival et la publication régulière de tribunes, ce groupe entend ainsi continuer à ouvrir un espace de discussion contradictoire d’une manière critique mais distanciée, s’efforçant de dépersonnaliser au maximum le débat et d’analyser l’affaire comme révélatrice du climat intellectuel contemporain.
Malgré ce changement de registre et d’arguments, la controverse peine à se dégripper. Interrogé par les lecteurs du Monde, Gauchet, omettant qu'il a déjà réagi au moins deux fois avec virulence, refusant de parler du fond, proclame choisir le silence, affirmant chercher en vain « les preuves, les textes, les sources étayant les informations de [s]es détracteurs », ajoutant « la seule attitude, c’est le silence du mépris par rapport à une agression sans motif plausible »48. Le 7 octobre, cédant à la mythologie de la manipulation, la direction des Rendez-vous de l’Histoire dénonce une pétition « lancée par un groupuscule et signée de manière inconsidérée par un certain nombre de personnes », publiant la lettre de Jacques-Guy Petit, professeur honoraire à l’université d’Angers, ciblant les « oukases totalitaires, lettre relayée le lendemain par Libération sous le titre « Marcel Gauchet est victime d’une chasse aux sorcières »49. Le 9 octobre, jour de la conférence inaugurale, le journal Le Monde confronte une tribune collective rédigée par une partie des pétitionnaires d'octobre, argumentée et fondée sur des citations du Débat, avec un grand entretien de Gauchet, dans lequel il se dit victime de calomnies et favorable au mariage pour tous50. Titrant « Marcel Gauchet répond aux « rebelles », le journal crée un dispositif réduisant une nouvelle fois la controverse à une « polémique » un peu ridicule, le journaliste Nicolas Truong analysant l'affaire comme un rejeu des oppositions de mai 68 et, suivant en cela les réflexions de Gauchet, fait de la posture romantique du pseudo-rebelle une attitude à la mode...
Que conclure?
A la veille de l’ouverture du 17e festival d’Histoire de Blois, que retenir de ces deux mois et demi de protestations et tentatives d’étouffement, d’articles dénonciateurs, de pétitions, de commentaires, d’arguments mesurés, de débats plus houleux et d’invectives ? L’analyse fonctionnaliste répondra plus efficacement à la question que celle des échanges intellectuels. Le nombre de protagonistes et de prises de parole, la structuration de groupes d’intérêt, de lobbies politiques et économiques, en particulier médiatiques et éditoriaux ainsi que l’activation de réseaux intellectuels montrent tout d’abord combien malgré les tentatives de disqualification et les stériles batailles de mots, l’invitation de Marcel Gauchet à la séance inaugurale est, de fait, devenue une « affaire », un « événement » marquant des oppositions, exhumant les lignes de faille qui, discrètement, contribuent à recomposer le paysage intellectuel et politique. De moins en moins disqualifiés d’emblée, les arguments des pétitionnaires d’octobre trouvent, à l’approche du festival, davantage de lieux d’expression leur permettant d’expliciter leur démarche51. La difficulté de transformer l’ « affaire » en « controverse », dans laquelle seraient échangés des arguments de fond, en dit pourtant long sur le refus de la discordance dans la construction du débat démocratique. « Université : Marcel Gauchet face à l’extrême gauche », titrait le magazine libéral Contrepoints, accusant une « frange » d’activistes d’alimenter la « décomposition des libertés universitaires en France »52. La caricature montre à quel point le déplacement à droite ne concerne pas que le champ politique, mais aussi celui des valeurs et des représentations, toute accusation contre la « conservation » ou la « réaction » étant stigmatisée comme pensée « extrême », vieux terme alimentant la stigmatisation des gauches en Europe depuis le XVIIIe siècle53. Invisible, prenant les apparences de la modération policée et du bon sens, refusant l’idéologie, la violence de l’extrême centre s’est bel et bien installée comme la doxa du contemporain54.
Plus profondément, la violence et la longueur disproportionnées de l’affaire révèlent certaines des difficultés qui touchent aujourd’hui le monde académique : la pénurie de postes, aggravée par les difficultés financières liées à l’autonomisation des universités, a considérablement augmenté les tensions entre générations : la structuration des oppositions entre « jeunes » et « vieux » montre à quel point la controverse peut, dans une certaine mesure, prendre la valeur de symptôme du durcissement des tensions sociales et intellectuelles liées à la « crise ». Mais cette controverse témoigne aussi de l’anomie d’un débat public dans lequel les dissidences et dissensions sont disqualifiées sans ménage comme autant d’archaïsmes et de fautes de conduite. « Le rebelle, c'est le stade infantile du changement social »55. Marcel Gauchet excelle à lui-même nourrir ce qu’il estime qualifier l’air du temp. La provocation, la pluie d’insultes, de calomnies, la violence de la réaction devant la moindre protestation, le refus de discuter, l’extrême difficulté à reconnaître la légitimité même de la controverse, en un mot la peur devant la possible remise en cause d'une autorité réputée pour sa modération littéralement « indiscutable » révèlent autre chose: au-delà des outrances les plus reconnaissables et spectaculaires de la haine et de l’intolérance, le conformisme s’est imposé comme le plus sûr cheval de Troie de la pensée réactionnaire. Ils révèlent aussi combien il est difficile de convaincre que la conflictualité et la controverse sont autre chose que les perversions d’un débat démocratique que d’aucuns souhaiteraient idéalement rationnel, policé et respectueux de la morale et de la bienséance dont ils définissent eux-mêmes les codes, et qu’un terrain commun, un accord peuvent surgir de ces mises en tension à la fois rationnelles et forcément émotives. Le refus tenace de la légitimité du débat, malgré la diversité des arguments et les tentatives de dialogue, montre enfin combien l’idée selon laquelle les intellectuels ne doivent être, pour être légitimes, que des « experts » ou des « observateurs neutres », dépourvus de fonction critique, doit être, plus que jamais, combattue56. Le pouls d'une démocratie se mesure aussi à la possibilité de la confrontation à être reconnue comme un mode possible du débat public et de la construction du savoir et non sans cesse assimilée à une « rébellion » de papier. La levée de boucliers provoquée par la prise de parole de quelques intellectuels pendant deux mois démontre que l'exercice de la vigilance critique ne s'use décidément que si on ne s'en sert pas.
1 « Plusieurs candidats de Secret Story appellent avec Édouard Louis à boycotter les Rendez-vous de l'Histoire », Désinformations.com, 07 août 2014.
2Le comité scientifique avait pourtant pensé à de nombreuses personnalités pour la conférence inaugurale, dont revoici la liste: Axel Honneth, Jacques Rancière, Jean Nicolas, Danielle Tartakowski, Toni Negri, Emmanuel de Waresquiel, Lynn Hunt, Alexandre Adler, Eric Hazan, Christine Bard, Robert Darnton, James Scott, Judith Butler, John Merriman, Arlette Farge, Régine Robin, Claude Gauvard, Annick Lamperrière, Jérôme Baschet et Joan Scott, enfin Cynthia Fleury et Gérard Mordillat. Au lieu de cela, selon Jeanneney, n'ont été contactés que Ariane Mnouchkine, Alain Rey et… Vargas Llosa !
3L’Empire de l’Université. Sur Bourdieu, les intellectuels et le journalisme, Paris, Editions Amsterdam, 2007.
4La Condition historique, 2003, p. 7.
5 Michael Christofferson, Les intellectuels contre la gauche. L’idéologie antitotalitaire en France (1968-1981), Marseille, Agone, 2009 ; Didier Eribon, D’une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française, Paris, Léo Scheer, 2007.
6La condition historique, Paris, Stock, rééd. Gallimard, 2003, p. 59.
7La pratique de l’esprit humain, Paris, Gallimard, 1980.
8 Jean-Luc Chappey, « Le nain, le médecin et le divin marquis », Annales historiques de la Révolution française 4/ 2013 (n° 374), p. 53-83
URL : www.cairn.info/revue-annales-historiques-de-la-revolution-francaise-2013-4-page-53.htm.
9 La révolution moderne, L’avènement de la démocratie, I, Paris, Gallimard, 2007, Introduction générale.
10 François Furet, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978.
11Le Débat, n°3, juillet-août 1980, p.2-. 21.
12La Révolution moderne, Paris, Gallimard, 2007, chap. VIII.
13 Voir la mise au point de Ludivine Bantigny, « Conformisme et tradition. Quelques remarques sur la pensée de Marcel Gauchet », Médiapart, 7 octobre 2014.
14Idem.
15Raisons politiques, « Penser la controverse », n° 47, 2012/3.
16 http://larepubliquedeslivres.com/marcel-gauchet-ne-serait-pas-assez-rebelle-pour-parler-des-rebelles/
17 Pierre Jourde, « Trois vrais intellectuels : Louis, Lagasnerie, Eribon », Confitures de culture, blog sur Nouvel Obs.com ; Olivier Steiner, « Qui a le droit de parler ? », Libération, 7 août 2014 ; Julie Clarini, Gaïdz Minassian, « Querelle de « rebelles » entre Marcel Gauchet et deux jeunes intellectuels », Le Monde, 09 août 2014.
18Bibliobs 1er août 2014, « Polémique entre Marcel Gauchet et Edouard Louis »
19 C’est le cas des universitaires comme Fabrice d’Almeida, « Pourquoi j'irai à Blois écouter Marcel Gauchet », Huffingtonpost, 9 septembre 2014 ; Jean-Christophe Bouillaud, « Petite polémique et grande histoire », Bouillaud’s web blog – bloc-notes d’un politiste, 7 août 2014.
20 « Il n’y aura pas de censure à Blois », site du magazine L’Histoire, Lettre n°6, le mercredi 08 octobre 2014.
21Libération, 1er août,
22La Nouvelle République, 02 août 2014 et « Rendez-vous de l’Histoire : la rébellion fait (un peu) de bruit », 07 août 2014, mais aussi « Cohn-Bendit : le rendez-vous des frères rebelles », 08 octobre 2014 ; Julie Clarini, Gaïdz Minassian, « Querelle de « rebelles » entre Marcel Gauchet et deux jeunes intellectuels », Le Monde, 09 août 2014.
23 Edouard Louis, Geoffroy de Lagasnerie, « Qui sont les censeurs ? Ou du droit de ne pas parler », 8 août 2014 site de G de Lagasnerie. En face, contre la censure : Jean-Clément Martin, « Parce que, nous aussi, nous pouvons être le Gauchet de quelqu’un », Médiapart, 8 octobre 2014.
24 « Marcel Gauchet parlera à Blois », Libération, 8 août 2014.
25 LGBT : Lesbienne, gays, bisexuels et transgenres.
26 « Du rififi chez les intellos de gauche des Rendez-vous de l’histoire 2014 ? », Blog du Front national du Loir-et-Cher, 1er août 2014.
27 Laurent Cantamessi, « En finir avec le débat d’idées. Edouard Louis rappelle à l’ordre Marcel Gauchet », Causeur, 4 août 2014.
28 « Edouard Louis: Plus rebelle que moi, tu meurs ! », Marianne, 5 août 2014.
29 Joseph Macé-Scaron, « Débattre en France », Marianne, 9 août 2014.
30 « Marcel Gauchet, au goulag ! », 7 août 2014.
31 « Rebelle, rebelle ! », Justice au singulier, 11 août 2014.
32 « La tentation totalitaire », Maximetandonnet.wordpress.com, 14 août 2014.
33 Julie Clarini, Gaïdz Minassian, « Querelle de « rebelles » entre Marcel Gauchet et deux jeunes intellectuels », Le Monde, 09 août 2014.
34 Jean Zaganaris, « «Rendez-vous de l'histoire»: qui a le droit de se taire ? », Libération, 11 aout 2014.
35 Laurence De Cock, Jérôme Lamy, Fanny Layani, Oliver Le Trocquer, Véronique Servat. Enseignants et chercheurs. « Allons à Blois… pour nous y rebeller », 11 aout 2014, aggiornamento.hist.geo.
36 « Marcel Gauchet : retour sur un «procès en sorcellerie» », Le Figaro, 12 aout 2014 ; Jean-François Gautier, Rébellion en chambre, Breizh-Info, 15 août 2014.
37 « Les pétitionnaires de l’exclusion », OJIM, 25 août 2014.
38 « Pourquoi nous boycottons Libération », Boulevard Voltaire, 17 août 2014.
39Le Point, 14 août.
40 « Les vieux habits d’Edouard Louis », La Voix du Nord, 16 août 2014.
41 Jean-François Kahn, « Derrière la charge contre Marcel Gauchet, l’aveu d’une gauche qui compense sa défaite idéologique par une chasse aux sorcières ? », Atlantico, 18 août 2014 ; Elisabeth Lévy, « La belle et les rebelles », Causeur, 5 septembre 2014 et « Et voilà pourquoi votre gauche est muette. De Mélenchon à Moscovici, la gauche est sinistre et sinistrée », Causeur, 06 octobre 2014 ; Jean-Paul Brighelli, « Les néo-rebelles ou l'extrême gauche en délire », Le Point.fr, 21 août 2014.
42 Anne-Marie Le Pourhiet, « La démocratie selon Eddy Bellegueule », Causeur, 5 septembre 2014.
43 « Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie : Un rebelle est forcément progressiste », Les Inrocks, 26 août 2014, propos recueillis par Jean-Marie Durand.
44 Alexis Pierçon-Gnezda, « Repolitiser l’université française », Le Monde, 4 septembre 2014. On retrouve ici les arguments avancés par Lagasnerie dans L’Empire de l’Université, Paris, éditions Amsterdam, 2007 et, au-delà, par Bourdieu.
45 Pierre Rimbert « Goulag en solde », Le Monde Diplomatique, septembre 2014.
46Libération, 6 octobre 2014.
47 Ludivine Bantigny, « Conformisme et tradition. Quelques remarques sur la pensée de Marcel Gauchet », Mediapart, 7 octobre 2014.
48Le Monde, 6 octobre 2014.
49 Page facebook, des Rendez-vous de l’Histoire, 7 octobre 2014 et Libération, 8 octobre 2014.
50 Ludivune Bantigny, Claire Blandin, Laurence de Cock, Eric Fournier, Fanny Gallot, Guillaume Mazeau, Stéphanie Sauget et Julien Théry, « Contre le « coup de force de Gauchet » , Le Monde, 9 octobre 2014.
51La Fabrique de l’Histoire, 8 et 9 octobre 2014.
52 Frédéric Mas, Contrepoints, 8 octobre 2014.
53 Michel Biard, Bernard Gainot, Paul Pasteur et Pierre Serna (dir.), « Extrême » ? Identités partisanes et stigmatisation des gauches en Europe (XVIIIe-XXe siècles), Rennes, PUR, 2012.
54 Pierre Serna, La république des girouettes. 1789-1815 et au-delà. Une anomalie politique : la France de l’extrême centre, Paris, Champ Vallon, 2005.
55Le Monde, 7 octobre 2014.
56 Enzo Traverso, Où sont passés les intellectuels ?, Paris, Ed Textuel, 2013 ; Gérard Noiriel, Dire la vérité au pouvoir. Les intellectuels en question, Marseille, Agone, 2010.