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Retraites, le grand débat

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Billet de blog 22 juin 2010

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Emploi des seniors : des accords en trompe-l’œil

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article rédigé par

Nicolas FARVAQUE, socioéconomiste,directeur des études au cabinet ORSEU,

et Jean-Pierre YONNET, directeur du cabinet ORSEU

La réforme des retraites souligne l’importance du maintien dans l’emploi des salariés âgés. Le terrain avait été préparé dès avant le projet du 16 juin. La Loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 et un décret de mai 2009 ont donné aux entreprises de plus de 50 salariés un peu plus d’un semestre pour élaborer unilatéralement un plan d’action ou signer un accord avec les syndicats – deux possibilités placées sur un même plan, ce qui en dit long sur la vision du dialogue social du gouvernement. Si l’on attend encore les données officielles du ministère du Travail, on sait qu’une très large majorité d’entreprises sont désormais couvertes par un engagement de 3 ans. Puisque la durée de cotisation s’allonge, ces accords vont-ils permettre d’améliorer les conditions de travail des seniors ?

C’est loin d’être sûr en raison d’un vice de conception de cette loi, qui a encouragé des initiatives a minima. Les entreprises étaient menacées d’une pénalité de 1 % de leur masse salariale en cas de non-signature d’un accord ou plan d’action. Concernant le contenu, elles n’avaient qu’à suivre le parcours fléché : indiquer un objectif chiffré de maintien dans l’emploi ou de recrutement de seniors et choisir au moins trois domaines d’action parmi les six proposés : recrutement de salariés âgés, anticipation des carrières, prévention des conditions de pénibilité et amélioration des conditions de travail, accès à la formation, aménagement des fins de carrière, transmission des savoirs. Des « bonnes pratiques » étaient communiquées par le ministère. Au final la grande majorité des entreprises se sont livrées à un véritable bricolage, pour éviter la sanction financière plutôt que pour effectivement garder les seniors plus longtemps en emploi.

Certes, le fait d’avoir eu à fabriquer des accords « seniors » a contribué à diffuser le référentiel du vieillissement actif dans les entreprises. Cependant, ce sont des engagements minimalistes qui dominent : développement des entretiens de seconde partie de carrière (vers 45 ans) et du tutorat pour donner de nouvelles occupations aux travailleurs les plus âgés, objectifs flous sur le relèvement de la part des seniors dans la formation continue… Certains dispositifs de temps partiel plus ou moins compensé par l’employeur semblent intéressants mais ils concernent une petite minorité des cas. Peu d’entreprises ont pris des mesures sur le recrutement, ce qui se comprend en temps de crise. Dans l’ensemble, nombre d’employeurs reconnaissent le caractère formel de leur engagement.

Autre motif d’inquiétude : l’occultation de la question des conditions de travail et de l’intensification du travail. La loi a en effet favorisé le choix de mesures isolées de ressources humaines, au détriment d’une véritable approche préventive des conditions de travail. Pouvait-il en être autrement ? Dans le menu imposé aux entreprises (choisir trois domaines d’actions parmi six), l’amélioration des conditions de travail est optionnelle. Elle est placée sur le même plan que des actions dans le domaine du tutorat par exemple. Or il s’agit d’une condition nécessaire – sinon la première des mesures – pour atteindre l’objectif d’allongement de la vie professionnelle. Dès lors il fallait être bien imprévoyant pour s’exposer à payer la pénalité de 1%. Un simple plan d’action non négocié, un engagement de maintenir dans l’emploi ses propres salariés de plus de 55 ans, deux mesures de type bilan de milieu de carrière et le tour était joué. Pas étonnant que le MEDEF n’ait pas poussé de cris d’orfraie devant ce risque d’alourdissement des charges sociales.

Les entretiens individualisés, le développement des visites médicales ou l’accès ponctuel à des formations « gestes et postures », comme proposé dans des accords, apparaissent comme des replâtrages face aux difficultés vécues. Or, la prévention de la pénibilité du travail est loin d’être une question théorique. Si la prévention des risques physiques est une réalité dans beaucoup de grandes entreprises du secteur industriel, le secteur des services s’engouffre aujourd’hui dans une course à la productivité sans aucune réflexion sur les conséquences en termes de conditions de travail. L’explosion de la question des risques psychosociaux en est l’illustration la plus visible.

L’immense majorité des entreprises a privilégié la solution de facilité d’un entretien d’une heure et d’un bilan de compétences à 45 ans, plutôt qu’une interrogation de fond sur les exigences du travail à 30 ans comme à 60. Les déclarations d’intention quant à la gestion plus active des âges occultent la réalité de l’intensification du travail et donc de la dégradation des conditions de travail pour tous, et en particulier pour les seniors.

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