Que ce soit la retraite du régime général de la Sécurité sociale ou les retraites complémentaires, ces systèmes de retraite fonctionnent par la répartition des cotisations des actifs vers les pensions des retraités. La retraite c’est un droit social financé par la solidarité de l’ensemble des travailleurs. C’est à la fois un salaire différé et un salaire socialisé . Il compense, partiellement seulement, l’inégal accès au marché du travail, les difficultés de carrière, les débuts difficiles, les temps partiels et les écarts dans les durées de cotisations. L’équilibre financier du système reposant sur trois paramètres: le taux des cotisations, le montant des retraites et la durée des cotisations.
Depuis 1981, quand fut institué la retraite à 60 ans, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse d’allonger la durée de cotisation et de repousser l’âge de départ à la retraite tout en essayant de réduire les cotisations dite patronales.
Il va falloir travailler plus longtemps, nous serine-t- on sur tous les tons, alors que les progrès techniques, l’augmentation de la productivité devraient au contraire nous autoriser à travailler bien moins et ce, à tout âge de la vie.
Quatre décennies après 1981, les capacités productives de la France ont-elles à ce point diminuées qu’il faudrait amputer les pensions ? Le manque de main-d’œuvre est-il si grave qu’il faudrait rester au travail jusqu’à 65 ans? Que deviennent les 6 millions de chômeurs et travailleur.es précaires?
Le PIB de 2020, global et par tête, est bien supérieur à celui de 1981.Une meilleure répartition, tant du travail que des revenus, pourrait permettre à toutes et tous, à tout âge, de vivre dignement.
Aujourd’hui les deux finalistes à l’élection présidentielle s’écharpent sur l’âge de départ: 62 ou 65 ans, après avoir échoué à imposer un régime universel avec une retraite à point en 2019. L’objectif de cette réforme, promue par le président Macron, était de s’éloigner du principe de solidarité pour aller vers une plus grande individualisation du système.
On nous promet aussi une retraite minimum de 1 100 €, mais on oublie de dire que ce minimum sera réservé aux carrières complètes, ce qui limite énormément la portée de cette disposition. Pour les mi-temps subis, les ruptures de carrière, il faudra se contenter d’une petite retraite ou du minimum vieillesse (903,20 € en 2020) dont le montant dépend des revenus du foyer et qui n’est qu’une avance consentie par la société, avance prélevée ensuite sur l’héritage à venir.Voilà pourquoi aujourd’hui beaucoup de personnes âgées ne demandent pas l’Aspa pour ne pas devoir léser leurs enfants plus tard.
Au contraire, une allocation universelle d’existence, financée sur le principe de la solidarité universelle où tout le monde contribue en fonction de ses revenus et de son patrimoine ( lire :L’allocation universelle d’existence, la protection sociale du XXI° siècle ), assure, quel que soit le parcours professionnel de chacun, une retraite de base individuelle du niveau du seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian ( 1110 €) . Ainsi elle remplace avantageusement l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). Elle corrige l’inégal accès au marché du travail et les inégalités de genre des salaires et des carrières professionnelles. Elle exerce, en l’amplifiant, la fonction redistributive du système de retraite actuel. Enfin la dissociation entre allocation d’existence et pension de retraite d’activité permet d’unifier le système actuel autour du seul régime de base de la Sécurité sociale, financé par la répartition des cotisations des actifs. Aujourd’hui, le système de retraite repose sur deux piliers: le régime général et le régime des retraites complémentaires (Arcco et Agirc). Demain, avec cette allocation d’existence, le régime général par répartition des cotisations suffirait à lui seul à assurer une pension, fruit du travail durant son existence. On a ainsi une retraite socialisée fondée sur la solidarité universelle et une retraite individuelle à l’image de sa propre carrière professionnelle. Ainsi on dissocie La fonction redistributive assurée par ce revenu d’existence universel et la fonction rétributive qui serait assurée par le régime général.
Aujourd’hui, les taux de cotisations sont:
- Pour le régime général: 6,9 % pour la part salariale et 8,55 % pour la part patronale soit au total 15,45 % jusqu’au plafond de 3 428 € et 0,4 % et 1,9 % soit 2,3 % déplafonné. Pour une pension de retraite au taux maximal de 50 % du salaire annuel moyen calculé sur les 25 meilleures années, corrigé du nombre d’années de cotisation.
- Pour les retraites complémentaires les taux sont suivant le plafond de la sécurité sociale ( PSS = 3428 € brut )
Agirc-Arrco tranche 1Jusqu’à 1 PSSsalarié : 4,72%patronale: 3,15%total:
7,87 %Agirc-Arrco tranche 2De 1 à 8 PSS12,95%8,64%21,59%
En 2022 la pension moyenne brute en France est environ de 1500 € brut (1900 € pour les hommes et 1100 € pour les femmes), l’âge moyen de départ à la retraite est de 62,8 ans, le taux global de cotisation est au minimum de 26 % du salaire brut.
Dans ce nouveau paradigme, à l’allocation universelle d’existence individuelle de 1100 € s’ajouterait une retraite du régime de base qui avec une cotisation retraite de l’ordre de 20 % (10 % employeur – 10 % salarié), sur tous les salaires, permettrait d’assurer une retraite d’un montant supérieur à celui du régime général actuel.
Enfin par sa dimension universelle cette allocation, en assurant une retraite individuelle de base égale à 60 % du revenu médian, permet de réorienter une part des cotisations pour une retraite complémentaire à la fois vers l’assurance maladie, ce qui permettrait entre autres de renforcer le budget de l’hôpital public, et de prévoir aussi le financement de l’accompagnement du grand âge.
Avec la transformation de la CSG en cotisation, on ouvre aussi la voie vers une couverture maladie universelle à 100 %, rendant du même coup obsolète les assurances complémentaires dont les cotisations augmentent avec les risques et donc avec l’âge.
Pour l’exemple
Ainsi pour un foyer de retraités, composé d’une personne payé au SMIC et d’une autre sans activité rémunérée les revenus du couple sont aujourd’hui de l’ordre de 1408 € en tenant compte du fait que l’Allocation de solidarité pour les personnes âgées, l’Aspa, est conjugalisée avec un plafond de ressources du couple à 1408 €. Ces deux personnes vivent ensembles sous le seuil de pauvreté fixé à 1612 € pour un couple. Avec l’allocation universelle individualisée et une retraite du régime de base pour un membre du foyer, les revenus sont de 2762 € ( +96 % ), malgré une cotisation maladie de 20 % qui remplacerait à la fois la CSG et une cotisation pour une assurance complémentaire.

La retraite en chantant
Assuré de ce revenu d’existence, on peut oser des parcours de vie sans se soucier de devoir réaliser une carrière professionnelle complète. On peut se libérer de cette injonction de travailler toujours plus pour à la fois assurer le présent et l’avenir. Le passage de la vie active à la retraite peut se faire progressivement. On peut adapter l’âge de départ en fonction de la pénibilité de son activité professionnelle et corriger en partie les inégalités de l’espérance de vie à la retraite. Il faut rappeler qu’à 62 ans, un quart des 5% les plus pauvres en France sont déjà morts alors qu’il faut attendre l’âge de 80 ans pour que cette proportion soit atteinte pour les 5% les plus riches (1). On en fini ainsi avec ces débats stériles sur l’âge de départ à la retraite.
Les temps ont changé, la retraite n’est plus un effacement, une démission. La retraite, c’est la même chose que le temps libéré en dehors du travail tout au long de la vie: un moment d’affranchissement qui permet la libre affirmation de soi, estime le philosophe Henri Pena-Rui. La retraite doit être vécue comme « le dimanche de la vie » (2)
Cette préfiguration de la vie sans travail contraint, que les gouvernements successifs veulent indéfiniment reculer, est un otium ( 3), le loisir actif de 18 millions de citoyens français qui ne sont plus à tord comptés dans la population active. Parce que nous vivons plus longtemps, pourquoi faudrait-il travailler plus longtemps? Il faut au contraire travailler moins longtemps et mieux, pour être pleinement soi, actif, en bonne santé, à tous les âges de la vie .
De plus cette allocation universelle d’existence ne sera pas la fossoyeuse de notre Sécurité sociale, au contraire elle en sera la clé de voûte. Elle met réellement en œuvre le programme écrit il y a plus de 75 ans et tel qu’énoncé dans l’exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945 pour aller vers une Sécurité sociale universelle :
« La sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, de cette incertitude constante qui crée chez eux un sentiment d’infériorité et qui est la base réelle et profonde de la distinction des classes entre les possédants sûrs d’eux-mêmes et de leur avenir et les travailleurs sur qui pèse, à tout moment, la menace de la misère. …Envisagée sous cet angle, la Sécurité sociale appelle l’aménagement d’une vaste organisation nationale d’entraide obligatoire qui ne peut atteindre sa pleine efficacité que si elle présente un caractère de très grande généralité à la fois quant aux personnes qu’elle englobe et quant aux risques qu’elle couvre. Le but final à atteindre est la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité. «
Il n’en coûterait rien au budget de l’État, on ne change pas globalement la profitabilité des entreprises et on renforce les budgets des différentes branches de la sécurité sociale tout cela grâce à ce principe de solidarité universelle qui ne demanderait qu’un effort supplémentaire de 5 % des foyers fiscaux les plus dotés en revenus comme en patrimoine.
Après la crise sanitaire de 2020-2022 qui a révélé aux yeux de tous les dégâts de quarante années d’abandon du bien commun, Il faut être force de propositions pour se réapproprier ce qui doit nous être le plus cher : l’exercice d’un droit à une vie digne en toute circonstance et à toutes les étapes de la vie.
Cette allocation universelle d’existence devrait constituer le premier dénominateur commun d’un programme de gouvernement, mais pour cela il faudrait s’affranchir des schémas de pensée qui sont aujourd’hui totalement inopérants.
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(1) A l’âge de la retraite 25 % des plus pauvres sont déjà morts. Libération, 1 décembre 2021
(2) Tel est le dimanche de la vie, moment précieux s’il en est. Opposer ici les «actifs» et les «passifs» est inepte. Le loisir n’est pas l’oisiveté, mais le registre essentiel de la libre affirmation de soi. Henri Pena-Ruiz, «La retraite ce dimanche de la vie qu’une réforme tout sauf égalitaire souhaite balayer», article publié dans Marianne le 01/01/2020 – cité par Alain Véronèse dans l’article « La retraite en chantant c’est tous les jours dimanche! » La science du partage».
(3) L’otium est le temps du loisir libre de tout negotium, de toute activité liée à la subsistance: il est en cela le temps de l’existence.