Été 2023. À moins de croire au « pas de chance » pour ces villes qui se sont embrasées ou à la sauvagerie innée de certaines catégories de la population, il devient urgent de comprendre ce qui se joue à travers la multiplication des conflictualités, violences et affrontements au sein de notre société.
Les faits. Que peut-on observer ?
L’été dernier dans la foulée de la mort de Nahel, une partie du pays s’est embrasée avec pour comptabilité :
- Des destructions de biens (commerce, mobilier urbain, véhicules, ..)
- Des pillages
- Des provocations et des agressions à l’endroit des représentants de l’État (policiers surtout)
Le phénomène n’est pas nouveau mais jusqu’à présent, il touchait essentiellement les quartiers sensibles et les grandes villes. Depuis l’été dernier, il concerne également les villes moyennes et les centres bourgs.
Lorsque l’on observe ces scènes de violences urbaines, se dégage une impression d’immersion dans un jeux vidéo dans lequel l’identité de l’adversaire est réduite à un certain nombre de points à gagner si l’on parvient à l’abattre. Une version violente de Pokémon en quelque sorte.
Pire, ces poussées de colère commencent à provoquer des réactions en chaîne :
- Une doctrine de maintien contestable : Nasses, charges motorisées, tirs massifs, arrestations arbitraires, …
- Le développement de groupuscules d’extrêmes droites
- Une radicalisation de l’opinion publique
A quand des milices citoyennes armées… ?
Nous assistons à une radicalisation de la société. De moins en moins de nuance et de plus en plus de haine.
Il est urgent de mettre fin à cette montée des violences et conflictualités !
Les causes. Pourquoi toute cette violence ?
Au-delà des violences urbaines, attachons-nous à identifier les causes récurrentes de cette montée de la violence et des radicalités. Elles sont au moins de 3 ordres :
- D’ordre personnel et psychologique ; lié au parcours de vie et au quotidien de chacun d’entre nous
- D’ordre sociétal ; lié à l’environnement économique et social dans lequel nous évoluons
- D’ordre politique et technologique ; lié à l’idéologie des élites économiques et politiques
Ce qui tient à mon existence, à ma personnalité
Une ambiance de fin du monde. Plus ou moins consciemment, de plus en plus d’habitants de ce pays ressentent angoisse et anxiété lorsqu’ils pensent à leur avenir et à celui de leurs proches. Éco anxiété (écologique et économique), perte de repères. Avec la conviction que demain sera pire qu’aujourd’hui. Cette peur de l’avenir peut occasionner des comportements de fuite ou de paralysie mais aussi de colère et de désobéissance musclée.
Un processus de ghettoïsation. Un nombre croissant de familles se retrouvent coincées dans des quartiers de relégation. Des familles qui concentrent et cultivent pour certaines (victimisation) les difficultés objectives : stigmatisation, discrimination (à l’école, à l’embauche, contrôles au faciès), pauvreté et précarité. À l’opposé, se développent des quartiers bunkers peuplés de privilégiés (à Meudon ou Cannes, peu de jeunes en rébellion). Dans les 2 cas, une faible mixité. La France ressemble de plus en plus à une concaténation de communautés d’intérêts qui au mieux s’ignorent et au pire s’affrontent.
Une prise de conscience des injustices et des inégalités. Plus que les générations précédentes, les jeunes d’aujourd’hui sont conscients que leur chance de réussir socialement et économiquement sont très faibles s’ils portent un nom à consonnance africaine ou maghrébine et/ou vivent à Sarcelles ou à Grigny. Par contre, ils savent que tout devient plus facile lorsque l’on naît à Neuilly sur seine.
Une parole confisquée, pervertie et/ou réprimée. Gilets jaunes, antivax, opposants à la réforme des retraites, aux méga bassines, jeunes en colère, .. Média et politiques main stream appliquent la même ligne de communication : Se saisir du moindre prétexte pour ridiculiser, diaboliser et si cela ne suffit pas à condamner. Une partie de la population en vient à se sentir humiliée. Les associations ne sont pas épargnées (*)
(*) Interdictions de manifestations propalestiniennes en octobre, dissolution de la Coordination contre le racisme et l’islamophobie en novembre, tentative de dissolution du mouvement écologiste « Les Soulèvements de la Terre », menace sur les subventions de la Ligue des droits de l’homme après ses dénonciations des violences policières à Sainte-Soline…
La société dans laquelle nous vivons
Une société qui depuis près d’un siècle privilégie l’individualisme, la réussite personnelle quitte à piétiner l’intérêt général. Cette montée tendancielle des égoïsmes nous insensibilise aux difficultés de l’autre. On préfère détourner le regard.
Des rythmes de vie qui nous aliènent, des existences compulsives qui nous privent du temps de la réflexion. Et pourtant, toujours cette injonction à avoir un avis sur tous les sujets. « Pour ou contre l’immigration », « pour ou contre la peine de mort », « pour ou contre les trottinettes électriques »… La pensée devient binaire. La nuance est devenue suspecte. Stressés, sommés d’avoir une opinion, on finit par tous nous enfermer dans un camp.
Un monde dans lequel on ne se rencontre plus et on ne se parle plus. Disparition de nombreux lieux de socialisation : Commerces et services publics en France rurale, syndicats et partis politiques.
Encapsulés dans nos routines et certitudes, l’étranger au sens large est perçu au mieux comme une silhouette déshumanisée et au pire comme un danger à éliminer. Le policier devient le « sal flic » à éclater et le « jeune bronzé » le sauvage à éliminer.
Des algorithmes et des leaders d’opinion qui nous fracassent les uns contre les autres
Parmi les facteurs technologiques et politiques, on peut citer :
- Les réseaux sociaux qui polarisent et exacerbent les émotions, les affects au détriment de la recherche de vérité et de débats argumentés, constructifs.
- Les jeux vidéo addictifs qui souvent promeuvent la compétition, le combat plutôt que la collaboration et l’entraide.
- Des leaders d’opinion (politiques et magnats de la presse notamment) qui cherchent à instrumentaliser et détourner le malaise social. Ils poursuivent leur agenda réactionnaire et autoritaire.
Les enjeux. Ce qui est en train de se jouer
Dérèglement écologique, guerres et conflits en Ukraine, en Palestine, paupérisation et précarisation, durcissement démocratique et répression des oppositions, …
Face aux menaces qui s’accumulent et se précisent, de plus en plus de citoyens aspirent à une autre marche du monde : écologistes, gilets jaunes, jeunes des ghettos, défenseurs des droits civiques, militants Metoo…
Malheureusement, l’ancien monde résiste à coups d’enfumages, de mépris ou de répressions à ces attentes de changement.
De plus en plus d’individus (et notamment les jeunes) ont ainsi l’impression d’être condamnés à un avenir désespérant (*) pendant qu’une minorité détruit la planète et pillent les biens communs en toute impunité.
(*) une planète bientôt invivable, une promesse de jobs mal payés et déconsidérés, un système politico médiatique qui les ostracisent
Privés de parole et/ou d’écoute, ils assistent à la dégradation de leurs conditions d’existence (climat, droits sociaux, précarisation, ..).
Que faire alors qu’ils sont convaincus -le plus souvent à raison- qu’ils ne seront pas entendus ?
Certains sombrent dans l’anxiété, l’angoisse et le repli sur soi tandis que d’autres choisissent l’action quitte à sortir de la légalité. Certains le font en pleine conscience et d’autre en parfaite inconscience.
Alors au moindre prétexte (violence policière, dispute à l’issu d’un bal, conflit à l’étranger, accident climatique meurtrier ..), la colère et la violence explosent. Toute cette rancœur, toutes ces tensions, il faut que cela sorte !
Pire. Excités par les réseaux sociaux et des leaders de plus en plus clivants, une partie de la population a renoncé à comprendre d’où vient son malaise et difficultés. Il est tellement plus facile de déverser son mal être sur des boucs émissaires : L’arabe, le flic, le maire écolo, le pédé, .. ou le mobilier urbain. Contrairement au château de l’Élysée, ils sont à portée de fourches.
Le taureau lâché dans l’arène et privé d’issue se battra jusqu’à la mort. La violence n’est pas tabou pour celui qui est à bout.
Pour certains des protagonistes, ces pulsions de violence procurent même et enfin la sensation de compter, la jouissance d’exister, de reprendre la main sur son destin l’espace d’une heure ou d’une nuit.
Le cocktail de la mort
Si l’on ne met pas fin à cette société compulsive et manichéenne, nous nous dirigeons tout droit vers le pire : Une montée inexorable de la haine, de la violence et des radicalités au sein de la population. Cette tectonique des foules nous promet deux avenirs mortifères : la fragmentation de la nation ou le durcissement démocratique (l’état policier) avec pour solution finale, l’extermination des dominés et la disparition de la démocratie.
Alors que face à la crise écologique et ses conséquences économiques, sanitaires et démographiques, il est urgent et prioritaire de se faire résilient et donc solidaires.
Agir concrètement à l’échelle locale
Pas d’apaisement sans solution aux motifs de violence.
Rappelons-le. La réponse judiciaire et policière ne peut être considérée comme l’alpha et l’oméga d’une politique de lutte contre toutes les formes de violence.
Car la spirale violences-répression est mortifère autant pour notre démocratie que pour la cohésion sociale.
Les élus locaux qui en appellent à des renforts de police et à plus de fermeté doivent comprendre que la réponse répressive constitue une mal adaptation car :
- Inefficace même si elle s’appuie sur les technologies les plus sophistiquées ; à moins bien sûr d’envisager l’élimination pure et simple des populations désobéissantes
- Mortifère pour la démocratie car qui accepterait de vivre au sein d’une société de la surveillance et de l’emprisonnement systématique de toutes les formes d’oppositions : écologistes, défenseurs de la Palestine, ..
- Coûteux. L’argent investis en forces de l’ordre, caméras de surveillance, logiciels, drones, armement pèsent sur les budgets et l’empreinte carbone de la nation alors qu’il devrait être investi dans la transition écologique et le soutien aux populations fragilisées.
Aussi sans sombrer dans l’angélisme (les fonctions de police et de justice peuvent se révéler utiles dans certaines situations), mettre fin à cette montée des violences suppose de s’attaquer prioritairement à ses causes : pauvreté, discrimination, manque de démocratie, éducation,
Toute solution efficace devrait donc s’appuyer sur trois principes d’action
Changer de regard. Changer de focale
En reconnaissant la pluralité d’une société, on fragmente beaucoup moins. À chercher à ce que tous les habitants de ce pays se ressemblent et adoptent les mêmes comportements sociaux et vestimentaires, nous allons à l’asphyxie sociale. Il s’agit pour chacun d’entre nous de faire preuve de tolérance et d’empathie.
Encore faut-il parvenir à changer le regard des protagonistes. Regard qu’ils posent sur l’autre (le jeune, le bourgeois, le policier, ..) mais aussi sur eux-mêmes.
Ce changement de regard doit être opéré par l’ensemble des parties prenantes à des degrés divers :
- Les élus locaux
- Les forces de l’ordre
- Les révoltés/forcenés (actuels ou potentiels)
- Les habitants d’une manière générale
Il ne sera possible que moyennant un changement d’état d’esprit mais aussi un effort d’information.
Un autre état d’esprit. Qui est le plus violent ? Celui qui brule une poubelle sous l’emprise de la colère ou celui qui à l’année détourne le regard sur la détresse des autres ou choisit d’exploiter des Sans-papiers dans son entreprise ? L’empathie est au cœur de ce changement de regard, de perspective. Lutter contre son propre égoïsme est le principal challenge.
Sortir de ma capsule mentale pour rentrer en résonance avec ce que vivent tous ces « autres » et notamment les plus mal lotis. Comment agirai-je si j’étais à leur place ?
Apprendre à penser contre soi-même. Le doute permet de progresser.
Reprendre le contrôle de nos existences.
Il faut redonner aux citoyens la main sur leur destin. Pour l’élu local, il s’agit de refuser de céder aux sirènes de la répression et au contraire de s’armer de courage pour convaincre ses administrés de la nécessité de se faire confiance et remettre debout au cœur de la cité les habitants réputés à problème.
Proposer une trajectoire porteuse d’avenir et de sens pour le plus grand nombre.
On ne se remet pas debout et commence à marcher que si on est motivé par un but. Pas très motivant de se battre pour faire des études de jardinier pour finalement devoir traverser la rue pour finir à la plonge d’un restaurant. Il s’agit de proposer à l’ensemble des habitants une trajectoire porteuse d’avenir et de sens commun. Quoi de plus motivant que de construire ensemble un monde d’avenir c’est-à-dire résilient selon 4 principes fondamentaux :
- La recherche d’autonomie locale
- La préservation de la planète et des écosystèmes
- La solidarité et l’entraide
- La recherche de bien être pour tous
Conclusion : Il est urgent de mettre fin à cette montée des radicalités et des hystéries. Ce travail d’apaisement et de reconstruction du vivre ensemble doit s’entreprendre dès maintenant en tout cas avant les premières chaleurs (l’été meurtrier).
Good night and good luck