Billet de blog 12 mai 2024

François Lanstroffer (avatar)

François Lanstroffer

Conférencier et penseur en résilience dans un contexte de crise systémique mondiale

Abonné·e de Mediapart

Comment gérer les conflits, comment recréer du commun

Entre fracture sociale et tectonique des foules, comment éviter le pire et construire un monde d'avenir

François Lanstroffer (avatar)

François Lanstroffer

Conférencier et penseur en résilience dans un contexte de crise systémique mondiale

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Une fracture sociale se creuse dont l'ensemble de la Nation supporte la charge. La "machine France" ne fonctionne plus. Elle ne fonctionne plus pour tous les Français. » (discours fondateur de la campagne présidentielle de Jacques Chirac, 17 février 1995).

Depuis la situation s’est objectivement dégradée en matière de fracture sociale et tout ou presque devient prétexte à l’affrontement sur les plateaux de télévision, les réseaux sociaux et de plus en plus dans l’espace public.

« J’existe donc j’ai raison et si tu l’ouvres, je te la ferme ». Au diable la nuance… 

 Voici à titre exemples quelques sujets qui risquent de déchirer ce qui reste de cohésion sociale ; autant de conflictualités à venir :

  • L’accueil et l’intégration des minorités, des émigrés
  • Le partage et l’usage des biens communs (air, eau, foncier, ..)
  • Des choix d’aménagement (implantations d’industries, de prisons, d’éoliennes, de bassines, de golfs, ..)
  • Des mesures concrètes permettant de réduire notre empreinte carbone et la perte de biodiversité
  • Les libertés individuelles et collectives d’une manière générale (droit de grève, de manifester, de s’habiller, de circuler, de ne pas être scruté par un arsenal de caméras intrusives, de ne pas être d’accord avec un énième 49.3)

3 scénarios à déjouer d’urgence

 Dans de nombreux pays, nous assistons ainsi à la réalisation de 3 scénarios cumulatifs :

  • L’explosion sociale : Multiplication et intensification des conflits d’intérêt
  • L’implosion : La tendance à s’isoler, à vivre en communauté, à se bunkériser
  • Le durcissement démocratique : Même les manifestations pacifiques pour sauver ce qui reste du peuple palestinien peuvent être interdites

Le diagnostic de cette difficulté croissante à vivre ensemble :

Quatre causes semblent jouer à plein :

  • L’injonction/injection à accoutumance des algorithmes
  • Les appels à l’hystérie d’une partie des élites et influenceurs
  • La montée des peurs et des anxiétés
  • Le culte de l’individualisme

La dictature des algorithmes

Question : Que fera selon vous un individu bien inséré socialement mais qui connait ponctuellement une réelle difficulté ?

Vous connaissez déjà la réponse : Il se confiera à ses proches mais jamais sur Toc toc (appelé Tik Tok par les dingos) ou fausse face (Facebook).

Malheureusement en matière de relations, la quantité a remplacé la qualité et nous nous retrouvons de plus en plus seuls à dialoguer avec des interfaces, des applications et des avatars.

Pire, pour renforcer leur caractère addictif, les algorithmes privilégient le sensationnel, l’émotionnel, le superficiel.

Au final, ses soi-disant réseaux sociaux et applications « intelligentes » contribuent souvent à nous isoler plus qu’ils nous rapprochent.

Et pourtant, les relations sociales et familiales constituent le meilleur remède à nos moments d’angoisse. Réapprenons à investir dans les vraies relations.

Que faire : L’usage des réseaux sociaux et des applications est devenu une drogue à accoutumance. Difficile de s’en sortir seul.

Tout détachement ou usage raisonné procèdera d’une démarche collective. La famille bien sûr mais aussi la collectivité dans son ensemble doivent apprendre à se défendre de ce virus. Les collectivités locales en particulier pourraient proposer des espaces/activités permettant d’oublier l’injonction du smartphone : jeux sportifs, théâtre de rue, banquets festifs, …

Les appels à l’hystérie d’une partie des élites et influenceurs

Le succès incontesté des prêcheurs de haine procède du penchant de notre espèce pour :

  • Les solutions simplistes qui flattent notre paresse intellectuelle. Il est plus facile de souhaiter l’expulsion des émigrés « qui viennent manger le pain des français » plutôt que de lire les études qui prouvent qu’ils exercent les métiers dont les honnêtes visages pâles ne veulent plus
  • Les discours virils et martiaux ; le confort d’appartenir à une meute déchaînée qui donne le sentiment d’impunité quel que soit le niveau de violence exercé sur la cible désignée

Des quatre facteurs de montée des conflictualités, ce dernier est sans doute le plus difficile à combattre. L’affirmation d’un contre discours en appelant à l’intelligence collective et à l’entraide plutôt qu’à l’affrontement et à la compétition semble être la solution.

Reste à trouver les élus et les leaders d’opinion capables de s’élever au-dessus des parti(e)s pour incarner cette autre voie. Mais n’est pas Gandhi qui veut

Le culte de l’individualisme

Tout a déjà été dit sur les dégâts du libéralisme débridé et du culte de l’individu sur la cohésion sociale.

Heureusement, ce phénomène mortifère pourrait régresser car face aux dangers à venir, les comportements égoïstes seront rapidement disqualifiés voir sanctionnés par la collectivité. Sans attendre les premiers orages, il serait pourtant opportun de promouvoir/créer davantage de dispositifs de partage et de coopération à l’échelle locale.

La montée des peurs et des anxiétés

Ce facteur constitue avec le culte de l’individualisme la cause première du stress social et de la montée des conflictualités ; les 2 autres facteurs jouant plutôt le rôle de coefficient multiplicateurs.

Exagérée dans certains cas, la montée des périls (accidents climatiques, paupérisation des classes moyennes, conflits armés,  ..) est largement fondée.

Heureusement un danger/défi peut s’avérer stimulant à la condition de disposer :

  • D’une grille de lecture permettant à ceux qui en sont menacés de comprendre ce qui se passe (ce que l’on appelle « tutoyer sa peur ») ou l’objectiver
  • D’une trajectoire porteuse de sens et d’espoir. La recherche de résilience – à la fois boussole et bouclier de la cohésion sociale – pourrait constituer cette trajectoire si les élus locaux savaient s’en saisir.

Comment gérer les conflits locaux

Les élus locaux n’ont sans doute pas signé pour ça mais de plus en plus, ils devront faire face aux risques d’explosion/implosion en évitant de recourir à la répression.

À leur disposition plusieurs stratégies :

  • La fuite: Cette stratégie consiste à refuser d’intervenir pour gérer le conflit en misant sur la maturité des protagonistes, leur capacité à sortir par eux-mêmes du conflit… mais en leur annonçant. Ce refus de gérer le conflit doit être présenté par la collectivité comme une marque de confiance. Attention, si cette confiance est mal placée, le conflit peut rapidement dégénérer.
  • La rupture des schémas relationnels consiste à séparer les parties en conflits. Cette stratégie est a priori purement théorique car il est peu envisageable d’expulser une partie des habitants ou de dresser une barrière entre voisins en conflits (nous ne sommes pas à Gaza). De toute façon, les défis à venir ne pourront être relevés qu’à la condition de mobiliser l’ensemble des énergies et intelligences d’où qu’elles viennent.
  • La compétition (winner/looser). Dans ce cas l’élu ou la collectivité décident d’un vainqueur et donc de facto d’un perdant. Par exemple, si chasseurs et joggeurs s’opposent, la collectivité choisit de donner raison à l’une des parties. Cette stratégie peut s’avérer justifiée dans certains cas car il faut savoir faire preuve de courage pour dire stop à certaines pratiques. Mais dans un pays où la parole instituée (enseignants, élus, parents) ne fait plus autorité, les élus locaux peuvent se retrouver rapidement en conflit avec la partie déboutée.
  • Le compromis. L’élu amène les parties à faire des concessions pour parvenir à un accord leur permettant de sortir du conflit. Comme toute stratégie, celle-ci peut s’avérer efficace dans certaines circonstances. Néanmoins la gravité de la situation (économique, climatique, sociale) requerra de plus en plus des solutions radicales peu compatibles avec les compromis.
  • La sublimation. Elle consiste pour l’élu à évoquer une raison supérieure au conflit. Partant du principe -souvent vérifié- que les conflits de voisinage quelque fois ancestraux reposent sur des différents quasi puérils, l’élu attirera l’attention des protagonistes sur un enjeu/défi existentiels pour l’ensemble des parties (« plutôt que de vous disputer ce bout de terrain, ne pourrions-nous pas mettre notre énergie à faire face à la prochaine tempête qui n’épargnera personne ? »). En ce début de crise systémique, cette stratégie de gestion de conflits peut s’avérer extrêmement efficace.

Comment enfin recréer du commun ?

Sachant qu’il vaut mieux éviter les conflits que de devoir les gérer, voici les composants d’une stratégie de reconstruction du vivre ensemble.

Autant de solutions à la disposition des collectivités locales :

  • Communiquer/incarner une vision porteuse d’avenir susceptible de sublimer les conflits et antagonismes mineurs. C’est la mission d’un élu porteur d’avenir. Incarner le rôle du guide visionnaire !
  • Impulser des projets de coopération/partage : Proposer aux habitants de co créer un tiers lieu, reconvertir une friche. En fait, tout aménagement peut être l’occasion d’en appeler à l’intelligence collective
  • Mettre en place des instances de démocraties inclusives et permanentes (à l’instar d’Agorapolis)
  • Organiser des campagnes de sensibilisation aux pratiques à risque (usage des réseaux sociaux, obésité, ….) et aux recommandations d’usage (eau, vélos, …)
  • Privilégier la création d’emplois de liens, limiter au maximum le recours aux automatismes qui dégradent nos capacités relationnelles autant qu’ils détruisent des emplois (les magasins Amazon Go étant le symbole de cette horreur de vie).
  • Organiser régulièrement des événements festifs en s’appuyant sur le tissu associatif et les commerçants.

Good night and good luck

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.