Quand Dominique de Varîmes disait « c’est très bien », ce n’était pas l’expression de la satisfaction d’un confident, mais plutôt le mot condescendant d’un juge omniscient. Dans les couloirs de l’ASS, tout le monde avait déjà aperçu au moins une fois cet étudiant immense, solitaire et orgueilleux, au nez long comme une Cadillac et au visage étiré comme un tonneau de pluie. Il avait le charme de ces gens dont la figure vous ravit car vous la trouvez originale. Cela ne s’explique pas. Car le charme, justement, est une chose indicible. Et somme, on ne pouvait décrire la beauté de Dominique de Varîmes tant elle était particulière, impétueuse, sensible et virile à la fois. Il était de la race de ces gladiateurs dont un sang bouillant irrigue le cœur glacé.
C’était lui le grand jeune homme qui avait toisé François de tout son haut en cette chaude nuit de juillet, alors que le malheureux s’épuisait encore à courir derrière cette jeune femme qui l’ignorait royalement. Tapi dans l’ombre, il avait d’abord esquissé un sourire, puis rit, et son rire terrible était monté jusqu’au ciel. Encore haletant, François avait tourné la tête et discerné derrière la buée de ses lunettes une immense silhouette qui lui semblait familière. « Ne vous en faites pas mon vieux ! avait lancé la forme oblongue. Pendant longtemps, on croit au « Grand Mystère », au mystère de la Femme avec un grand F ! Puis vient ce jour maudit où l’on découvre que derrière ce mystère, il n’y a… rien. Le vide ! Le néant !... Et ça, mon vieux, c’est terrible, terrible… c’est la fin du monde, la fin du monde… ».Voyez-vous, ami lecteur, je crois que le machisme est l’idéologie la plus populaire en ce bas-monde. Capable de rassembler les hommes au-delà de leurs différends, il peut provoquer des phénomènes spectaculaires tels que, par exemple et au hasard, la fraternisation d’un Turc et d’un Arménien, la connivence d’un Israélien et d’un Palestinien, les rires gras d’un Flamand et d’un Wallon, le clin d’œil complice du Catalan au Castillan, la franche accolade d’un Hutu et d’un Tutsi, et cætera, et cætera, la liste est encore longue et je vous l’épargne. Mais, étonnamment, ce n’était pas les propos misogynes du garçon ni sa grande taille qui avaient surpris François, mais bien le fait d’être vouvoyé par un autre étudiant, qui plus est de la même promotion que lui.« Nonobstant cela, avait ajouté le jeune macho, en tant qu’homme, je puis vous dire que mes seuls amis sont mes amies ». Il avait appuyé sur la marque du féminin en foudroyant le pauvre François d’un œil dominateur et pénétrant.
Deux mois après cette nuit mémorable, leurs chemins s’étaient à nouveau croisés à l’ENA, la fameuse Ecole nationale d’administration qu’ils avaient tous deux intégrée au sortir de l’ASS. Rapidement, les deux étudiants s’étaient liés d’amitié. François aimait vraiment ce grand type un peu fou. Non pas qu’il eût du désir pour lui, non, cela, certainement pas, mais sans-doute voyait-il en lui le reflet de sa propre solitude. Ségolène était là elle aussi, en bonne place parmi cette élite regroupée. Ils étaient les meilleurs des meilleurs. Bien sûr, d’emblée, Ségolène aimât Dominique. Comment aurait-il pu en être autrement ? Mais lui ou un autre, cela n’avait pas vraiment d’importance, car, au fond, c’est l’amour qu’elle aimait. Quant à Dominique, il n’aimait personne et n’avait point besoin d’être aimé. Plaire lui suffisait. La situation était inextricable. François en tira profit et emporta la belle.
© Benjamin S. Szlakmann - 2016