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Billet de blog 14 novembre 2016

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La Jeunesse de François - (épisode 11)

Suivez chaque jour dans Mediapart les aventures du jeune François, amoureux transi de la belle Ségolène Bourbon... L'épisode 11 démarre par un coup de tonnerre... qui en annonce un autre...

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Août 85.

Il l’avait quittée. Il avait quitté sa mère, ce salaud… Ségolène était bouleversée. La veille, depuis le jardin, cachée derrière les aubépines, elle avait vu son géniteur faire de grands gestes dans le salon et sa mère silencieuse face à lui, postée comme une louve contre le grand secrétaire Louis-Philippe de leur maison de Poissompré. Ah on lui en avait dit des choses sur les hommes, ces bêtes à couilles, ces grands yétis qui puaient tant l’été, toujours en train de gueuler, de boire et de fumer. Non seulement on lui en avait dit beaucoup, sa tante et sa grand-mère en tête, mais ce qu’elle avait pu en voir était pire encore ! Le dimanche par exemple – jour du Seigneur tout de même ! – la plupart des hominidés du voisinage préféraient rester dans leur garage chiffon à la main et nez collé à la tôle plutôt que d’assister à la messe avec leur épouse. Et lorsqu’une fille passait dans l’allée, ils la saluaient tout sourire, et, une fois celle-ci passée, regardaient son cul comme s’ils l’étudiaient. Le soir venu, après le dîner, ils s’affalaient sur le sofa et feuilletaient le journal en prenant l’air grave de ceux qui comprennent le monde. Et maintenant, voilà que son père, son propre père, marié, deux enfants, député-maire d’Epinal, s’illustrait à son tour en héros de cette sous-race masculine qui ne savait que séduire pour mieux détruire !

Dans l’après-midi, seule et désemparée, elle était allée trouver le Père Bernard à Saint-Dié et lui avait confié son chagrin. Pour toute réponse, ce dernier lui avait affirmé qu’il avait depuis longtemps remarqué que M. Bourbon était doté de lèvres ridiculement minces et qu’il était par conséquent évident que ce monsieur ne pouvait être qu’égoïste et fourbe. Le pieux morphopsychologue avait dit cela sans plus de précautions à Ségolène qui, en dépit de l’immense ressentiment qu’elle nourrissait en cet instant pour son père, lui avait tout de même hurlé à la figure qu’elle ne tolérerait aucune attaque contre sa famille. « Allons, mon enfant, allons, ne nous fâchons pas pour si peu… », avait répondu l’homme d’Eglise d’une voix suave. Ségolène détestait ce ton paternaliste, son petit visage décidé s’était froissé comme du papier.

En larmes, elle avait sauté dans sa 2 CV et filé à Paris pour trouver François et un peu de réconfort. Mais dans leur petite chambre de la rue de la Cerisaie, ce dernier ne lui avait été, bien malgré lui, d’aucune aide. En lui elle n’avait rien trouvé, rien du tout, réalisant d’un coup qu’il ne lui plaisait pas, qu’elle ne l’aimait pas, qu’il n’était pas l’homme de sa vie. Au fond, pour elle, il avait été tantôt le frère, tantôt le père, tantôt l’amant, mais il ne serait jamais l’époux. D’une traite, elle lui avait dit tout cela : ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre, elle avait compris maintenant, c’était inutile de la rappeler, tout était fini. Planté et pantois, ne sachant que faire, trop poli pour rester sur cet échange qui lui paressait trop brutal pour être le dernier, François avait attendu la suite, mais rien n’était venu. Ségolène avait filé vers sa 2 CV puis roulé à tombeau ouvert jusqu’à la Porte de Saint-Cloud. Au numéro 3 de la rue Parent de Rosan, elle avait gravi les marches à toute allure et déclaré sa flamme à Dominique, cet ami qu’elle n’avait jamais cessé d’aimer. Lui, au moins, il n’était pas comme les autres.

-          Et toi, tu m’aimes…? avait-elle demandé face à son silence.

-          Non, avait fini par répondre le géant tout juste rentré d’Asie, je ne t’aime pas, je ne sais pas aimer, je n’aime que moi.

Il ne serait donc jamais cette machine à dire « je t’aime » qu’elle aurait tant aimé qu’il fût. Elle avait sangloté un moment, puis s’était jetée à ses pieds :

-          Reste avec moi mon amour !... Je t’en prie !... Nous serons heureux tous les deux… Je te le promets !...  Je t’aime, je…

-          On ne reste qu’avec celles qui nous ont domptés. Or, je suis indomptable. Voilà. Adieu Ségolène.

Elle était partie furieuse. Tant pis, ce Dominique n’était qu’un éphèbe après tout. Il ne valait pas tripette lui non plus. D’ailleurs, avait-elle vraiment besoin d’un homme ? Elle les détestait tant maintenant, tous…

Dehors, il faisait lourd et l’on ne voyait même plus la lune. « Tu me diras s’il fait mieux l’amour que moi ! » avait soudain crié une voix dans la nuit. C’était François qui, depuis le siège arrière d’un taxi, l’avait hélé ainsi vulgairement. Il l’avait prise en chasse depuis la rue de la Cerisaie !

Mais Ségolène n’avait rien entendu. La porte de sa 2 CV avait claqué, le moteur avait rugi et elle avait disparu dans le ciel sans étoiles.

C’était la fin d’une folle nuit.

© Benjamin S. Szlakmann - 2016

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