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Billet de blog 22 novembre 2016

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La Jeunesse de François - (épisode 16)

Suivez chaque jour dans Mediapart les aventures du jeune François, amoureux transi de la belle Ségolène Bourbon... Aujourd'hui, épisode 16, où France fait son retour, Abdoul prend la foudre, et François décide le pire...

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Juin 86.

Abdoul était encore en retard. Mais qu’est-ce qu’il pouvait bien faire ?

Devant le Parc de la Courneuve, François attendait avec impatience son nouvel ami. Aujourd’hui, c’était les « RISAF », les Rencontres Internationales des Socialistes Africains de France quise tenaient chaque année aux premiers jours de l’été. Au cœur de la foule noire et maghrébine massée devant le portail, il ne se sentait pas très bien. En regardant autour de lui, il vit tout de même, au loin, un visage blanc, ou rose. D’un coup, il se sentit beaucoup mieux. C’était vraiment idiot ! Comment sa couleur de peau pouvait-elle influencer ses impressions et ses sentiments ? Mais déjà, l’autre blanc l’avait aperçu aussi et lui adressait un signe de tête complice. En retour, François plissa les lèvres pour rendre, par stricte politesse, une forme de sourire, puis détourna le regard aussitôt. Il affecta alors de prendre un air indiffèrent et assuré, pour bien montrer à quiconque aurait vu cette scène autour de lui qu’il était tout à fait à l’aise ici en ces lieux. Parfaitement, oui ! En aucun cas il n’aurait voulu se rendre complice de cette odieuse distinction que certains faisaient entre Noirs et Blancs, et il finit même par haïr complétement ce Blanc qui avait cru bon de lui manifester sa sympathie. « SALAM ALAYKOUM ! »Abdoul avait jailli à la figure de François-le-blanc telle une fleur carnivore. Il lâcha aussitôt sur lui l’un de ces aphorismes étranges dont il avait le secret : «Je vais te dire un truc, François : le jour où les robots offriront des roses aux femmes, nous serons morts ».

Trois mois plus tôt, chez les Levy-Katz, on s’en souvient, l’écrivain avait quelque peu rabroué le jeune François. Pourtant, ce dernier avait d’emblée éprouvé une franche sympathie pour ce petit homme cynique, rude, tendre et authentique, capable de tout, si différent des gens de son âge. Aussi, quand Abdoul lui avait proposé de l’accompagner aux « RISAF », cette grand-messe auquel il avait l’habitude de participer chaque année, « essentiellement pour draguer » disait-il, il avait aussitôt accepté.

Aux RISAF, on ne parlait pas beaucoup de politique. On se passait des adresses pas chères pour ses vacances à Cuba, on jouait au frisbee, on buvait du rosé et on… « France ! Ça alors ! Quelle surprise de vous voir ici ! » s’écria soudain François. La belle kikangaise se tenait là devant les deux compères, immobile, souriante, grande, fine, le corps tendu comme un cocotier. Un morceau de soie caressait son ventre nu et ses lèvres gonflées disaient le mot désir. Abdoul était pétrifié. Qui était cette belle ébène ? Il aurait voulu fuir à jamais dans la contemplation de ce fruit, plonger nu dans le bain de pétales de jais qui mouillait l’iris de son œil café et tourner là-dedans comme un forçat, sans jamais s’arrêter, et plaise à Dieu que la paupière supérieure de son hôtesse oculaire ne se ferme jamais. Depuis toujours, il était persuadé que le destin d’une vie était de chercher son talent comme on va à la mine, avec son casque et sa lanterne, et tant pis pour le coup de grisou. Il avait fini par le trouver, son talent, et la vie ne s’était pas arrêtée pour autant ; au contraire, il avait été confronté à des angoisses d’un genre nouveau, plus profondes, plus acides, de celles qui attaquent l’os. Mais maintenant, il y avait cette femme, et le moteur de la vie pouvait se remettre à rugir. Elle était belle comme une RTT, fraîche comme un printemps arabe, et dans ses yeux, il y avait tout. Tout. Le bien, le mal, la mort, la vie, la création, la fin du monde, les ténèbres, les rêves, la lumière, la Vierge, le Fils, le Saint-Esprit, César, Gandhi, Bach, Dieu, les anges, le ciel, la terre, Mère Teresa, Rockefeller, la guerre, la paix, Jérusalem, Uranus, les Bermudes, l’île de Pâques, Pâques, le pape, la Cité interdite, Johan Cruijff, le paradis, l’enfer et même l’Empire State Building. Voilà. C’est tout ? C’est tout. Alors ? Alors c’est quoi ? C’est quoi le sens de la vie ? Le travail ? La croissance ? Les enfants ? Le plaisir ? L’art ? La connaissance ? L’argent ? Le pouvoir ? Dieu ? Elle ? Eh bien c’est elle, monsieur, évidemment, c’est elle… Alors pourquoi chercher ailleurs ? Pourquoi partir ? Pourquoi vouloir toujours autre chose quand on a l’être aimé devant soi ? Pourquoi encore et toujours écrire, dessiner, peindre, dépeindre, montrer, démontrer, démonter, remonter, remontrer et redémontrer encore ? Tout a été dit, vous ne comprenez pas ? Alors arrêtez tout, monsieur, et vivez tranquillement maintenant. S’il vous plait. Car en Eden, on ne pense pas, on vit. Voilà. Et on aime aussi. On aime France parce qu’elle est cette minute contre laquelle le temps lui-même ne peut rien, parce qu’elle est l’éclat noir et uchronique du monde et de la vie, et parce qu’une vie guidée par la raison mène à la mort, comme toutes les vies, et que par conséquent il ne sert à rien d’être raisonnable, tout simplement. Vous comprenez ?... Non ? Eh bien Abdoul non plus. Il ne l’avait pas quittée des yeux. Dans sa tête de cathédrale, on venait de frapper trois grands coups, et lui qui était si fier, qui marchait tête en l’air, il était devenu papier, condamné à l’aimer. Là-haut, assis sur un nuage, un vieil homme portant lunettes et fausse barbe regardait tout ceci sans vraiment savoir ce qu’il allait advenir de tout cela. La vie pouvait commencer.

Pendant ce temps - le temps de l’émerveillement - France avait rapporté à François des nouvelles terribles du Kikanga : son oncle M’Boto II avait été pendu par la foule et la guerre civile continuait de faire rage partout dans le pays ; à Kouatou, dans la capitale, les salariés du secteur privé s’en étaient pris aux agents de la fonction publique qu’ils accusaient de jouir de privilèges indus. Les factions s’affrontaient à coup de machette. Quelques rares pacifistes, sûrement des employés de sociétés d’économie mixte, tentaient de s’interposer mais périssaient éventrés dans d’atroces souffrances. La guerre est toujours plus cruelle avec les pacifistes. Les traditionnels clivages politiques et sociaux étaient transcendés, et on allait même jusqu’à se séparer de ses amis, véritables ou factices, s’ils étaient de l’autre camp. Evidemment, les fonctionnaires comptaient dans leur rang l’armée et les forces de police, mais ceux du privé étaient plus nombreux, mieux organisés et surtout plus efficaces. Face à France, François avait fait mine de s’émouvoir de tout cela. Mais en fait, il s’en foutait. Car au fond, il était comme tout le monde : bouleversé par les petits drames du quotidien, et parfaitement indifférent aux grandes tragédies lointaines. Ensuite, sans-doute parce que le silence l’angoissait, il n’avait pu s’empêcher de révéler à France le départ de Ségolène. Elle avait alors paru sincèrement désolée, et lui avait annoncé à son tour qu’elle avait quitté Adam pour partir avec Monsieur Bourbon. Ça alors ! C’était donc pour France que ce salaud avait quitté Madame Bourbon ! Elle lui avait aussi appris que Monsieur Bourbon avait vendu la maison familiale de Poissompré afin de pouvoir verser une pension alimentaire à son ex-femme. Toutefois, il ne s’agissait pas d’une somme très importante et cette dernière avait dû, pour vivre décemment, accepter un poste d’assistante de direction dans une société de courtage en assurances. Cela aurait pu bien se passer, n’était l’obligation d’haïr qui semble sommeiller en tout homme… Ainsi Madame Bourbon y était régulièrement harcelée, ses jeunes collègues l’appelant, selon les jours, « mamie » ou « la vieille »… Quant à elle, France, elle avait surtout voulu fuir Adam, et M. Bourbon s’était révélé être un homme « bon et gentil », tout simplement. D’ailleurs, il aurait dû être là aujourd’hui mais il avait été retenu à Epinal pour… hum… euh… célébrer un mariage. Quelque peu sonné par toutes ces nouvelles, François observait France sans rien dire. Elle avait désormais l’œil dur de ceux que la vie a un jour regardés bien en face. Quant à Abdoul, il était encore dans les cordes. Dans son cœur maintes fois transpercé par les lumières de Satan, il revoyait enfin le soleil arder. C’était certain, il allait la revoir.

*

Juillet 86.

-          Alors François, ça gaze ?

Bien qu’encore vaincu par son frère au tennis d’Auteuil, Claude était d’excellente humeur, comme toujours. Tout de blanc vêtu, serviette autour du cou, il n’avait aucunement honte de ces bouts de gras qui commençaient à pendre dangereusement sur ses hanches trentenaires. Au contraire, il considérait son embonpoint comme une preuve de plus de la réalité de son ascension sociale. Un peu comme au 18e siècle. Pourtant, avant d’entrer à la Cour des comptes, Claude n’avait que faire de la carrière et de l’argent. Il était même de tous les combats révolutionnaires. Jusqu’à ce fameux jour d’été où, le soleil lui tapant fortement sur le crâne, il s’était endormi et avait fait un rêve bien étrange… Deux nains courraient dans les champs en riant très fort, sans but réel ou apparent... Sympathiques et bien vêtus, ils disaient s’appeler Nase Dak et Dos Jaune et n’avoir que faire de la vie... Ils ne regardaient jamais autour d’eux mais tous pouvaient les voir... Soudain, un gros type jaune était arrivé, tout rond, tout rouge, juché sur deux cuisses énormes. Après les présentations – il avait dit s’appeler Maque Dos et être un lointain cousin de Dos Jaune – il s’était jeté sur eux et les avait gobés d’un coup. Ça s’était passé très vite. C’était un peu trash et Claude s’était réveillé en sursaut. Depuis ce jour, il ne sut jamais dire pourquoi, son Petit Livre rouge à lui, c’était le Code du Commerce. Suite à ce revirement spectaculaire, ses compagnons de lutte lui avaient fait bien des reproches, et ils continuaient encore aujourd’hui, mais Claude s’en moquait. Il haïssait tous ces gens portant ostensiblement le Bien officiel sur leur figure, la sincérité absolue, ce regard qui pèse trois tonnes et qui vous dit « je suis pur, moi, je n’ai rien à cacher, et contrairement à toi, je n‘ai rien renié, je sais que tu le sais, je le vois bien dans tes yeux, tu n’es pas en paix avec toi-même, et pour cela je te plains mon ami, oh comme je te plains… ». La franchise l’ennuyait prodigieusement, il n’aimait rien tant que le paradoxe, les fausses pistes, la confusion et l’opacité. Il disait qu’il était infiniment plus drôle de nager en eaux troubles et de s’enduire le corps de la vase puante qu’on y trouve au fond, quitte à devoir se décrotter ensuite. Un peu. Pas toujours, mais parfois.

-          Ségolène est partie, finit par répondre François.

-          Quoi ?

-          Ségolène est partie.

-          C’est une blague ?

-          Non.

-          Mais… quand ?

-          Ça fait longtemps… un an presque...

-          Un an !… et… pourquoi tu ne m’as rien dit ?

-          Je sais pas… elle… elle aime quelqu’un d’autre je crois…

-          Ah ?... Et… euh… tu sais qui c’est…?

-          Oui… ce fumier…

-          Hum… euh, qui ça…?

-          Un type, un con, Dominique, tu connais pas, on était ensemble à l’ENA. Ce salaud… Je vais… Je vais le tuer…

-          Allons, François, ne dis pas de bêtises...

-          Avec Abdoul.

-          Hein ? Abdoul ? L’écrivain ? L’ami de mes parents ? Mais quel rapport ?

-          Il est d’accord. Il va m’aider.

-          Mais ? T’aider à quoi ?

-          A le tuer. Et ensuite, je reprendrai Ségolène.

-          Quoi ?... Mais… mais vous êtes fous tous les deux ! Mais enfin, qu’est-ce que c’est que ces conneries, François ?

Jamais. Jamais Claude n’aurait cru possible d’entendre de tels mots dans la bouche du petit auditeur de 2ème classe qu’il avait pris sous son aile, un peu par pitié, au printemps dernier, et dont il avait fait son ami depuis.

© Benjamin S. Szlakmann - 2016

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