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Billet de blog 23 novembre 2016

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La Jeunesse de François - (épisode 17)

Suivez chaque jour dans Mediapart les aventures du jeune François, amoureux transi de la belle Ségolène Bourbon... Dans l'épisode 17, François et son compère Abdoul veulent la peau de Dominique de Varîmes...

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Août 86.

Dans la nuit de la rue Parent de Rosan, deux corbeaux ricanaient à l’ombre des étoiles.

-          Pas de pitié pour le guérillero du seizième…

-          Hin hin…

-          On va lui couper le cigare !

-          Hin hin…

-          Faire pisser le diable dans son pommard !

-          Hin hin…

-          Et hop !

-          Hop !

-          Couché le Dominique !

-          Arseniqué !

-          Raspoutiné !

-          Curarisé !

-          Socratisé !

C’était Abdoul et François. Pour se donner du courage, les deux compères avaient bu plusieurs verres de bourbon et s’étaient gantés de cuir noir, comme dans un film d’Hitchcock. Dans sa robe du soir, la petite rue ne disait rien, mais elle n’en pensait pas moins. Des pieds-nickelés sur son sol, elle en avait vus des tas, mais des comme ça, jamais !

-          T’es vraiment sûr qu’il n’est pas là ? demanda François, soudain inquiet.

Au pied de l’immeuble de pierres et de briques, ils guettèrent une nouvelle fois la fenêtre de Dominique au quatrième étage. Tout était éteint.

-          Certain ! Si elle n’est pas chez lui, c’est qu’il est chez elle, raisonna Abdoul, tout heureux de se découvrir aussi perspicace.

L’un des problèmes récurrents de ce monde, voyez-vous, est que les hommes sont souvent plus enclins à croire qu’à savoir. Nos apprentis tueurs ne faisant pas exception, ils montèrent les quatre étages le cœur battant et le souffle court.

La chambre de Dominique n’était pas grande et comptait peu de meubles. Au-dessus du lit, on avait cloué un petit crucifix. « Tiens, se dit François, je ne savais pas que cet idiot était croyant… ». Mais au fond, ce que le petit Jésus fichait ici, il s’en foutait ; lui, tout ce qu’il voulait, c’était tuer, tuer son ennemi, celui qui lui gâchait la vie, c’était son rêve. Faut-il suivre son rêve ? Oui. Ou peut-être non. Je n’en sais rien en fait. En se dirigeant vers la cuisine, il heurta la table de nuit et fit tomber les quelques livres qui s’y trouvaient. A la lueur de la lune, il parvint à distinguer une biographie de Jules César, une autre de Napoléon, un traité de Saint-Augustin sur la guerre juste et une… une bible ? « Ma parole, mais ce type est un moine ! » s’écria François en lui-même. Il continua son chemin vers la cuisine sans jamais s’apercevoir que rien, absolument rien en ces lieux n’était de nature à indiquer la présence permanente, ou même épisodique, de Ségolène... Le silence hurlait toujours plus fort. « Mais vas-y, putain ! » chuchota bruyamment Abdoul qui commençait à perdre patience. « Qu’est-ce que tu fous nom de Dieu ?... ». Resté sur le palier, le petit Egyptien exhortait son jeune ami à passer à l’action. Mais François ne semblait pas très doué pour la chose. Pourtant, c’était juste une question d’exercice. Il savait pondre un avis sur la qualité de gestion des comptes d’un établissement public industriel et commercial quand il le fallait. Maintenant, il fallait simplement verser un peu de mort-aux-rats dans une bouteille de rouge, c’est tout. C’était pas compliqué tout de même !

-          Dis donc Gargamel, tu veux que je t’aide ?

Le cœur de François s’était soulevé. Dominique se tenait là, derrière lui, immobile, immense, le visage tendu vers l’avant comme un couteau.

-          Qu’as-tu dans la main ?

Comme un bouquetin tâte de son sabot fendu la pierraille d’Azazel, François hésita, se tourna, et s’avança apeuré vers la bête immense qui l’attendait dans la lumière.

-          Je… euh… c’est…

Trop tard. Dominique l’avait déjà empoigné et soulevé comme un manchon de paille. Sa mâchoire énorme aurait croqué le ciel. Il était le minotaure, en plus terrible encore. Dans le décollage, le petit sachet de poison que l’apprenti criminel tenait dans sa main avait été éjecté au sol. Dominique le ramassa, l’examina puis, n’en revenant pas, administra une torgnole si formidable à son ami qu’on en aurait parlé encore de nos jours s’il y avait eu des témoins pour voir cela : François s’envola comme un merle, tournoya dans les airs, heurta le sol, rebondit, roula en boule et finit sa course dans le chambranle de la porte. Strike !

Sur le palier, recroquevillé dans l’ombre, Abdoul assistait en tremblant au triomphe du gladiateur.

*

Quand on pisse le sang, on ouvre le robinet et on se met à chialer. Et c’est exactement ce que faisait François en cette nuit d’opale, dans sa petite salle de bains de la rue de Lappe, encore sonné par la défaite. La tête dans le bidet, il avait tous les atours d’une bête crevée. Mais ceux qui n’ont pas d’amour n’ont rien. Alors, en fait, il n’avait rien, rien du tout, même pas d’atours. Eh oui mon petit gars, la vie c’est comme ça, ça s’passe jamais comme au cinéma…

© Benjamin S. Szlakmann - 2016

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