Pour l'heure, il ronfle doucement auprès de sa femme, dans le canapé d'un bénévole de notre association qui a craqué en le voyant arriver dégoulinant de pluie avec 24h de retard au gymnase où la mairie de Paris a abrité ceux qui ont tout perdu dans la destruction de leur bidonville la semaine dernière.
Il est fatigué parce qu'aujourd'hui - comme hier et les jours d'avant - il s'est obstiné à gagner sa vie en vendant un journal de rue qu'il achète 0,60€ et revend 2€. Il n'en a vendu que 5...
Il met un point d'honneur à ne pas être hébergé « pour rien » et participe aux tâches ménagères avec empressement. Et même pour deux car sa femme est malade. Le soir de son arrivée il a fallu la faire hospitaliser d'urgence. Après trois jours d'hôpital elle va mieux mais il la ménage...
Par bribes, Daniel raconte un peu sa vie. Deux mois après sa naissance, il y a trente ans, son père abandonne sa famille. Sa mère travaille, acceptant tous les boulots qui passent à sa portée. Elle meurt quand il a 17 ans. Il est alors obligé de quitter l'école pour travailler. En Roumanie, les roms n'ont pas facilement accès à leurs droits, y compris à l'emploi. Il travaille dans une ferme, s'occupant des vaches et des cochons.
Il se marie. A une fille. Et se prend à rêver d'une vie un peu meilleure. Cap sur la France en 2002. Il parvient à travailler ici et là mais... au black. Régulièrement, un ordre de quitter le territoire tombe. Retour en Roumanie. Retour en France. Une routine... Des particuliers l'emploient pendant 7 mois pour faire le ménage, entretenir leur maison. Mais là encore il n'est pas déclaré... Comme beaucoup d'autres, il s'installe dans le bidonville de Bobigny.
Est-il si naïf de répéter qu'on ne choisit pas de naître ici ou ailleurs ? Est-il si naïf de vouloir aider celui qu'on rencontre ? Une chose est sûre : déplier son canapé tous les soirs n'a rien de compliqué. Donner un coup de main pour faire un CV non plus. Faire circuler l'appel encore moins.
Souvenez vous aussi qu'il y a des emplois non pourvus en France. Et que Daniel, comme les quelques petits milliers de roms venus plein d'espoir ici, ont tout autant à nous apporter que l'ont fait par le passé les migrants qui sont les français d'aujourd'hui. Alors n'hésitez pas : faites passer !