L’analyse des discussions en cours à l’Assemblée nationale à propos du projet de loi sur les OGM fait souvent la part belle au clivage entre pro- et anti-OGM. Or, ce clivage n’explique pas tout, loin s’en faut.
Prenons l’exemple de l’art. 2 créant un Haut conseil des biotechnologies. Dans la version initiale du gouvernement, il était prévu une Haute autorité sur les OGM, comprenant un comité scientifique et un comité économique, éthique et social. Les sénateurs lui ont substitué un Haut conseil composé d’un comité scientifique et d’un comité de la société civile.Selon certaines analyses, cette transformation marquerait la victoire des pro-OGM puisque elle dissocierait clairement l’expertise scientifique, d’un côté, de la prise en compte des enjeux économiques et sociaux, de l’autre. Autrement dit, elle instituerait une distinction entre science et société, là où la Haute autorité conçue par le gouvernement combinait partiellement les deux puisque le second comité comprenait à la fois des représentants des sciences humaines et sociales et des représentants d’intérêts organisés. Or, le recul n’est peut-être qu’apparent. Dans la version initiale du projet de loi, le gouvernement ne précisait pas la composition des deux comités compris dans la Haut autorité. Mais il est permis de penser que dans son esprit , il s’agissait d’établir une distinction entre, d’un côté, la science, la vraie, celle qui ne se prononce que sur la base de faits objectifs et qui est incontestable (les sciences de la vie, les sciences de la terre, etc.). De l’autre, la société, telle qu’elle s’exprime à travers ses porte parole, que ceux-ci soient économistes, sociologues, juristes, philosophes, ou qu’ils soient responsables associatifs, militants engagés ou représentants d’intérêts organisés. On retrouve là une distinction proposée en 2000 par Philippe Kourilsky et Geneviève Viney, dans leur rapport sur le principe de précaution, entre un premier cercle dans lequel l’expertise est « strictement scientifique et technique » ; et un second dans lequel l’expertise « économique et sociale » s’appuie sur les conclusions du premier pour engager un débat avec les « divers acteurs sociaux ». Cette distinction revient à considérer que les sciences humaines et sociales ne sont pas de vraies disciplines scientifiques, au sens où elles ne produiraient pas des analyses objectives fondées sur une analyse neutre des faits ; tout au mieux peuvent-elles éclairer la manière dont fonctionne la société ou révéler ce que celle-ci veut (d’où l’importance accordée à l’éthique, en particulier). Elle repose aussi sur la croyance suivant laquelle l'activité scientifique ne repose sur aucun jugement de valeur ou parti-pris normatif, faisant fi de plusieurs décennies de recherches en sociologie des sciences et des techniques ayant montré qu'au contraire, le travail scientifique demeure avant tout une activité sociale. Elle établit enfin un distinguo entre les problèmes purement scientifiques, qu’il revient à des experts de traiter, et ce machin compliqué qu’est la société, qu’il appartient à des sociologues, des économistes mais aussi des responsables associatifs et des acteurs engagés de représenter.Les sénateurs ont proposé une autre distinction. Leur comité scientifique se compose « de personnalités désignées en raison de leur compétence scientifique et technique reconnue par leurs pairs, dans les domaines se rapportant notamment au génie génétique, à la protection de la santé publique, aux sciences agronomiques, aux sciences appliquées à l’environnement, au droit, à l’économie et à la sociologie. » Tandis que le comité de la société civile se compose de« représentants d’associations, de représentants d’organisations professionnelles, d’un membre du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, d’un député et d’un sénateur membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et de représentants des associations de collectivités territoriales. » Qui plus est, là où le projet initial du gouvernement ne proposait pas d’articulation précise entre les deux comités, ni de répartition claire des rôles, le projet voté par le Sénat précise qu’en cas de dissémination volontaire, le comité scientifique émet un avis, puis le comité de la société civile élabore des recommandations, et le tout est transmis aux autorités.On objectera, à juste titre, que le Sénat oppose toujours science et société, et que la distinction entre avis et recommandation n’est pas aussi simple qu’elle en a l’air. Toutefois, on peut voir dans ce texte une double avancée par rapport à la situation qui caractérise actuellement les rapports entre expertise scientifique et décision dans les domaines des risques sanitaires et environnementaux. Première avancée, le champ des disciplines concernées dans le comité scientifique est vaste et couvre l’ensemble des facettes du problème. Autrement dit, l’expertise ne portera pas seulement sur les risques sanitaires ou environnementaux des OGM, mais couvrira aussi les enjeux économiques, juridiques et sociaux. Ce n’est pas une mince avancée lorsque l’on sait que l’expertise socio-économique sur ces questions est toujours demeurée lettre morte depuis les premières lois de sécurité sanitaire. Pas plus qu’à l’échelle européenne, la France n’a progressé dans le sens d’une expertise capable de compléter l’évaluation scientifique des risques par une analyse de la faisabilité des mesures, leur coût, leurs effets attendus et les possibles effets adverses. Or, un comité scientifique comprenant en son sein des économistes, juristes et sociologues sera en mesure de procéder à cette prise en compte, qui plus est à progresser dans le sens d’une véritable évaluation du rapport bénéfice-risque ou bien encore coût-avantage qui fait actuellement défaut. Plus fondamentalement, on peut aussi penser qu’un tel comité sera de fait plus ouvert et moins enclin à se replier derrière une position strictement scientifique – ne serait-ce qu’au regard de la difficulté à parvenir à une position consensuelle entre toutes les disciplines réunies.Seconde avancée, la distinction entre les avis du comité scientifique et les recommandations du comité de la société civile permet, pour la première fois, d’avancer dans le sens d’une plus de la phase de recommandations. Auparavant, la distinction « magique » entre l’évaluation des risques, relevant des comités d’experts scientifiques, et la gestion des risques, du ressort des autorités publiques, contribuait à entretenir un certain flou autour des modalités de passage de l’une à l’autre. Dans les faits, les experts étaient souvent amenés à émettre des recommandations, mais sur la base d’une estimation des risques purement scientifique. Aussi les gestionnaires disposaient-ils ensuite d’une large marge de manœuvre pour réintégrer en toute discrétion d’autres dimensions dans leur décision, tenant compte notamment d’enjeux de faisabilité et de coût, mais aussi d’acceptabilité par les acteurs concernés, sans que leurs décisions ne fassent l’objet d’une quelconque discussion. Dorénavant, il appartiendra au comité de la société civile de faire des recommandations, sur la base de l’avis des experts, ce qui présente un double avantage par rapport à la situation antérieure : ils se prononceront sur la base d’un avis scientifique couvrant les aspects biologiques, environnementaux, sanitaires mais aussi économiques, juridiques et sociaux ; si le gouvernement n’entend pas suivre leurs recommandations, il lui appartiendra de justifier son choix et de faire valoir d’autres éléments de décision.Autrement dit, le dispositif tel qu’il est actuellement en discussion à l’Assemblée Nationale est potentiellement source de progrès par rapport à la situation qui prévaut aujourd’hui en matière de gestion des risques sanitaires et environnementaux. S’il est encore loin de permettre de saisir les OGM dans toutes leurs dimensions, il marque néanmoins des avancées indéniables. Aussi, la tentation de ne constituer qu’un seul comité comprenant à la fois des scientifiques et des représentants de la société civile n’est-elle pas à ce stade une bonne idée car elle pourrait paradoxalement redonner plus de pouvoir aux décideurs dans l'interprétation des conclusions du comité – comme en atteste le récent avis sur l´application de la clause de sauvegarde au maïs MON 810 émis par le comité de préfiguration de la Haute autorité.Billet de blog 6 avril 2008
OGM : et si le Haut conseil prévu dans le projet de loi marquait une avancée ?
L’analyse des discussions en cours à l’Assemblée nationale à propos du projet de loi sur les OGM fait souvent la part belle au clivage entre pro- et anti-OGM. Or, ce clivage n’explique pas tout, loin s’en faut.
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