Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat au Développement de l'économie numérique, a suggéré jeudi 5 novembre un "Grenelle des antennes" pour répondre aux "attentes croissantes" du public concernant les dangers éventuels de l'exposition aux ondes électro-magnétiques. "Je vous propose une table ronde, un Grenelle des antennes, pour rapprocher les points de vue des parlementaires, des élus, des opérateurs, des scientifiques...et répondre aux attentes croissantes de nos concitoyens", a déclaré Mme Kosciusko-Morizet à l'Assemblée, lors d'un débat sur l'attribution d'une fréquence pour un quatrième réseau de téléphonie mobile.
Cette décision est absurde et hypocrite.
Absurde, d'abord, car les incertitudes sur les effets sanitaires portent essentiellement sur les portables, beaucoup moins sur les antennes relais. Dans tous les débats autour des antennes relais, l'essentiel des données scientifiques mobilisées pour attester de possibles effets sanitaires proviennent d'études sur les portables. Et pourtant, il ne s'agit pas d'organiser un débat sur les portables mais bien sur les antennes. Les enjeux sanitaires ne seraient donc pas la raison d'être de ce débat ?
Absurde, ensuite, car le débat national est impossible, tant les positions sur le sujet sont aujourd'hui clivées. Des formes de concertation existent au plan local, elles ont parfois permis d'apaiser le débat, mais les positions au plan national sont polarisées et ne cherchent aucunement le compromis. Surtout dans un contexte où la justice s'en mêle. On est dans un rapport de force dans lequel les différentes parties ne cherchent pas une solution de compromis, mais à faire prévaloir leur position.
Absurde, encore, car ni les promoteurs de la téléphonie mobile, ni les opposants aux antennes, ne souhaitent que l'on ouvre le débat sur les portables. On comprend bien pourquoi les premiers n'y ont pas intérêt, qu'il s'agisse des opérateurs ou de l'Etat ; il est plus difficile de comprendre la position des seconds. C'est ce qu'a bien relevé l'association Pièces et Mains d'Oeuvre dans une récente prise de position sur la téléphonie mobile (http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=167) : on ne peut pas à la fois commencer toutes ses prises de position en rappelant que l'on n'a rien contre la téléphonie mobile, pour ensuite demander le démontage ou le déplacement des antennes relais. Les opposants vous répondront qu'ils ne sont pas pour le démontage de toutes les antennes, juste celles qui sont à proximité d'habitations (ce qui en fait tout de même pas mal déjà !). Mais l'avocat des parties civiles dans le récent procès perdu par Bouygues Telecom a pourtant bien précisé que toutes les antennes de cet opérateur étaient dorénavant en sursis. Que les clients de Bouygues Telecom se rassurent, ils pourront continuer à utiliser leur portable pour prendre des photos ...
Absurde, enfin, car l'Etat fait montre d'une hypocrisie sans limite : c'est au moment où l'on annonce la vente d'une quatrième license de téléphonie mobile que la décision d'organiser un Grenelle des antennes est prise. Décryptage : le quatrième opérateur va devoir à son tour déployer quelques milliers, voire dizaines de milliers, d'antennes supplémentaires pour pouvoir fonctionner et remplir les obligations que lui fixera l'Etat en termes de couverture et de qualité de service. Etant données les sommes en jeu, on parle de plus de 200 millions € pour la vente (sans parler ensuite des retombées économiques et fiscales), il serait malvenu que les opposants aux antennes viennent mettre leur grain de sel - aidés en cela par la justice. On organise donc un Grenelle, on écoute, on apaise, on ne parle surtout pas des portables, et l'affaire est jouée. Car il s'agit de dynamiser le marché des portables : pauvre marché, tout saturé. Il faut donc encore plus de portables, peu importe les incertitudes scientifiques et les controverses. Mais attention aux antennes !
La cour d'appel qui a condamné Bouygues Telecom l'a fait au nom du trouble anormal de voisinage (et non du principe de précaution). A quand une condamnation de l'Etat pour trouble anormal de l'intelligence ?