Billet de blog 8 octobre 2008

Réseau droit sciences et techniques

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Quand les nanos deviennent grandes…

Qu’il s’agisse de récompenser la qualité des recherches françaises par l’attribution du Prix Nobel de physique à Albert Fert, de mieux cerner les risques éventuels auxquels les travailleurs sont exposés à court ou moyen terme ou, plus généralement de déterminer quels seront les effets du développement des nanotechnologies sur notre futur, les « nanos » ont quitté l’espace clos des laboratoires de recherche pour pénétrer, à grand bruit, l’espace public. Par Stéphanie Lacour (Chargée de recherche CNRS – CECOJI), Réseau Droit, Sciences et Techniques

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Qu’il s’agisse de récompenser la qualité des recherches françaises par l’attribution du Prix Nobel de physique à Albert Fert, de mieux cerner les risques éventuels auxquels les travailleurs sont exposés à court ou moyen terme ou, plus généralement de déterminer quels seront les effets du développement des nanotechnologies sur notre futur, les « nanos » ont quitté l’espace clos des laboratoires de recherche pour pénétrer, à grand bruit, l’espace public.

Par Stéphanie Lacour (Chargée de recherche CNRS – CECOJI), Réseau Droit, Sciences et Techniques

Des discussions issues du « Grenelle de l’environnement »[1] à l’adoption par la Commission européenne d’une recommandation pour un « code de bonne conduite pour une recherche responsable en matière de nanosciences et nanotechnologies »[2], il ne se passe plus un mois sans que les craintes suscitées par le développement de ces sciences et techniques ne soient, en France ou en Europe, dans l’actualité des politiques scientifiques et technologiques. Les discussions entreprises par les différentes instances politiques pour promouvoir le développement responsable des nanotechnologies illustrent la nécessité d’une meilleure appréhension des règles du jeu de la gouvernance des technologies émergentes. Confrontés à des objets scientifiques multidisciplinaires et protéiformes, à des mutations technologiques touchant de très nombreux secteurs industriels et commerciaux et à des risques encore très mal connus, les circuits de décision traditionnels tentent de s’adapter tout en préservant au mieux la place de nos territoires dans la compétition économique internationale.

De ce conflit d’intérêts naissent de nouveaux modes de prise en considération de l’opinion publique, ainsi qu’une volonté clairement affichée d’appliquer aux nano-objets un principe de précaution dont la cohérence théorique peine parfois à trouver une traduction concrète pertinente.

Un constat, néanmoins, s’il ne devait y en avoir qu’un, l’emporte, face à cette « déferlante nano »[3]. Une analyse approfondie des normes applicables à ces formes spécifiques de recherche, à ces technologies et aux produits qui en sont issus devient de plus en plus nécessaire. S’agissant des normes juridiques, l’accord est loin d’être obtenu, à l’heure actuelle, quant à la pertinence du cadre existant[4]. Il est donc plus que jamais souhaitable que la communauté de chercheurs en droit se mobilise pour tenter de faire avancer les connaissances dans ce domaine. Les règles de droit de la propriété industrielle sont-elles opportunément appliquées dans un domaine où sciences et technologies, découvertes et inventions sont parfois difficiles à séparer ? Ne prenons-nous pas le risque d’une privatisation excessive de la matière elle-même ? La régulation existante des substances chimiques est-elle adaptée à des objets dont la composition chimique ne diffère certes en rien de substances déjà connues mais dont la forme, la surface et les propriétés intrinsèques sont considérablement modifiées à l’échelle nanométrique ? La protection des travailleurs et des consommateurs en contact avec des nanoparticules, des nanomatériaux ou des produits en contenant peut-elle être assurée bien que les risques encourus et les moyens de les mesurer soient encore très peu développés ? Les droits français et européen de la protection des données à caractère personnel sont-ils adaptés à la prise en charge d’objets communicants rendus invisibles et multipliés par l’effet de la miniaturisation des composants nanoélectroniques ? Ce ne sont là que quelques unes des questions qui se posent aux juristes et, plus largement, aux citoyens que nous sommes, tout au long du cycle de vie des technologies de l’infiniment petit.

Le réseau « Droit, science et technique » a franchi un premier pas dans le sens d’une meilleure compréhension des phénomènes normatifs à l’oeuvre en consacrant le sommaire du premier numéro de sa revue annuelle, en 2008, à la thématique « Droit et nanotechnologies » (Les Cahiers Droit, Sciences et Technologies, N°1, 2008, CNRS éditions). L’ANR vient à son tour de reconnaître l’intérêt de cette démarche, en acceptant de financer un consortium de recherche composé de plusieurs laboratoires de recherche juridique et d’un groupe industriel (Arkéma France). Espérons que ce ne soit là qu’un début.


[1] Article 34 du projet de loi « Grenelle de l’environnement », http://www.developpement-durable.gouv.fr/article.php3?id_article=3157

[2] Recommandation de la Commission du 7 février 2008 concernant un code de bonne conduite pour une recherche responsable en nanosciences et nanotechnologies, notifiée sous le numéro C(2008) 424.

[3] Journal du CNRS n°189 - Octobre 2005

[4] La Résolution du Parlement européen sur l’évaluation à mi-parcours du plan d’action européen en matière d’environnement et de santé 2004- 2010(2007/2252(INI)) du 4 septembre dernier illustre, à ce sujet, la violence des contradictions persistant dans ce domaine.

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