Présentant son rapport sur la téléphonie mobile aux autorités britanniques en 2000, William Stewart avait alors eu cette formule révélatrice : "plus jamais un groupe d'experts ne concluera à l'absence de risque". Il se prononçait au même moment où l'enquête de Lord Philips sur la crise de la vache folle en Grande-Bretagne se terminait et mettait en avant, outre l'impéritie des autorités britanniques dans la gestion de cette crise, les errements du comité d'expert qui avait conclu à l'impossibilité pour le prion de franchir la barrière des espèces. Saisi dans ce contexte pour se prononcer sur les risques pour la santé des téléphones portables et des antennes relais, William Stewart avait conclu à l'absence de risque connu en l'état des connaissances mais n'avait pas exclu l'existence de risques et avait suggéré d'engager une "démarche de précaution". Sa formule sur l'impossibilité pour des experts d'écarter dorénavant tout risque lié à une activité ne doit pas être lue comme une manière pour les experts de se couvrir, mais bien comme la reconnaissance que sur des sujets éminemment controversés, il convient d'être prudent et de rappeler qu'une démarche scientifique doit toujours privilégier les doutes sur les certitudes.
L'interview de Bernard Veyret à laquelle mon ami (et néanmoins collègue) Yannick Barthe fait référence ne comporte malheureusement ni prudence, ni doutes. Fonctionnant un peu en miroir de l'article sur les électrosensibles que je commentais dans un autre billet, elle sert plus à alimenter la controverser qu'à la réduire - alors même que l'on peut penser que son auteur croyait mettre fin à la controverse par l'affirmation d'un certain nombre de certitudes.
Chacune de ses réponses pose problème.
A la première question sur les dangers du Wifi et des portables, il répond en distiguant les antennes relais, bornes Wifi et stations de base qui seraient éloignées du corps, des portables qui au contraire y seraient collés (et donc potentiellement sources de risque). Or, toute la différence entre les bornes Wifi et les antennes relais tient précisément au fait que les premières sont souvent à proximité des individus, que ce soit au domicile, dans les bureaux ou les espaces publics. Certes, les niveaux d'émission ne sont pas comparables, mais les récentes disputes dans les bibliothèques parisiennes portaient sur des bornes situées tout près des agents. On ne peut pas appliquer le même raisonnement aux antennes relais qu'aux bornes Wifi.
A la seconde question, Bernard Veyret énonce une règle qui à ma connaissance s'avère difficile à respecter : sans cas de cancer répertorié au monde qui serait imputable aux ondes, il n'est pas possible de statuer sur le caractère cancérigène des ondes. Diable ! S'il avait fallu qu'à chaque fois on puisse attribuer des cas de cancer avec certitude à une substance donnée pour statuer sur la carcénogénisité de cette substance, la liste des substances cancérigènes du CIRC (Centre International de Recherche sur le Cancer) serait bien courte. Bernard Veyret émet là une condition difficile à atteindre.
L'exemple américain qu'il prend dans sa réponse à la troisième question est légèrement erroné : il s'agissait d'un mari intentant un procès à Motorola suite au décès de sa femme d'une tumeur du cerveau. Mais ce qui est intéressant dans ce cas, c'est que l'équipe d'avocats qui a travaillé auprès du mari avait fait ses armes dans la lutte contre le tabac, et avait bon espoir de rééditer les mêmes exploits en termes d'amendes infligées aux compagnies de tabac. Las, le juge estima que les données scientifiques avancées n'étaient pas du tout probantes et le procès n'eut pas lieu. Car en l'état des connaissances, les études mettant en avant des effets sanitaires liés aux téléphones portables et aux antennes sont loin d'être aussi concluantes que pour le tabac.
La quatrième question amène une réponse qu'a bien analysée Yannick Barthe. Interrogée sur l'électrosensibilité, Bernard Veyret renvoie cela à une atteinte psychosomatique. Cette réponse est tout à fait révélatrice de son état d'esprit, mais elle devrait mettre en fureur la plupart des électrosensibles. Et elle témoigne surtout d'un glissement dangereux : si un phénomène n'est pas explicable par la science, alors il doit relever de la psychologie ou de la sociologie. Sans nier l'existence d'atteintes psychosomatiques, il semble tout de même que les cas de personnes électrosensibles dépassent largement cette explication un peu sommaire. Dans son esprit, il n'existe aucune place pour l'idée que l'électrosensibilité puisse exister et être déclenchée par des ondes électromagnétiques.
On pourrait continuer ainsi les commentaires, mais ne regardons plus que la dernière réponse : "je ne raconte que ce que je sais à un instant donné. J'essaye d'être honnête au jour le jour." Cette position est louable, et pour bien connaître Bernard Veyret, je dirai même qu'elle s'applique bien à lui. Son honnêteté ne saurait être mise en doute et il s'attache à être aussi rigoureux que possible dans ses avis. Mais c'est l'absence de doute ou de prudence dans ses propos qui pose problème, pas son honnêteté. Comme si effectivement il n'avait rien appris des nombreuses crises et controverses que nous avons eu ces dernières années.
Un scientifique qui n'émet pas de doute peut déjà être jugé suspect d'un point de vue scientifique (après tout, combien de découvertes sont parties de la simple question : "et si ... ?"), mais il est totatement inaudible du point de vue social.