Billet de blog 10 avril 2008

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OGM : le Haut conseil après le vote de l'Assemblée nationale

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Après le vote de l'Assemblée, le Haut conseil des biotechnologies a fait l'objet d'un certain nombre de modifications, mais aucune n'a touché à la distinction entre les deux comités. Si le comité de la société civile retrouve le nom que lui avait donné le gouvernement, à savoir "comité économique, éthique et social", sa composition demeure conforme à ce qui avait été décidé par le Sénat, à savoir des représentants d'associations, d'organisations professionnelles, d'associations de collectivités territoriales ainsi qu'un député et un sénateur membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et un membre du Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Tandis que le comité scientifique comprend toujours des représentants de différentes disciplines, y compris des sciences sociales. Il faut se réjouir de cette solution qui maintient l'économie, le droit et la sociologie au sein du comité scientifique. Non par souci corporatiste, mais parce qu'il est temps que l'évaluation du risque (et des bénéfices) intègre d'autres dimensions que les seuls aspects se rapportant aux effets sanitaires et environnementaux.

Il a été fait grand cas, dans les commentaires de la nouvelle version de la loi, de la possibilité pour les avis minoritaires d'être publiés (pardon, les "positions divergentes"), ainsi que la liberté donnée aux membres du Haut conseil de s'exprimer librement sans avoir à demander préalablement l'autorisation du président de cette instance. On ne peut évidemment qu'approuver ces deux modifications, notamment la première car elle ne rend pas le compromis obligatoire, mais on doit tout de même indiquer que cela ne rendra pas facile la tâche de l'instance. Car pour qui connaît un peu le fonctionnement des comités d'experts, beaucoup se joue sur les relations qui se nouent entre les membres durant les séances de travail, et notamment les relations de confiance. Un comité fonctionne d'autant mieux que ses membres ont appris à travailler ensemble, à se connaître, à cerner les compétences des uns et des autres, à saisir les manières de raisonner et d'argumenter. C'est un travail d'apprentissage qui suppose aussi une certaine confidentialité des échanges à propos des informations échangées, des avis discutés, des problèmes posés, des doutes exprimés, le tout sans avoir à craindre que ceux-ci soient ensuite diffusés à l'extérieur. Surtout lorsqu'on a affaire à un dossier aussi complexe et ambigu que les OGM. Or, à vouloir introduire une large transparence, on risque de rendre plus compliqués ces multiples échanges au cours desquels se fabriquent les avis d'experts. Il faut être naïf pour penser qu'un comité d'experts se résume à un ensemble d'individus qui se réunissent ponctuellement, analysent en toute froideur des données et se mettent d'accord sur les conclusions à en tirer. C'est un groupe social qui doit travailler sur plusieurs années, gagner vis-à-vis de l'extérieur sa crédibilité, assurer le sérieux de son travail, toutes choses qui nécessitent une bonne dose de confiance entre ses membres. Or cette confiance se construit progressivement au fil du temps. Si à tout moment, chaque membre peut craindre que ses propos soient rapportés à l'extérieur, cette confiance sera plus difficile à établir. Si à tout moment, le groupe qui rédige un avis redoute qu'un de ses membres puisse ensuite se désolidariser publiquement, il ne travaillera pas de la même manière.

Ou alors il faut aller jusqu'au bout de la logique et rendre les séances publiques - ce qui se fait au Royaume-Uni et aux Etats-Unis dans certaines circonstances. Etrangement, on n'évoque jamais cette possibilité. Comme quoi même la transparence a ses limites - ou ses murs de verre. On pourra rétorquer qu'une telle publicité modifierait profondément le travail des comités du Haut conseil - et c'est vrai. Car ceux-ci devraient "performer" en public : leurs arguments s'adresseraient non seulement à leurs collègues mais aussi au public ; ils intègreraient les attentes de ce dernier dans leurs prises de position ; ils n'auraient plus la même liberté de parole. Mais si l'on craint le risque de manipulation du travail d'experts par des intérêts privés, ce qui est après tout la raison pour laquelle tous ces garde-fous sont mis en place, il me semble encore préférable de voir les arguments échangés publiquement, où chacun peut entendre les raisonnements, voir les preuves, écouter les débats, plutôt que d'opter pour un système dans lequel un groupe d'experts se met d'accord sur un texte après de longues discussions, puis se voit ensuite affaibli par la prise de position d'un membre minoritaire qui n'ayant pas été entendu par ses pairs prendrait publiquement position pour dénoncer l'avis - en se parant si besoin est de toutes les vertues d'indépendance et de neutralité. Il sera toujours plus avantageux pour un acteur ou groupe d'acteurs d'avoir une stratégie de dénonciation publique, que de tenter de faire valoir ses arguments en interne.

Autrement dit, dans le débat sur la transparence, on aboutit à un compromis qui n'est pas entièrement satisfaisant car il risque d'affaiblir le Haut conseil et les avis qu'il produit sans faire avancer le débat. Si on veut la transparence, autant aller jusqu'au bout de la logique - en toute connaissance de causes. Ou alors laissons travailler les experts à huis clos. Mais attention à ne pas créer des incitations fortes aux stratégies bruyantes "d'exit" car c'est l'ensemble du dispositif qui est durablement menacé.

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