Billet de blog 16 décembre 2008

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Les biobanques ou l’indispensable démocratisation des collections de ressources biologiques humaines : leurre ou possibilité ?

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Les biobanques ou l’indispensable démocratisation des collections de ressources biologiques humaines :leurre ou possibilité ? par Fay Betsou, DrSc HDR, Responsable Biobanque de Picardie On a beaucoup parlé il y a quelques temps des grandes biobanques islandaises ou anglaises. La France ne compte certes pas de telles biobanques « populationnelles » de grande envergure, regroupant les échantillons de sang de toute une population ; mais de plus en plus se multiplient les infrastructures dont la mission comprend la collecte, la préparation, la conservation, mais aussi et surtout la mise à disposition des ressources biologiques d’origine humaine à des chercheurs, en vue de leur utilisation dans le cadre de projets de recherche fondamentale ou appliquée. Ainsi la biobanque du Généthon soutient-elle des programmes de recherche sur les maladies génétiques rares tandis que la Biobanque de Picardie fournit des ressources pour la recherche sur les infections sexuellement transmissibles, l’hépatite C, la maladie de Crohn ou encore la maladie de Horton. Les biobanques à visée de recherche ne conservent pas de ressources biologiques à visée thérapeutique, mais cela n’empêche pas que les échantillons conservés par ces biobanques puissent faire l’objet d’analyses (sérologiques ou génétiques) qui accompagnent une application thérapeutique. Or les enjeux sont considérables, en termes financiers, en termes de qualité (puisque la validité des résultats des recherches dépend directement de la qualité des échantillons biologiques et des données qui leur sont associées), mais aussi en termes de recherche et de meilleures politiques de santé. De l’amélioration des politiques de santé, le développement des biobanques, en tant qu’infrastructures, constitue en effet une condition importante puisque jusqu’ici, les ressources biologiques étaient gérées de façon plus ou moins occulte, par une « oligarchie » de chercheurs-collectionneurs, telles les collections des laboratoires de biologie clinique hospitalo-universitaires. Mais du même coup, les enjeux liés au développement des biobanques sont également énormes en termes de démocratie. C’est bien en effet aux grands enjeux démocratiques, tels l’information, la transparence, l’équité que les biobanques se trouvent confrontées. Elles sont le médiateur entre, d’un côté, des patients ou donneurs sains qui donnent, sur une base altruiste, avec l’envie que la recherche avance ; de l’autre côté, les chercheurs, médecins, hôpitaux, entreprises, qui utilisent ces dons et en tirent profit, parfois au sens économique du terme. Il s’agit d’un travail de médiation qui s’alourdit d’un grand nombre de contraintes technico-administratives, au risque d’une gestion centralisée et plus ou moins opaque des biobanques. Il est donc temps de jeter quelques jalons de ce que devrait être un fonctionnement démocratique en la matière. Le Comité Consultatif National d’Ethique s’est déjà penché sur la question (Avis CCNE no 77, 2003) pour souligner l’importance de la définition du « curateur » de la biobanque, c’est-à-dire de la personne qui assume la responsabilité de la gestion de la banque. Aux Etats-Unis, le National Cancer Institute s’est également clairement prononcé sur la question en expliquant que le « curateur » d’une biobanque ne doit avoir aucun intérêt, ni financier ni scientifique dans la structure. En d’autres termes, la gestion, qui consiste à préserver et mettre à disposition des ressources biologiques, ne doit apporter aucun profit financier ni scientifique direct au gestionnaire de la banque. Le curateur (ou gestionnaire technique) ne doit donc pas être un chercheur qui gère lui-même « ses » collections thématiques (pour prévenir les conflits d’intérêt scientifique évidents), mais plutôt une personne ayant des compétences technico-scientifiques et managériales, en collaboration avec un « conseil » qui comprend des personnalités scientifiques compétentes, neutres, mais aussi des personnalités juridiques, dans le contexte réglementaire et politique de la démocratie prévalente. Mieux, la population à laquelle appartiennent les donneurs qui ont généreusement fait « don » de leurs prélèvements ou de leurs « fonds de tubes » (c’est-à-dire du reste des prélèvements effectués dans un but diagnostique ou thérapeutique et qui peuvent être conservés au lieu d’être détruits) pourrait également avoir son mot à dire sur la gestion de ces prélèvements. Après tout, le sens de la démocratie ne recouvre-t-il pas le droit de chacun à s’exprimer, particulièrement lorsqu’est en jeu le devenir des éléments de son propre corps ?Le contenu de la « démocratie » varie certes dans l’espace-temps, même si les principes de l’égalité, du pouvoir de la majorité et du droit d’élection des représentants en sont des principes universels. Mais le droit d’expression est au cœur de la démocratie. Il peut ici être conçu de deux manières. Une première possibilité serait une participation directe. Chaque citoyen-donneur d’échantillons biologiques aurait la possibilité de consulter les programmes de recherche concernant directement les échantillons issus de son corps et d’exprimer, à tout moment, son désaccord éventuel avec telle ou telle utilisation (ce qui n’est pas le cas lorsque le consentement donné est générique ou lorsque l’on présume que le patient a consenti à une recherche). Les solutions technologiques existent aujourd’hui pour qu’un tel droit puisse être exercé de manière complètement anonyme, afin que la protection de la vie privée soit assurée.Une deuxième possibilité serait une participation indirecte par l’intermédiaire d’un comité des représentants de la population. Ce comité devrait être composé de juristes, de psychologues, de sociologues, de médecins, de scientifiques, de représentants de l’Etat et de représentants des associations des patients, avec une ouverture à tous les citoyens intéressés. Les comités régionaux de protection des personnes (CPP) sont un exemple d’un tel mécanisme. Ces comités peuvent examiner non seulement les formulaires de consentement, mais aussi les conditions de « démocratisation » des résultats des recherches menées avec les échantillons biologiques, par le retour possible d’un bénéfice à la population qui a fourni les échantillons. Le bénéfice serait entendu dans le sens d’un avantage en nature, par exemple via la cession de licences non exclusives, en cas d’exploitation industrielle des résultats des recherches. Ainsi, lorsque le gène de susceptibilité à une maladie a été identifié et qu’un test de dépistage correspondant est développé et breveté, la licence pour l’utilisation sans royalties de ce test pourrait être accordée au CHU dans le cadre duquel les patients ont fourni les échantillons qui ont conduit à l’invention.Cependant, à l’ère de la mondialisation, un tel comité ne devrait pas être régional ni national, mais plutôt multi-national, couvrant des fédérations d’Etats, comme les Etats-Unis ou l’Union Européenne. En effet, si les projets de recherche sont concrets et leurs débouchés possibles relativement prévisibles, les régimes, appelés « démocratiques », dans lesquels ces projets de recherche évoluent, sont différents par bien des aspects. Ainsi, certains Etats comme la Chine ou l’Inde interdisent l’exportation des ressources biologiques de leurs citoyens. Au sein même de l’Union européenne, certaines associations de patients anglais ont exigé que l’obligation du « consentement éclairé » soit levée, ce qui n’est pas le cas en France. S’il paraît pratiquement impossible qu’un tel comité de représentants exprime un avis sur chacun des centaines de projets de recherche faisant appel à l’utilisation d’éléments et dérivés du corps humain qui émergent continuellement, il est pourtant possible qu’il exprime des recommandations à la fois précises et suffisamment générales pour servir de base à l’établissement d’un traité international qui harmoniserait la matière.Les deux solutions – participation directe ou indirecte - ne paraissent pas exclusives l’une de l’autre. Si la participation directe peut mieux garantir l’autonomie et la protection au niveau de l’individu et/ou du groupe, l’élaboration de lois « fédérales » (qui risquent moins d’être modifiées au grès des régimes) peut concourir à l’autonomie et la protection au niveau des nations et des fédérations.La question reste alors de savoir comment ces recommandations vont devenir obligatoires pour les « curateurs » des biobanques et pour les utilisateurs des échantillons biologiques. Nous arrivons ainsi à l’idée de l’élaboration de principes sur les biobanques qui soient instaurés, non pas au niveau national, mais au niveau européen. Un système de certification européenne qui nécessite le respect des exigences, non seulement normatives, mais aussi réglementaires, peut offrir une garantie supplémentaire au respect de ces exigences, par la procédure d’audit externe. C’est l’auditeur externe qui serait chargé de vérifier le respect des obligations normatives et réglementaires et la non-conformité entraînerait une suspension de la certification de la biobanque.Si tel n’est pas le cas, ne courons-nous pas le risque d’arriver un jour à une gestion centralisée des biobanques et de nos ressources biologiques, voire à des cas de figure qui accompagneraient des applications à orientation eugéniste amenant peut-être à des situations totalement et profondément anti-démocratiques, comme celles décrites dans le film de science fiction « Gattaca » (1997, Andrew Niccol) où la société est composée de classes génétiquement prédéterminées ? Après tout, sans faire preuve d’alarmisme, n’oublions pas que les chercheurs, d’esprit indépendant et intègre, ont toujours confié les résultats de leurs recherches à la société. Les règles qui seront instaurées pour la mise à disposition des ressources biologiques par les biobanques aux chercheurs du secteur public et privé ne peuvent offrir aucune garantie, en elles-mêmes sur les utilisations ultérieures des résultats des recherches qui seront menées. Il est encore moins facile de garantir les utilisations en cas de restitution à des laboratoires de biologie médicale. Par exemple, lorsqu’un laboratoire privé ou public confie des échantillons de sang à une biobanque pour qu’en soit extrait l’ADN, il peut en exiger la restitution ; or s’il s’agit d’un laboratoire de fécondation in vitro, il pourrait très bien utiliser les prélèvements pour sélectionner tel ou tel donneur de sperme suivant ses caractéristiques génétiques…La gouvernance démocratique des biobanques est donc aussi intimement et inéluctablement liée à la gouvernance démocratique par les biobanques. Celui qui gère des ressources biologiques stratégiques devrait être en mesure de permettre, ou d’empêcher, leur utilisation pour l’identification et la validation d’un outil diagnostique ou thérapeutique.Inversement, dans une démocratie, les citoyens n’ont pas seulement des droits, mais aussi des devoirs. Il conviendrait donc de nous demander, si, dans une démocratie où les soins sont pris en charge par l’Etat, les citoyens n’ont pas le « devoir » de rendre à la société le bienfait dont ils sont les destinataires, par leur consentement à l’utilisation de « leurs » fonds de tubes ou déchets opératoires (par exemple, le reste d’une biopsie ou d’une prise da sang effectuée pour un diagnostic). Il ne paraît pas « éthique » de la part d’un citoyen de jeter une ressource biologique qui peut être utile dans le cadre d’un programme de recherche, tout comme il ne paraît pas « éthique » pour le curateur d’une biobanque de « céder » des ressources biologiques dont la qualité intrinsèque est douteuse ou qui serviraient de support à des pratiques dont le caractère éthique ne l’est pas moins.

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