À l'heure où le pétrole se raréfie et où le réchauffement climatique devient de plus en plus préoccupant, les Etats-Unis et l'Europe comptent se tourner vers les biocarburants pour faire face à la problématique environnementale. Pourtant, cette solution comporte des risques, comme l'aggravation de la crise alimentaire dans les pays en voie de développement. Explications.
Les biocarburants, combustibles liquides obtenus à partir de cultures de féculents ou encore d'oléagineux (maïs, soja, canne à sucre, etc.), n'ont cessé de faire jaser et d'alimenter de faux espoirs depuis leur intronisation médiatique. Le concept est, il est vrai, assez séduisant. Rien que le suffixe "bio" paraît prometteur. Enfin une énergie "verte", non productrice de gaz à effet de serre - finalement, une énergie idéale, produite bien souvent grâce à des activités de récupération. A l'idée d'énergie propre s'associe donc, aussi, un certain concept de recyclage, de lutte contre le gâchis. Il n'en faut pas plus pour que les citoyens soient séduits, attirés surtout par le moindre coût de ces carburants face à la monté du baril de pétrole qui vide leur porte-monnaie peu à peu, plombant leur pouvoir d'achat. Et que l'Europe et les Etats-Unis en fassent leur cheval de bataille dans la lutte contre le réchauffement climatique, montrant ainsi leur bonne volonté quant à faire de la crise environnementale l'une de leurs priorités.
Mais la réalité est toute autre, comme le démontrent certains rapports scientifiques, parfois passés sous silence pour ne pas heurter les lobbys déjà écrasants que constituent quelques multinationales productrices de biocarburants, ou pour ne pas embarrasser les dirigeants qui ont fait le choix de développer cette nouvelle énergie. A bien des égards, la situation est comparable à celle sur les OGM. D'ailleurs, le constat est le même : édifiant.
A la lumière des premières conclusions de Jean-Marc Jancovici, ingénieur spécialiste des émissions de gaz à effet de serre, on comprend bien que jamais nous ne pourrons satisfaire nos besoins énergétiques en utilisant les biocarburants comme substitut au pétrole. En effet, pour produire 50 millions de tonnes (soit la consommation d'or noir moyenne de la France en 2002, pour les transports uniquement) de biocarburants, il nous faudrait mobiliser 3 à 4 fois les terres agricoles actuelles ! Autant dire mission impossible. Une solution existe toutefois, mais elle serait destructrice pour notre environnement. Faire une croix sur l'ensemble de nos forêts, afin de libérer 10 millions d'hectares de terres cultivables, ce qui, d'une part, est inacceptable, et, d'autre part, libérerait de grandes quantités de CO2 dans notre atmosphère, les écosystèmes étant de véritables puits de dioxyde de carbone.
Quant à l'impact sur l'environnement de telles cultures, il est loin d'être anodin. Tout d'abord, il faut noter que les émissions de gaz à effet de serre engendrées durant le processus de production de ces carburants sont loin d'être négligeables. De nombreuses études - cette fois-ci portées à la connaissance du grand public, l'ont démontré. Ensuite, pour obtenir des rendements satisfaisants, l'utilisation d'engrais et de pesticides, grands pollueurs des nappes phréatiques, est nécessaire. Enfin - et pas des moindres, les besoins en eaux de ce genre de plantations sont colossaux (à titre indicatif, 1 pied de maïs consomme environ 74 litres de liquide pour un cycle de culture, l'équivalent de 50 bouteilles d'un litre et demi), à l'heure où les ressources s'amenuisent dangereusement et où certains pays sont déjà en situation de pénurie.
Et des conséquences importantes se sont déjà faites ressentir sur le prix des denrées alimentaires, comme le conclut un rapport de l'éminent économiste Don Mitchell de la Banque Mondiale, éclipsé pour ne pas entrer en conflit avec la Maison Blanche, mais révélé par le quotidien anglais The Guardian. Alors que Washington soutenait que les biocarburants n'étaient responsables qu'à hauteur de 3 % de la hausse des prix du marché mondial de l'alimentation, Don Mitchell affirme qu'ils le sont pour plus de 75 % ! Ainsi ces carburants ont aggravé significativement la situation des pays en voie de développement, qui subissent déjà de plein fouet une crise alimentaire alarmante, en détournant les céréales de l'usage alimentaire au profit de leur fabrication. Face à cette réalité, seule la Chine envisage de renoncer à ses cultures destinées à la production de biocarburants, pour les rebasculer vers des plantations productrices d'aliments comme le manioc.
Pour autant, et malgré toutes ces constatations, tirer purement et simplement un trait sur les biocarburants serait sans nul doute une erreur. Car comme le précise Jean-Marc Jancovici, des utilisations à une échelle plus modeste pourraient être envisagées. Par exemple, restreindre l'utilisation de ces carburants à certains secteurs comme l'agriculture, qui souffre continuellement du prix du baril d'or noir, constituerait une solution profitable à tous points de vue. En tout cas, une chose est certaine : le pétrole est encore loin d'avoir trouvé un remplaçant viable.