
Qui attendait encore le retour de Portishead ? Au début des années 90, ce groupe anglais modifiait la manière d'écouter la musique, déviait le cours du hip-hop en y incluant des denrées plus soul, plus anémiques, plus opiacées. Le temps de deux albums (et le premier demeure bien supérieur au second), Portishead semblait avoir tout dit. Sa chanteuse avait d'ailleurs enregistré un bel album solo au début des années 2000, mais bien plus influencé par l'Angleterre pastorale, de Nick Drake, que par l'urbanité de ses précédents disques.
Du coup, l'idée même d'un troisième album sentait un peu la mort programmée, la naphtaline vieillie. A l'écoute, la surprise est de taille, qui débute par la sortie d'un single martial, le bien nommé Machine Gun (pochette ci-dessus, si cela dit encore quelque chose à quelqu'un), explicitement fracassé, militaire, quasiment industriel dans son acharnement à faire cohabiter les éruptions de rythmes métalliques (métallurgiques presque) avec le chant geignard de Beth Gibbons. Il y a là un affrontement qui n'a rien de pop, rien de caressant, ni de joli. Et qui, d'un coup, prend tout de même aux tripes. Et le reste de l'album, qui sort le 14 avril mais que tout le monde aura sans doute déjà téléchargé (parce que c'est comme ça que la musique s'écoute et se découvre en 2008, et c'est une évidence pour tout le monde - même pour les maisons de disques) est du même terreau. Jamais Portishead ne revient sur ses acquis, sur ce qu'il a été. au contraire, il explore d'une manière différente ce qui l'a toujours sous-tendu : un sentiment de malaise, de mélancolie, d'énervement rentré, d'épuisement face au monde. Ce nouvel album cite d'autres sources que les précédents : la langueur d'isaac Hayes est remplacée par une citation de Silver Apples, dure, poignante, paroxystique. Comme dans les meilleurs disques de rock des années 60 (Velvet Underground, Silver Apples), de krautrock des années 70 (Can, Neu), Portishead reflète la violence du monde et accouche d'une musique mordante comme une pluie acide, qui n'efface rien mais dévoile beaucoup. Il y a de la langueur, de la retenue, mais aussi beaucoup de désespoir dans ce retour qui dit bien que nos illusions des années 90 sont bien mortes et remplacées par autre chose, de plus décati et délétère. Vivement la fin des années 2000.