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Billet de blog 16 mars 2008

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Autechre, le 19 mars au Rex Club.

Le duo anglais Autechre (Rob Brown et Sean Booth) a été fondamental pour l'évolution de la musique électronique anglaise : il a été un des premiers à imposer des albums plutôt que des maxis, à inventer une esthétique hors des clubs et à influencer les autres genres, à commencer par le rock - Radiohead s'en est beaucoup réclamé.

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Le duo anglais Autechre (Rob Brown et Sean Booth) a été fondamental pour l'évolution de la musique électronique anglaise : il a été un des premiers à imposer des albums plutôt que des maxis, à inventer une esthétique hors des clubs et à influencer les autres genres, à commencer par le rock - Radiohead s'en est beaucoup réclamé. Le groupe vient de sortir un nouvel album et joue le 19 mars à Paris, au Rex Club, apparemment déjà complet. Pour l'occasion, j'ai ressorti une vieille interview d'Autechre, qui date de 2001, lors de leur premier passage à Paris (dix ans après leurs débuts !) au Batofar. Et pour ceux qui ne connaissent pas encore, albums recommandés : Amber, LP5, Quaristice.

Vous avez la réputation de vivre cloisonnés du reste du monde

Rob : On n'aime pas tellement parler. Bien sûr, avec une bonne bouteille de vin, pas de problème : mais ce n'est pas vraiment nous. De toute manière, il n'y a aucun moyen de rendre en paroles ce qui se passe entre nous, quand on travaille.
Sean : Et puis, les journalistes qu'on rencontre ne nous envoient jamais leurs magazines. Qu'est-ce qu'on en ferait d'ailleurs ? On ne saurait pas les lire : on est juste des Anglais un peu stupides…
Rob : l'hermétisme, pour moi, c'est une attitude naturelle. En fait, on nous croit hermétique, mais c'est simplement que nous exactement ce que nous voulons : nous voulons créer de belles choses, à notre goût. Et notre goût ne doit jamais être compromis, à personne. De toute manière, nous avons l'impression que nous sommes mieux équipés que quiconque pour le faire : avec un ordinateur, il suffit d'accoucher de l'idée. Il faut simplement avoir du temps. C'est plus gratifiant que de travailler avec un graphiste, qui ne fait que reproduire sa propre vision, jamais celle du musicien.
Vos visuels importent autant que la musique ?

Sean : Je me souviens d'un séjour aux Etats-Unis, dans le Kansas. On y a découvert un magasin bourré à craquer de disques. Il y en avait partout : des piles et des étagères qui débordaient de toute part. On était bien décidé à en acheter un maximum. Comme on ne connaissait pas la plupart des disques, on s'est simplement basé sur les pochettes. En prenant celles qui nous plaisaient, on ne s'est pas trompé : la plupart des disques étaient vraiment bons. L'aspect visuel est toujours important.
Rob : Il est essentiel de mettre en avant ce que l'on aime, de faire correspondre les images avec la musique. Ceux qui partagent nos goûts apprécieront aussi… Nous ne chercherons jamais à survendre notre musique. Nous sommes conscients que le grand public trouvera toujours nos disques horribles, qu'il ne voudra jamais acheter la musique d'Autechre.
Rob : On est toujours surpris par les gens qui écoutent notre musique : des quinquagénaires en costumes trois pièces, qui se défoulent en adorant les musiques les plus ; des filles qui viennent à chaque concert, habillées en pattes d'eph', qui traînaient déjà dans les raves il y a dix ans… Toutes sortes de gens, en fait. Cela dit, on ne fait pas vraiment partie d'une scène : il est impossible de catégoriser nos fans.
Radiohead s'est beaucoup réclamé de vous

Radiohead ? j'en pense la même chose que U2. Je préfère de loin un groupe comme Depeche Mode, qui est tout de même devenu assez mauvais. Leur Kid B est sur le point de sortir, là, non ? bien sûr, ils ont une position commerciale à maintenir. Ils feraient n'importe quoi pour se maintenir : comme si on faisait un album de trance ou de rap et qu'on mettait notre nom dessus. Cela dit, j'aimais bien leurs vieux morceaux, à guitare : ils étaient vraiment meilleurs que les autres. Ils essayaient vraiment de se surpasser, de faire de la bonne musique de radio. Et ça marchait. Ce sont de bons songwriters. Mais sortir des disques labellisés « électroniques » qui ne le sont même pas… Ça me fait penser à U2 qui embauche Eno : rien de bien neuf derrière tout ça.
Comment vous percevez votre évolution ?

Sean : Nous ne serons jamais prêts à devenir trop énorme. On suit le bon rythme, la bonne voie. La seule chose qui a changé pour nous, c'est que les gens commencent à vraiment aimer ce qu'on fait, alors qu'avant ça, on était les seuls ! Mêm si le mouvement a été graduel. Les gens commencent à comprendre : ce qui est effrayant : on pensait vraiment être les seuls à pouvoir comprendre ce qu'on fait
Rob : J'ai revu récemment un vieux pote, qui dansait dans les clubs où l'on jouait. Un mec terrible, de Manchester. Je ne l'avais pas vu depuis des années. Il m'a dit : « je vous ai vu à Glastonbury, c'était incroyable, les gens ont vraiment pris leur pied ». Nous, au départ, on n'y croyait pas trop : ça semble énorme. Jouer devant des foules peut être bien, du moment qu'il y a quelque chose qui passe, une même vibration.
Votre musique a donné naissance à tout un genre...

Rob : Les catégorisations sont vieilles comme le monde, elles remontent à la musique classique, mais ne signifient plus rien aujourd'hui. Il suffit que quelqu'un fasse un disque intéressant pour qu'il se retrouve catapulté dans un nouveau genre… Sean : Apparemment, on aurait contribué à la création d'un nouvel adjectif ? J'ai vu ça écrit, quelque part : autechriste… Un vrai cauchemar. Ça ne fait qu'encourager les gens à croire qu'il n'y a qu'une seule manière de faire de la musique, ou à faire croire que notre musique n'a jamais évolué, ce qui est totalement faux. De toute manière je m'en fous. La seule chose qui m'énerve, c'est quand les gens essaient de nous copier purement et simplement : parfois, ça en devient ridicule. De toute manière, personne ne peut faire de la musique comme nous…
Vous gardez le même enthousiasme ?

Sean : On est de plus en plus excité par la musique, parce qu'on comprend de plus en plus ce qui se passe, à tous les niveaux. Au début, on ne comprenait pas vraiment ce qui se passait, on ne saisissait pas vraiment le sens de tout, tandis que maintenant, les choses commencent à être plus claires. En tout cas, c'est plus drôle ! Au début, on réalisait qu'il était important d'être créatif et maintenant, c'est l'essentiel de ce qu'on fait. Au début on roulait des mécaniques : on emmerdait tout le monde, on prétendait faire de la musique mieux que tout le monde. Une attitude très hip-hop. Avec le temps, on s'est un peu détaché de ça. L'important est d'arriver à exprimer ce qu'on veut, sans se farcir la tête des commentaires des uns et des autres.
Sean : Je me souviens d'une conversation avec Richie James en 1994 où on se disait : « putain, ce serait génial si on avait des petites boîtes qui contiennent toute la musique, qui puissent tout faire. » On savait tous les deux, que c'était possible.
les ordinateurs portables et l'open source. Avec l'open source, tout le monde a accès et peut instantanément échanger des idées.
Aujourd'hui, tout le monde a accès à des équipements : c'est quelque chose de social. La musique s'éloigne aussi de plus en plus des structures codifiées et reconnues. Les guitares étaient perçues comme donnant accès à une musique facile à faire, instantanée : la musique folk. Mais aujourd'hui, les disques des guitares à groupe coûtent des millions de francs, voire des centaines de milliers, pour un petit groupe un peu lo-fi, tandis que la musique électronique, faite avec un ordinateur coûte à peine quelques milliers de francs, voire rien du tout si on a accès à un ordinateur gratuitement depuis son bureau et si on a déniché des versions piratées des logiciels. Bien sûr, il faut injecter beaucoup de soi pour que ça soit de la bonne musique. Stockhausen ne faisait rien d'autre : il utilisait les machines qui existaient depuis quelques années. La même chose pour la musique concrète.
Qu'est qui vous plait et motive musicalement ?

Rob : On aime les choses qu'on ne comprend pas. Des vieilles choses : les premiers Kraftwerk, Mann Parrish, Cluster, le premier 808 State Newbuild, du be-bop, …
Rob : Tout ce qui a un son impossible à comprendre et à faire. Un peu comme Eno et ses musiques de films : j'écoute ce disque en ayant des souvenirs que je n'ai jamais eu ! Voilà une chose impossible à reproduire ! Ce disque me donne vraiment envie de faire de la bonne musique ! Je ne pourrais jamais faire une copie de ça. Stockhausen est pertinent dans son contexte : dans les années 50, sa musique voulait dire quelque chose à l'époque. A nous de trouver la même attitude. Stockhausen avait le même équipement que n'importe qui d'autre. On écoute Captain Beefheart, Neptune's Lair de Drexciya : de la techno médiévale. Je n'ai rien acheté depuis des années.
Sean : Tod Dockstader : les morceaux sont parfaits, incroyablement bons. C'est de l'expression, et ça sonne tellement humain, et émotionnel. C'est peut-être de la musique concrète, mais pour moi Dockstader est bien meilleur que Stockhausen : Stockhausen travaille à partir de la distance et de la dissociation et moi, je suis un être humain, sensible. Stockhausen nie tout mouvement humain. Dockstader faisait de la musique pour Mr Magoo : pour nous, c'est un Dieu. Il a tout renversé. Il avait un bon goût incroyable, et c'est ça qui compte : le bon goût. Il est funky et complètement original. Il était intransigeant.
Où en êtes vous avec votre label Warp auquel vous demeurez fidèles ?

Warp nous a permis de devenir ce que nous sommes et nous voilà enfin arrivés à un point où on a une maîtrise technique de ce qu'on fait. Et on est suffisamment libres pour pouvoir sortir ce que l'on veut : Warp est prêt à prendre tout ce qu'on leur donne. On attend juste le jour où on leur donnera un disque, qu'ils vont adorer mais qui sera un four. Ce qui, on l'espère, n'arrivera pas… Avoir notre propre label serait la suite logique, vu qu'on aime tout contrôler. Le problème serait qu'on n'aurait moins de temps pour la musique. De toute manière, on a de bons rapports avec Warp. On aimerait vivre dans un environnement clos, autarcique, qui vivrait à l'énergie solaire ou éolienne, et distribuer notre musique virtuellement, électroniquement, ce qui ne coûterait rien.

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