Le disque le plus attendu de ces dernières semaines est sorti il y a quelques jours. Il s'agit de l'album d'un groupe new-yorkais, Hercules and Love Affaire.
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On y retrouve, notamment, le chanteur vaporeux post-folk Antony, dont la voix de diva fonctionne merveilleusement bien sur certains morceaux du groupe. Entre autres l'étonnant single Blind, qui oscille entre la disco cosmique et la confession de communiant. Edité et produit par le label DFA (c'est-à-dire la maison fondée par James Murphy alias LCD Soundsystem), l'album de Hercules & Love Affair met bien en perspective l'une des grandes tendances de ces derniers mois, de ces dernières années presque : le retour vers la disco, qui survient par là où on l'attendait le moins, c'est-à-dire par le biais de labels indépendants. Certes, l'album de Hercules est distribué par une major (EMI), mais l'ensemble du revival disco a été mené par des petits labels, des structures quasi artisanales (voir la récente compilation éditée par le label parisien Tigersushi), qui semblent toutes nourries de culture indie, celle-là même qui détestait la disco, et, qui dans les années 80, s'était construite contre elle, opposant ses guitares de l'époque aux boules à facettes. Passée par là, la musique électronique a changé la donne et occasionné des réévaluations flagrantes permettant à la disco de changer de statut.
Mieux encore, la disco a bénéficié de la réévaluation de l'époque de sa naissance : le tournant des années 70 et 80 est de plus en plus mythifié, perçu comme un moment plus que charnière, fondateur de musiques hybrides dont l'un des parangons les plus connus demeure le groupe Talking Heads - le trésor caché ultime étant l'oeuvre du producteur Arthur Russell, qui a sorti des maxis disco tubesques (dont le gigantesque Kiss Me Again, mené par la guitare de David Byrne des Talking Heads) et des albums minimalistes de violoncelle filtré (son World of Echo est une vraie perle, il faut l'écouter pour y croire). Sur la scène actuelle, qui réinvente la disco, l'ombre de Russell et des Talking Heads plane en filigrane : leurs carrières, les menant dans plusieurs directions esthétiques, répondent aux envies d'éclectisme des années 2000. Eclectisme de l'écoute permis par la dématérisalisation de la musique : parlez d'un disque folk à un ami qui écoute de la techno et deux heures plus tard, il l'aura téléchargé et, peut-être, fait entrer ainsi dans ses oreilles, des perspectives nouvelles. D'ailleurs, vous n'avez plus d'amis qui n'écouteraient qu'un seul genre musical : tout le monde écoute de tout,ou en tout cas tout le monde stocke des mp3 sur des disques durs, en attendant le crash. Utopie ? peut-être. Mais dans cette grande foire, des figures comme Antony correspondent bien avec leur temps, évoquent, par leur facilité à passer d'un genre à l'autre, l'ombre d'un Arthur Russell, mais en plus lumineux, plus aguerri aux "feux de la rampe". Finalement, on a beau tenter de trouver des milliers de héros pour les années 2000, croire que ce sont les casques de Daft Punk qui la représentent le mieux, ce sont en fait des personnalités transgenres (justement) comme Antony qui dépeignent le mieux, par leur attitude même, partagée entre la dépression vaporeuse folk et l'élévation discoïde, toutes les belles et contradictoires tensions des musiques des années 2000.