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Billet de blog 16 mai 2008

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Le clip de Justice n’a rien de Kubrick

Je ne sais pas quoi penser du clip de Justice. Faut-il vraiment en penser quelque chose ou être comme le clip lui-même, c’est-à-dire dans l’horrible négation de la pensée ? Parce que ce clip ne fait que cela : refuser de penser, refuser de prendre position, refuser tout commentaire politique. De ce fait, il est totalement inscrit dans une époque qui ne veut rien d’autre qu’ingérer des images et ne jamais se donner la peine de l’implication.

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Je ne sais pas quoi penser du clip de Justice. Faut-il vraiment en penser quelque chose ou être comme le clip lui-même, c’est-à-dire dans l’horrible négation de la pensée ? Parce que ce clip ne fait que cela : refuser de penser, refuser de prendre position, refuser tout commentaire politique. De ce fait, il est totalement inscrit dans une époque qui ne veut rien d’autre qu’ingérer des images et ne jamais se donner la peine de l’implication.

Quelques impressions : d’abord, je crois qu’il y a quelque chose de pesant et d’horripilant dans la manière dont ce petit film fait tout pour se faire voir : violence de l’histoire mise en scène, efficacité du montage, accumulation des situations qui deviennent graduellement insupportables.

Ensuite, vient à l’esprit l’idée de comparer ce clip avec Orange Mécanique de Kubrick qui lui aussi jouait sur l’insupportable. Mais la comparaison s’arrête là parce que Kubrick ne montrait pas des personnages déshumanisés. Il les suivait, au contraire, tentant de percer leur psychologie, de voir ce qui était, en eux, définitivement ancré, irrémédiable. En cela, au-delà de la violence affichée, Orange Mécanique creusait son sujet comme pour dépasser la gratuité des images, leur violence immédiate qui interpelle tout de suite.

La sale mauvaise idée de Justice, au fond, c’est de ne pas prendre parti, de ne pas se confronter au monde, d’être juste des spectateurs impassibles, qui décrivent quelque chose de troublant - et de laisser apposer leur logo sur les habits des personnages - comme s’ils avaient, en fait, la nostalgie des skins des années 80 qui, eux, se présentaient ainsi : en bande habillée d’un même uniforme. Mauvaise idée, parce que lorsqu’on est dans une position comme celle de Justice, c’est-à-dire quand on touche autant de monde, on ne peut pas se contenter de donner des images à dévorer comme on enverrait quelqu’un aux lions dans la plus totale indifférence. Les comparer à Kubrick est donc juste faire offense à l’intelligence de Kubrick. Les comparer aux artistes qui dans les années 30 étaient fascinées par le fascisme et le nazisme semble un peu plus juste, un peu plus proche de la réalité. Car, il y a bien là-dedans, de la fascination de voyeur pour ce qui est donné à voir.

On pourrait plutôt les comparer à une chaîne de télévision : un clip d’une telle violence fait, au fond, le même boulot que TF1. Il colporte des images immédiatement choquantes et, à ce niveau-là, je préfère encore les images de TF1, puisqu’elles sont au moins commentées par des êtres humains et que je sais exactement comment elles sont positionnées politiquement.

Dans ce clip, il n’y a plus d’humanité, plus rien qui tienne debout dans la réalité, et ça me fait juste penser à la phrase de Guy Debord disant que “tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation”. Ce clip de Justice et son communiqué de presse suivant la polémique, sont la parfaite illustration de cela : ensemble, ils refusent de se frotter au monde, de se confronter aux problèmes, de prendre une position politique. Faire un clip provoquant plutôt que s’engager puis se protéger avec un communiqué invoquant la neutralité : ce n’est pas exactement cela que j’attends d’un groupe ou d’un artiste : je préfère qu’il se positionne dans le monde, qu’il fasse des oeuvres ayant du sens et qu’il grimpe aux rideaux comme Godard à Cannes en Mai 68, comme Bob Dylan, comme Alan Ginsberg, comme Clash, comme Radiohead.

On ne peut pas exister à moins, surtout dans une époque où tout est politique comme l’a justement souligné Sean Penn dans son discours d’ouverture du festival de Cannes.

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