Il flotte dans l'air comme un parfum léger de fricandelles et de Duvel un peu chaude. Des senteurs de kermesse cycliste, d'accordéon, de barraque à frites planent désormais sur le mondial. Au terme d'un des plus beaux match de la compétition (contre les Etats-Unis, 2-1 après prolongations), la Belgique est de retour en quart de finale. Vingt-huit ans après. Et qu'est-ce que ça fait plaisir…Un collectif à tout épreuve et interchangeable (20 joueurs sur 23 utilisés), des buts quasiment tous marqués par les remplaçants, une équipe d'une jeunesse jamais vue à ce niveau, des talents purs mais pas encore de vraies stars. Ces Belges-là régalent, mais c'est surtout la braise des vieux souvenirs remués qui nous ravit, comme est ravivée la flamme de notre belgitude nostalgique.
Car les Belges en quart, c'est mieux qu'une madeleine de Proust ou un vieux Tintin au Congo. Pour qui s'intéresse au ballon depuis la mi-temps des années 80 (oui je sais, on écrit "mitan" normalement), c'est plus qu'un panthéon mémoriel qui se déploie, c'est carrément un mausolée monumental. Car le foot belge, c'est le foot français mais en belge, avec des épopées européennes incroyables, des gardiens de buts cultissimes, des joueurs exilés dans des clubs mythiques, un Thierry Rolland bien plus attachant… Revue de détails, avec l'accent.
Un vrai pays de foot, un habitué du mondial
Le plat pays de la chanson de Brel, c'est pas que le vélo. Depuis toujours, les Belges font partie des grandes nations du ballon. Présents lors de la première coupe du monde en 1930, les Diables rouges (quel surnom!) sont régulièrement de la partie. Douze fois en vingt éditions, et sept fois depuis 1982. Dont trois huitièmes de finale (1990, 1994, 2002). Avant le quart à venir, contre l'Argentine, pour une revanche de la demi-finale de 1986.
1986, LA grande heure du foot d'outre-Quiévrain. La folle aventure, marquée par un match de folie (4-3) contre les favoris de l'épreuve, la redoutable URSS de Belanov et Dassaev. En flamand, s'il vous plaît…
Des épopées européennes ensorcelantes
Si les Belges ont du mal avec l'Euro (hormis une finale en 1980, seulement deux piètres participations depuis, en 1984 et en 2000, en tant que pays co-organisateur), les clubs ont connu un âge d'or dans les coupes européennes. Bon, plutôt la coupe des coupes et la coupe UEFA que la ligue des champions, mais quand même. En tête de gondole, le grand Anderlecht des années 76/78 (trois finales, une coupe UEFA), mais aussi plusieurs finales jouées par le Standard de Liège, le FC Bruges ou encore Antwerp (la totale en vidéo ici). Et puis le FC Malines en 1988. Le club tout juste professionnel, encore en D2 quatre avant, qui bat l'Ajax Amsterdam, au terme d'un petit numéro de l'ailier israélien Elie Ohana, conclu par Piet den Boer…
Le royaume des Franky
Vercauteren et Van der Elst. L'empire du milieu belge. Deux Franky magnifiques. L'un, Franky Vercauteren, s'est fait connaître en France en jouant à Nantes trois ans, après avoir quitté le grand Anderlecht (avec lequel il claque quatre championnats, deux coupes des coupes et une coupe UEFA) et avant de se terminer à Molenbeek. Là où a commencé Franky Van der Elst, avant de devenir l'homme d'un seul club, le FC Bruges , avec lequel il gagna cinq championnats et quatre coupes de Belgique, en 14 ans de carrière. Deux légendes, dont on peut admirer un long portrait réalisé par la RTBF (voir ici) pour le premier, et une chanson éponyme très "swinging Belgium" pour le second, entonné par le définitif Raymond Van Het Groenewoud…
Enzo le plus beau
Si Zidane a choisi d'appeler son fiston Enzo, c'est à cause du sublimissime uruguayen Francescoli. Mais s'il avait été honnête, Zizou aurait du y joindre Scifo. Enzo Scifo, la classe à l'état pur. Plus globe-trotter que d'autres, préfigurant la nouvelle génération belge s'exportant volontiers à l'étranger, par la grâce de l'arrêt Bosman (encore un Belge), Scifo, jeune espoir d'Anderlecht, a émerveillé les spectateurs français. A Bordeaux, Auxerre (où il fut le plus brillant) et Monaco. En Italie (Inter Milan puis Torino), en revanche, il fit moins d'éclats. Mais quelle couverture de balle, et quel sens du beau jeu…
Pfaff et Preud'homme, gardiens éternels
Aujourd'hui, le jeune Thibaut Courtois est déjà présenté comme l'un des meilleurs du monde à son poste. Dans la lignée de deux légendes elles-aussi reconnues comme les n°1 planétaire, Jean-Marie Pfaff et Michel Preud'homme. Pfaff, pour le minot que j'étais dans les années 1980, c'est celui qui détendait tout le monde lors du jubilé Platini, avec ses gants démesurés. Roi de la vanne, il n'en était pas moins un incroyable portier, taulier du Bayern Munich six ans durant. Impérial…
Preud'homme, c'est moins drôle que Pfaff, mais c'est tellement romantique. Troisième gardien au Standart Liège, il entre sur le pré en cours de match, après blessures de ses devanciers. Il a 18 ans et ne quittera plus la cage pendant neuf ans et deux titres de champion. Concurrencé par Gilbert Bodart (un autre grand goal passé ensuite par Bordeaux), il part à Malines remporter une coupe d'Europe (on y reviendra) et un titre supplémentaire. Après avoir écœuré les Pays-Bas lors du mondial 1994, il file au Benfica Lisbonne parachever sa carrière, à 40 ans…
Gerets le magnifique, Nilis le somptueux
On aurait bien sûr pu parler de Marc Wilmots, attaquant efficace passé par Bordeaux et Schalke 04 (après s'être fait reperé à Malines). Mais hormis un but refusé contre le Brésil en huitième du mondial 2002, l'actuel coach des Diables rouges ne nous a jamais, à vrai dire, laissé de souvenir impérissable. Au contraire de Eric Gerets et Luc Nilis. Le latéral barbu et l'attaquant bien peigné du PSV. Le "lion de Rekem" et "Lucky Luc". Les deux furent des héros à Eindhoven, l'un après l'autre.
L'un, Gerets, y a sauvé sa carrière, après avoir été impliqué et condamné dans un "OM-Valenciennes à la belge" du début des années 1980 (en l'occurrence, un Standard-Waterschei). Avec le PSV, il fait partie des horribles qui ont fomenté un plan anti-Tigana lors d'un quart européen contre Bordeaux. Sept ans (1985-92), six titres et une ligue des champions plus tard en Hollande, celui qui a ensuite été un coach regretté de l'OM (chose rare), pouvait prend sa retraite sous les vivats du Philips Stadion. En obtenant et en transformant un péno…
L'autre, Nilis, y est arrivé comme un attaquant fin et racé, quadruple champion de Belgique avec Anderlecht, pour glaner deux titres de champion des Pays-Bas et claquer 110 buts en 164 matchs et six ans (1994-2000). En revanche, la fin sera sale : Luc devient unlucky, part à Aston Villa et se blesse au bout de trois matchs. Carrière terminée. Reste la frappe classieuse, le toucher remarquable, la talonnade désinvolte.…
Roger Laboureur, le micro de l'âme belge
Un grand pays de football a forcément un commentateur culte. En Belgique, le foot c'est Roger Laboureur. Monsieur "Gooooaaaaal… Goalgoalgoalgoal…" (ici lors du mondial 90, contre la Corée)…
Laboureur a accompagné les supporters des diables dans les grands moments, comme dans les pires. Capable de faire ressentir la souffrance de tout un peuple, par un simple, mais lourd, silence terrifiant. C'est en 1990, en huitième de finale, et la Belgique est éliminée du mondial italien. A la toute fin des prolongations, après un but assassin de David Platt pour l'Angleterre. « C'est injuste. C'est terrible »…
Pour ne pas se quitter une note trop triste, il faut voir la prestation de Laboureur tel un gorille dans la brume. En 1990, le FC Liège accueille le Rapid Vienne, en huitième de la coupe UEFA. Dans la brouillard le plus total. Du bonheur. « Bravo Jacky! »
Bonus JPP
Parce que c'est tout de même fabuleux que l'un des meilleurs buteurs de l'histoire du foot français ait commencé sa carrière au FC Bruges…
Bonus du bonus
Juste pour terminer en reparlant de fricandelles (ou fricadelles, les deux se disent)…