Les quatre premiers huitièmes de finale ont donné à voir, plaisir des yeux, six équipes latinos au sommet de leur art. Au-delà des buts de l'archange colombien James, de la force collective mais vaine des chiliens et des mexicains, du combat uruguayen ou des déboulés brésiliens, retour sur trois moments géniaux.
Ce lundi, on aurait disserté des heures, comme nous avons occupé notre lundi matin avec l'ami Michaël H., pour savoir si les défaites du Chili et du Mexique était fondamentalement méritées ou pas (à mon sens, clairement, quand on arrête de jouer à une demi-heure de la fin face au Brésil et aux Pays-Bas, on s'expose à ce que la logique sportive du plus fort reprenne ses droits).
On aurait pu aussi, comme le demande notre chef adoré François B., se creuser la tête pour tenter d'ébaucher un propos cohérent sur l'illustration de la défaite idéologique de la gauche française, prise dans les rets sournois et affligeants de la manœuvre raciste de Marine Le Pen et des groupuscules fachos, à propos des supporters franco-algériens. Mais notre patron Edwy P. s'en est chargé (lire ici), tandis que la ministre de la culture Aurélie F. a enfin rompu l'invraisemblable silence du gouvernement sur ce qui est une évidence, en tout cas un état de fait ne méritant pas franchement débat : il est possible de supporter et de fêter autant de nations qu'on souhaite, quoi qu'en pensent les dérangés de l'identité nationale et les nostalgiques du kop Boulogne…
Bref, nous on préfère délaisser les dingos qui instrumentalisent le foot, et s'intéresser surtout à la magie d'un jeu certes inventé par les Anglais, mais toujours plus sublimé par les Sud-américains. Et ce week-end, on a été servi en la matière. La preuve par trois gestes qui auront illuminé la grisaille parisienne du week-end.
1. La folle course d'élan des tireurs brésiliens au moment du pénalty
Si vous avez assisté à la séance de tirs aux buts ayant conclu le superbe Brésil-Chili (revoir ici), vous aurez peut-être été frappé par les courses d'élan bizarres et insensées de quasiment tous les joueurs auriverde. Et vas-y que je m'élance, que je ralentis, que je repars, que je m'arrête à nouveau… Aux sources de ces foulées heurtées, il y a la paradinha. Cette façon toute brésilienne de tirer les pénos a été inventée par le génial Didi dans les années 1950 (et popularisée par Pelé ensuite), et est devenue un must des plages cariocas au fil des ans. Neymar, l'actuelle pépite de la seleção, s'est à plusieurs reprises illustré dans l'exercice (voir ici). En gros, cela consiste à couper net sa course d'élan au moment du tir (paradinha veut dire "petite pause" en portugais), puis attendre que le gardien s'écrase comme une merde, pour tirer dans le coin opposé. Exemple en un best-of (à partir de 1'10)…
En 2010, avant le mondial sud-africain, la Fifa a décidé d'interdire explicitement cette façon de tirer les pénos. Du coup, les Brésiliens font avec, et continuent à faire n'importe quoi avant de tirer, mais plus juste avant de tirer…
2. La feinte du corner "à la rémoise" invisible
Durant ce mondial, c'est une spécialité colombienne. Déjà durant la phase de poule, la bande à James l'a essayé. Façon "Tiens, finalement j'ai pas envie de le tirer celui-là, viens mon pote, le tirer à ma place… ET EN FAIT NON C'ETAIT UN SUBTERFUGE!"… Mais, comme lors du huitième face à l'Uruguay, l'arbitre de touche a préféré assassiner Mozart que de valider un monument de malice footballistique…
Il n'y a rien de plus rageant que ce refus arbitral face à une feinte aussi subtile, dont on retrouve la première trace avec la Roma de Luciano Spalleti, qui finit généralement en but. Comme par exemple, quand Rooney et Cristiano Ronaldo s'y étaient essayé, avec Manchester. Avant que l'arbitre ne refuse le but…
Pour ne pas désespérer de l'homme en noir, on a retrouvé un match où le coup de génie a payé. A l'œuvre, la doublette croate du FC Bâle, Petric et Rakitic, lors de la saison 2006/2007. Pas plus d'informations, mais cette fois-ci, le but est accordé. Et c'est Mozart et James qu'on ressuscite…
Agrandissement : Illustration 5
3. « Le plus beau but est une passe »
Il s'agit par cet intitulé de rendre hommage à mon ancien prof de philo, devenu depuis l'icône de la gauche (un peu) réac : Jean-Claude Michéa. Philosophe critique du capitalisme et spécialiste d'Orwell, il est aussi un grand passionné de football (lire ici une récente et excellente interview donnée à So Foot). Laborieux arrière latéral gauche aux faux airs Pascal Fugier, jouant tous les dimanche au stade de l'Abbé Prévost de Montpellier (dont il s'oppose à la fermeture dans un texte brillant ici), il vient de publier récemment une version augmentée de ses écrits sur le football (« Les intellectuels, le peuple et le ballon rond »), ré-intitulé « Le plus beau but était une passe » (Editions Climats), en hommage à une fameuse citation d'Eric Cantona. Or, depuis ce dimanche soir et le but du Costaricain Ruiz, tout en détachement élégant et en plat du pied indolent, je ne cesse de repenser à cette phrase. Le plus beau but était une passe, et en plus il existe…