PÉDÉS, 2023, Collectif
Collectif coordonné par Florent Manelli avec Adrien Naselli, Jacques Boualem, Camille Desombre, Julien Ribeiro, Ruben Tayupo, Anthony Vincent, Nanténé Traoré.

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Est-il nécessaire d’écrire sur ce bouquin qui a déjà été l’accessoire mode de l'été de tout·e inverti·e qui se respecte pour aller à la plage, au taff, ou dans la file d’attente d’une projection de Barbie ?
Oui, c'est nécessaire, car comment notre collectif pourrait faire l’impasse sur cet ouvrage collectif qui fait un bien fou, d'abord, et dont la trame idéologique accompagne celle de nos combats.
Non, les pédés ne sont pas que des privilégiés, "le gay blanc du Marais" a aussi une histoire à nous transmettre. D’ailleurs les pédés ne sont pas que des blancs, nous ne sommes pas tous des bourgeois, les pédés ne sont pas uniquement bons à être les alliés des autres luttes, les pédés ne sont pas hors des clivages de classe, les gays ne sont pas tous passés à droite, le pédé est un sujet politique légitime.
Entre le pillage de nos identités par un libéralisme prétendu rose, une tentative de contre-offensive post-moderne qui montre ses limites et un homonationalisme qui se fédère par le racisme, ce bouquin esquisse des solidarités émancipatrices.
Le philosophe marxiste Daniel Bensaïd introduisait son ouvrage Une lente impatience par une réflexion sur le "je" qui "rate la pluralité des angles de vue" et le "nous" qui "impose des promiscuités non consenties". Il propose le "on" insaisissable qui " échapperait à la majesté douteuse du "nous", comme à l'orgueil suspect du "je". Il reprend à Lucien Goldmann, la notion de "quatrième personne du singulier" dans laquelle le "nous" n'est pas le pluriel du "je" mais quelque chose d'autre. Le livre Pédés, sans faire un pokedex exhaustif à la Benetton, décrit une pluralité d'expérience dont le point commun est peut-être justement ce mot : "pédé". Il repose la question de ce qui fait ce lien impalpable, transgressif, instinctif entre les faggot, les maricón, les zemel, les makoumé du monde entier.
On ne veut pas tout vous spoiler, mais comment ne pas s'émouvoir en lisant le récit d'Adrien et sa "cousine" gay chérie Mickaël dont les vies prennent des chemins différents pourtant liés par une complicité homosexuelle. Est-ce ça la "pédérité" dont parle un autre auteur de l'ouvrage. L'un étant transfuge journaliste parisien, l'autre ouvrier à une quinzaine de kilomètres de Grenoble. L'insubmersible communauté se fissure sur un clivage de classe, mais l'inverse un peu, aussi.

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Le chapitre de Camille Desombre (Matthieu Foucher) nous a forcément émoustillé, tant il décrit avec justesse, les doutes et incertitudes des pédés militants. Nous pourrions également énumérer chacun des chapitres, des rappels, plus didactiques, de Ruben Tayupo sur le droit d'asile et la létalité des frontières, aux récits charnels d'Anthony Vincent qui écrit par exemple "En grandissant, j’ai parfois eu l’impression qu'être gay me servait à passer entre les mailles de certains filets, dans une société où il ne fait pas bon être un jeune homme racisé et issu de quartier populaire.". Il raconte comment les oppressions se croisent, comment elles se désamorcent entre-elles parfois, comment elles se renforcent souvent.
Un bouquin, donc, à s'empresser d'aller se procurer en librairie en insistant bien : " bonjour monsieur le libraire, je voudrais un "pédés" s'il vous plait", "bonjour madame la libraire, vous reste-t-il des "pédés" dans votre arrière-boutique ?".
Le livre était arboré fièrement sur les story Instagram de beaucoup d'entre nous cet été, l'objet en lui-même, violet et jaune, est devenu un marqueur, il est d'ailleurs déjà présent dans le tableau "Banlieue Fatigue" de Jules Magistry qui était exposé à la Cité Radieuse de Marseille du 24 août au 4 septembre dernier.

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Over the Rainbow, 2023, centre G.Pompidou
Exposition : Un retour chronologique sur nos luttes.
Jusqu'au 13 nov. 2023
Iconographie plurielle : peintures, dessins, affiches, photographies, magazines, ouvrages, musiques, films et recherches typographiques, l’exposition Over the Rainbow donne à voir une culture visuelle LGBTI. Au programme : de la lutte, de l’humour, du sexe et de la politique.
Pourquoi on y va ?
On y va car c’est l’occasion de découvrir des œuvres explicitement gay et le Paris inverti du XIX° et XX° siècle. On y va pour ENFIN voir quelques archives lesbiennes. On y va parce que c’est déconseillé aux mineurs. On y va pour redécouvrir le FHAR et ses productions, mais aussi Act-Up ou encore les Gazolines.
Et enfin on y va parce que ça fait du bien, parce que c’est nous, nos corps, nos luttes et nos amours.
PS : on y va aussi parce que notre collectif "les inverti·e·s" est cité dans la plaquette de l’exposition, et ça c’est grave la classe.

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Corps Vivantes, 2022, Julie Delporte.
Roman graphique
C’est l’histoire d’une lesbienne bancale, celle dont l’histoire n’est que peu racontée, marquée par le traumatisme et le doute. Est-ce qu’aimer les femmes ça s’apprend ?

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L’autrice se raconte avec douceur dans un parcours initiatique autour de la sexualité, de la reconstruction après l’inceste aux premières relations lesbiennes.
On y retrouve avec justesse la découverte de la monstruosité, du dégoût de soi, de l’homophobie intériorisée mais aussi l’apprentissage de l’amour des femmes. On redécouvre celles qui ont façonné son imaginaire : Dorothy Allison, Monique Wittig, Tove Jansson et bien d’autres encore, le tout magnifiquement illustré, entièrement à l’encre noire et au crayon de couleurs.
En bonus, on vous met l'entretien de Julie Delporte avec Urbania dont la question était : Peut-on "devenir" lesbienne ?