Billet de blog 26 décembre 2023

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#11 [Calendrier de l'après] Joyland / Après l'identité / Stone Butch Blues

L'année dernière, le collectif des inverti·e·s vous proposait un Calendrier de l'Avent dans sa série "sur la table de chevet des inverti·e·s" cette année, on vous propose sept jours de Calendrier de l'Après : On invertit tout ! Nos choix culturels de cette deuxième journée :

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Joyland, Saim Sadiq, 2022

Ce film, les synopsis le vendaient comme un film qui parlait d'une khwaja sira (femme trans, même si ça se recouvre pas complètement). L'histoire se passe au Pakistan à Lahore, et c'était censé raconter la romance entre Haider et Madame Biba, danseuse vedette d'un cabaret dans lequel il vient de trouver un travail. Spoiler, ça parle de beaucoup plus de choses, ça ne cède pas à une représentation des femmes trans sous les traits du misérabilisme ou du fétichisme de la subversion. On y trouve au travers de la maisonnée une magnifique mosaïque de personnages toutes et tous en nuances.

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Joyland © Saim Sadiq

La chape de plomb des qu'en dira-t-on y est à l'œuvre. Mais surtout tout le monde se débrouille pour arracher des petits moments de joie, à l'instar de Mumtaz sur l'affiche, qui avait conquis son indépendance comme make-up artist jusqu’à ce qu'elle doive remplacer Haider dans la garde de ses nièces. Joyland ne tombe pas dans la critique sociale lourdingue. L'agentivité et la singularité des personnages n'est jamais laissée de côté, même lorsque l'hétérosexualité tue. Il réussit son coup de laisser voir la complexité des rapports patriarcaux dans la société pakistanaise, et ne satisfait pas un regard blanc qui voudrait ne voir dans les hommes racisés que des bourreaux de leurs sœurs.

Et puisqu'il s'agit d'arrêter d'oublier que les TPG de tous les pays ont leur agentivité et ne sont ni au service d'un agenda occidental impérialiste gay, ni des victimes silencieuses de leurs oppressions, voilà quelques pages d'orgas et de militant·e·s TPG pakistanais·es à suivre sur insta : @sindmooratmarch @shazadi_rai @gender.ia @unrelentlesslyyours @shahmiruk

JOYLAND Bande Annonce (2022) Romance © Allociné | Bandes Annonces

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Après L’Identité - transitude & féminisme, Pauline Clochec, éditions Hystériques et Associées, 2023

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Après l'identité © Pauline Clochec

Dans son dernier essai, Pauline Clochec propose une analyse féministe matérialiste de la transitude, terme théoriquement neutre désignant « l’existence de personnes transitionnant d’une catégorie de sexe à une autre ». Cet ouvrage se propose de critiquer les approches psychologiques de la transitude qu’elles soient médicales, antitrans ou queers. Le genre n’est ainsi pas considéré comme une identité intérieure psychologique à diagnostiquer par des soignant.e.s. Être trans n’est pas une identité, c’est une condition sociale et corporelle, ce que les approches psychologisantes tendent à minimiser, voire à nier. Ce qui définit le fait d’être trans dans notre société actuelle, n’est pas tant notre identité de genre que les discriminations vécues. Nous ne sommes pas obsédé.e.s par nos identités, les réactionnaires le sont. De fait, « l’identité n’est pas extérieure à nos luttes, elle est nos luttes ». Reconceptualiser les luttes trans d’une identité psychologique intérieure à un processus social et corporel, permet de les inscrire dans un cadre plus large des luttes féministes, homosexuelles contre l’hétéropatriacart dont une revendication centrale est et reste l’autonomie corporelle. PMA, transition, avortement, contraception ! Nos corps, nos choix !

Pauline Clochec est maîtresse de conférences en philosophie morale et politique à l'Université d'Amiens, elle a aussi dirigé avec Noémie Grunenwald l’ouvrage Matérialismes Trans que nous vous conseillons également. 


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Stone Butch Blues, Leslie Feinberg (1993), éditions Hystériques et Associées, 2019

Stone Butch Butch est un roman en partie autobiographique écrit par Leslie Feinberg et publié en 1993. On y suit la vie de Jess Goldberg, née dans une famille prolétaire juive, et très vite rejetée par la société et par sa famille. Jess est une Butch, une « il-elle » comme les qualifie la société américaine de l’époque. Parce qu’elle ne se retrouve pas dans les normes de genre traditionnelle, elle connaîtra le rejet, les violences policières, l’impossibilité de trouver un travail, et la misère sociale, ce qui la poussera à transitionner. Pour Jess, avoir un passing masculin, c’est un moyen de survivre à la violence d’une société où elle ne trouve pas sa place. Mais au lieu de la libérer, sa transition finit par enfermer Jess dans la solitude. Il lui faudra du temps, des expériences, des rencontres, pour enfin peut-être se trouver.

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Stone Butch Blues © Leslie Feinberg

Au-delà d’une simple histoire personnelle, Stonebutch Blues nous raconte le quotidien des nombreux.se.s transpédégouines prolétaires dans les États-Unis des années 70-80 : le travail précaire à l’usine le jour, les soirées dans des bars LGBT la nuit, le harcèlement policier quasi-quotidien. C’est un roman qui nous fait verser des larmes, tant la violence y est décrite avec une précision cruelle et pleine de vérité. Mais ce n’est pas un roman qui désespère, c’est avant tout aussi une histoire de lutte politique, un appel à l’action militante. Ce roman nous rappelle que la communauté lesbienne n’a eu de cesse d’être réprimée par la police de manière systématique, que les travailleuses du sexe et les femmes trans ont toujours eu une place essentielle dans notre communauté, et que les prolétaires lesbiennes ont toujours joué un rôle central dans les luttes syndicales. C’est une histoire qui rappelle l’importance du soutien communautaire pour trouver sa place dans un monde où l’on se sent éternellement « à côté ». C’est aussi une ode à l’amour et à l’acceptation de soi, qui nous permet peut-être de mieux comprendre et de mieux aimer les Butch qui nous entourent.


Leslie Feinberg est un.e auteur.ice lesbienne, transgenre, communiste et révolutionnaire. Dans le cadre de son action politique communiste, elle a souhaité mettre son roman gratuitement en ligne. Sa traduction française a été mise en ligne gratuitement par la maison d’édition associative « Hystériques et Associées ». Elle est aussi disponible à l’achat en physique dans de nombreuses librairies, à prix coûtant.

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