Billet de blog 28 décembre 2023

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#13 [Calendrier de l'après] Sur le bout des doigts / Rebeka Warrior / Les humilié·e·s

Notre série "sur la table de chevet des inverti·e·s" nous permet de vous proposer régulièrement des films, bouquins, chansons, vidéos, expos et autres choix culturels. Entre Noël et le Nouvel An, nous vous proposons sept jours de Calendrier de l'Après : On invertit tout ! Nos choix culturels de ce jeudi 28 décembre 2023 :

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Illustration 1

Sur le bout des doigts, Colin Atthar, Ankama, Août 2023

C’est toujours périlleux de parler de soi. Faire une première bande-dessinée tout autant. Colin Atthar s’est finalement dit pourquoi ne pas tenter les deux ? 

Colin je le connais bien, on a vécu la croix et la bannière en étude d’animation. Nos angoisses on se les est partagées. J’avoue qu’un jeune illustrateur qui se lance dans une autobiographie illustrée à 25 ans, j’étais surpris. Et lui aussi : “L’égo du mec, pétard !” comme il m’a dit.

Mais s'il y a une chose que je jalouse à Colin : c’est sa rédaction. Et avec toutes les histoires qu’il avait en réserve, je me doutais qu’il saurait nous transporter.

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Sur le bout des doigts © Colin Atthar

Ce qu’il faut savoir c’est que malgré ses airs extravertis, il possède une certaine pudeur, alors se mettre à nu, il l’avoue lui même c’est un exercice notable. Mais c’est là l’astuce : tout au long de la BD, on suit Colin et son espèce d’alter-égo, un chat dandy un peu démon qui met les pieds où il ne faut pas, ou plutôt là où il n’a pas envie d’aller. Ce jeu subtil, on le suit tout au long de la lecture, et vient aider à délier la langue de Colin, mais également ce nœud identitaire dont il est sujet jusqu’à la dernière page.

“Comment je nommerai ma bd?” une question simple et un saut dans le vide comme point d’entrée dans ce récit introspectif. Entre monde de la bd et réalité, il vient aborder homophobie, discrimination, perte, religion, hypocrisie du monde de l’art et transidentité, avec humour, autodérision et une humilité que je lui reconnais. Souvenirs en souvenirs, page à page il dresse son portrait et l’affine jusqu’à répondre à sa question initiale.

Bref, j’en parle avec amour parce que j’ai ri, j’ai lâché ma larme, j’ai été attendri, énervé en lisant cette bd. Bref, j’en parle peut-être pas objectivement ? …. On s’en fout. Si je vous ai pas convaincu : les illustrations sont hyper énergiques, l’écriture pertinente et l’alter-égo bien trop drôle. Filez donc régaler vos mirettes ! 


Illustration 3

Dans le spectre, Rebeka Warrior, Omega & Claire Ottaway, 2023

Celle qui devrait être la marraine de tou·te·s les TPG (en tout cas, on milite pour) nous offre deux nouveaux titres pour égayer les fêtes de fin d’année ! Sur son label Warrior Records, Rebeka nous propose l’EP “Dans le spectre” composé des titres “Que la biche soit en moi” avec Claire Ottaway et “Rendre la monnaie” avec Oméga. Iels se sont tou·te·s rencontré·e·s au festival Colis Suspect qui a eu lieu au printemps dernier à la Station Gare des Mines à Paris. Le concept du festival est de créer des rencontres entre des artistes sur le spectre de l’autisme avec d’autres artistes invité·e·s.

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Dans le spectre © Rebeka Warrior & Claire Attaway

Dans le premier morceau, Claire Ottaway, journaliste au “journal atypique” du Papotin et membre du groupe de rock Astéréotypie, nous propose un texte mystique sur la figure de la biche, le tout rythmé par les sonorités EBM de Rebeka Warrior. Dans le second morceau, Omega, chanteur et claviériste du groupe Chevalier Surprise, nous offre un texte plus terre à terre sur l’argent mais aussi plus énergique avec une composition plus punk.

On vous conseille vivement d’écouter cet EP qui sera parfait pour vos apéros du nouvel an ! Et sinon pour continuer avec Rebeka Warrior, vous pouvez toujours réécouter la fausse bande originale de Show-Girl sur Warrior Records ou la vraie bande originale des Démons de Dorothy en duo avec Lio !

Rebeka Warrior & Claire Ottaway Que la biche soit en moi © Rebeka Warrior

Illustration 6

Les Humilié·e·s : 10 ans après le Mariage pour tous, l'heure du bilan, Rozenn Le Carboulec, 2023

Dix ans après l’adoption définitive du texte qui a légalisé le mariage entre personnes du même sexe, l’autrice revient sur la fabrique d’une réaction conservatrice. En six chapitres riches et exhaustifs, Rozenn Le Carboulec dessine différentes lignes de forces politiques qui se sont superposées pour favoriser la montée d’un mouvement réactionnaire comme la manif pour tous. Le texte fait intervenir une variété de protagonistes de ce moment : politiques, intellectuel·le·s, militant·e·s; en reposant sur le choix de ne pas donner la parole à des personnalités qui bénéficient déjà d’une large visibilité pour étaler leurs idées rances, ces dernières n’ayant d’ailleurs pas évolué depuis dix ans. 

Étant elle-même journaliste, l’autrice commence le livre par une critique des médias, qui par leur appétit pour le scandale, ont favorisé la construction et l'émergence d’un discours réactionnaire contre le mariage pour tous et la PMA. Les médias n’ont pas seulement tendu leurs micros aux réacs, ils ont la responsabilité de la co-construction du discours par l’absence de vérification des sources, et par le non respect de la pluralité du débat, en survisibilisant les conservateurs. 

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Les humilié.e.s © Rozenn Le Carboulec

Le second chapitre revient sur la genèse de ce mouvement : le moment du PACS et la construction d’une idéologie dans l’Église catholique à partir de la défense de la famille hétérosexuelle, de la différence des sexes et de la lutte contre la “théorie du genre”. Rozenn Le Carboulec reprend le concept de “glue symbolique” pour désigner la manière dont cette dernière est instrumentalisée pour fédérer un ensemble de groupes et mouvements de l’extrême droite catholique. Dans le sixième chapitre, c’est ce même concept qui est mobilisé pour montrer comment les personnes trans et “l’idéologie woke” sont utilisées pour faire front commun entre les pires réacs. Ce front qui, comme on a pu le voir avec la chasse à l’islamo-gauchisme du gouvernement, va du macronisme au fascisme (quelle différence entre les deux sinon quelques nuances de bleu marine ?). 

Mais la construction d’une réaction conservatrice, d’une “panique morale” n’est pas le seul fait des médias. La gauche de gouvernement se trouve sur le banc des accusés dans le troisième chapitre qui démontre la responsabilité historique de cette famille politique. D’abord les débats naturalistes partagés avec la droite et l’extrême droite par plusieurs intellectuels et membres du parti socialiste. Ensuite la tiédeur de ce même parti au moment du PACS, puis de la loi pour autoriser le mariage pour tous et la PMA, mais aussi sa lâcheté et son absence de soutien au mariage de Bègles. 

Tout un chapitre qui montre l’instrumentalisation de nos questions sur fond de cynisme électoral. Le parti socialiste a laissé traîner les débats, a permis aux pires discours de s’exprimer pour respecter “le débat d’idée”, tandis que les TPG se faisaient tabasser dans la rue, insulter sur tous les réseaux, les plateaux télé, les matinales de radio. Ce qui montre aussi l’impasse de la stratégie des associations LGBT de l'époque ; aucun contre-mouvement n’a émergé, et le sentiment qui reste est bien celui d’une humiliation, d'un droit acquis sans espoir de changement, d’un petit accord de salon en somme. 

Et il faut souligner, comme le fait si bien ce livre, la manière dont les lesbiennes ont été invisibilisées, la PMA n’étant finalement qu’un moyen de négociation électoral pour faire passer le mariage. Mais elles étaient bien présentes, ont défendu les droits de tou·te·s, ont continué à le faire même après le vote pour le mariage, tandis que certains pédés préféraient le confort de la compromission dans l’homonationalisme. 

Tout cela arrive à la question principale, objet du sixième chapitre, qui rappelle les violences physiques et discursives des droites et extrême droites déchaînées ; ces mêmes politiques indigents qu’on retrouve encore en poste, ou promus ministres sous Macron. La question qui traverse tout le texte : qui a été humilié·e·s ? On peut parler des enfants de la manif pour tous, à qui l’autrice donne la parole dans son podcast Quouïr et dans ce texte. Ce chapitre revient également sur les inconsistances de l'Église en matière de protection de l’enfance, notamment dans le cas des prêtres pédophiles. Mais il pose surtout la question toute simple qu’aucun réac n’évoque : comment vont les enfants queer ? 

Et la réponse est évidemment, comme tous les autres enfants, insérés dans une société capitaliste qui est plus responsable de leur éventuel malheur que quelques théories freuduleuses sur “l’absence du père”. L’humiliation est générale et nombreux sont les responsables qui ont permis une telle chose. Alors, quelles leçons tirer de ce livre si riche et précieux pour plusieurs générations qui ont vécu la manif pour tous dans des positions très différentes ? 

Illustration 8

La première est que les médias de masse ne sont pas nos alliés. Il y a des allié·e·s en leur sein, et on les remercie de leur travail, mais la structure économique joue contre nous, poussant au pinkwashing et à l’instrumentalisation pour faire du clic, susciter de la réaction plutôt que défendre celles et ceux qui en auraient besoin. 

La deuxième leçon c’est qu’il ne faut rien attendre de la politique institutionnelle, dans la même veine. Rien dans la structure du champ politique ne nous permet d’y accorder notre confiance. 

La troisième leçon qui en découle c’est que si l’on veut des droits, il faut aller les chercher. Il faut faire le travail, créer un rapport de force; proposer une contre-idéologie; mener la bataille culturelle dans les médias; faire pression sur les politiques sans attendre d’être un éventuel paragraphe dans un programme électoral; se structurer pour créer un mouvement de masse qui parte d’en bas. Faire taire les discours des “entrepreneurs de morale”, qui verront toujours en nous la subversion de leurs normes. Ne pas se laisser prendre dans la double instrumentalisation des conservateurs qui se fédèrent par la haine qu'ils nous portent, ou des progressistes qui voient en nous que des cases électorales à cocher. 

S’autonomiser de la politique de palais pour proposer nos idées, nos luttes, parler avec nos mots. Au début était l’injure écrit Didier Eribon pour introduire ses réflexions sur la question gay. L’humiliation on la connaît, elle nous fabrique dès l’enfance, qu’on la subisse ou qu’on la craigne. C’est notre glue à nous, elle nous permet de faire collectif pour ne plus être seul·e·s, et de retourner le stigmate qu’on nous impose. Des Humilié·e·s nous le sommes, mais de cette position il nous faut puiser la force qui guide nos luttes.

Rozenn Le Carboulec & Augustin : La Manif pour Tous racontée 10 ans après - L'invité de Mathilde Serrell © France Inter


à demain pour le prochain episode ! 

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